Télévision : la (cé)cité de la peur
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Laura BrignonLes télévisions européennes - Italie en tête - continuent à se focaliser sur l’insécurité née du terrorisme. Pourtant, un rapport sur les « peurs des Européens » révèle que ce qui nous préoccupe, c'est bien plus la situation économique et la crise du monde du travail. De la Rai 1 à TF1 en passant par TVE, tour d'Europe cathodique de ces émissions qui nous vendent la peur à chaque journal télévisé.
Le chômage inquiète un Européen sur deux. Un véritable cauchemar qui occupe une place bien plus importante que les menaces terroristes, celles liées à l’insécurité ou à l’inefficacité croissante du système de santé. En Italie, les chiffres ont presque doublé en l’espace de cinq ans : en 2005, le chômage constituait la crainte principale de 28% des citoyens contre 51,3% d’entre-eux aujourd’hui. En Espagne, c’est 72% de la population qui a peur de ne pas trouver de travail. Un pourcentage bien plus important qu'en France (57%) et au Royaume-Uni. En effet, avec 32%, les Britanniques sont les plus confiants en l’avenir de leurs enfants.
Télé-réalité ?
« Plus on regarde la télé, plus on a peur »
Le second « rapport sur les peurs des Européens », réalisé en Italie par le centre d’études Demos et par l’observatoire de Pavie, décrit une Europe terrorisée par les effets de la crise sur la société et surtout par le thème du travail. Cependant, les principales télévisions publiques ne reflètent pas du tout ces inquiétudes. La loi de la politique, particulièrement en Italie, mais aussi en France et au Royaume-Uni, dicte aux journaux télévisés des priorités bien différentes : les informations sur le terrorisme et sur l’insécurité supplantent systématiquement les problématiques sociales et la crise du monde du travail.
Les menaces récurrentes de Ben Laden, les alertes à la bombe à la tour Eiffel et à la gare Saint-Lazare font tressaillir les retraités installés dans leur fauteuil mais pas les millions de jeunes en recherche d’emploi. « Plus on regarde la télé, plus on a peur », explique Fabio Bordignon de l’institut Demos durant la présentation du rapport à Ferrare, au festival de la revue Internazionale. « En fait, deux facteurs entrent en ligne de compte : l’exposition médiatique et la part de vie sociale de l’individu ».
L’insécurité occupe en effet un espace excessif dans les télévisions européennes par rapport à la perception réelle des personnes et aux données des ministères de l’Intérieur, qui enregistrent une baisse importante des délits depuis quelques années. Rai 1, la principale chaîne publique italienne, continue pourtant à consacrer 11% des reportages journalistiques à l’insécurité, dépassant largement la moyenne européenne (5,8%). Avec 7,7%, BBC One arrive en deuxième position dans ce classement un peu particulier. Viennent ensuite France 2 (4,2%), l’antenne espagnole TVE (4%) et la télé allemande ARD avec 1,8%. À l’inverse, Rai 1 ne consacre que 4,9% d’espace aux questions sociales et au travail, se rapprochant ainsi de la moyenne européenne (6,3%). France 2 (9,4%) et TVE (7,3%) font mieux.
Rai 1 et TF1 : insécurité, potins et futilités
« Nicolas Sarkozy a conquis ainsi les électeurs d’extrême-droite en 2007 et le discours du 30 juillet confirme sa stratégie »
« Pourquoi n’avez-vous pas pris TF1 en compte ? », demande avec justesse Gian Paolo Accardo, modérateur du débat à Ferrare et journaliste pour Courrier International, faisant allusion à la célèbre chaîne privée, indirectement liée au président Nicolas Sarkozy. En effet, TF1 et Rai 1 se ressemblent beaucoup pour deux raisons fondamentales : la présence d’une constellation de petits faits divers, surtout ceux qui ont guère d’importance et ne prêtent pas au débat, et l’attention portée à des thèmes de « mœurs et société ». En d’autres termes, ce grand fourre-tout qui permet de parler de la grand-mère la plus jeune d’Italie, du chat le plus vieux de France, de la boisson préférée des singes ou des règles à respecter quand on a un chien et qu’on vit dans une copropriété. Ajoutez une pincée de potins, et le tour est joué. Plutôt une poignée quand il s’agit des journaux télévisés du réseau Mediaset, détenus par le président du Conseil Silvio Berlusconi, littéralement farcis de reportages « people ».
Info poubelle
Mais c’est quand il y a des élections dans l’air que le levier de l’insécurité est actionné le plus régulièrement dans les journaux télévisés : « Nicolas Sarkozy a conquis ainsi les électeurs d’extrême-droite en 2007 et le discours du 30 juillet confirme sa stratégie », explique Eric Jozsef, correspondant de Libération en Italie. La droite italienne aussi semble en avoir profité pour les élections de 2008.
Curieusement, l’attention médiatique portée à l’insécurité a redoublé au second semestre 2007, alors que le gouvernement de Romano Prodi était sur le point de tomber, pour ensuite diminuer en 2008, quand la Ligue du Nord et Berlusconi étaient déjà revenus au pouvoir. Mais l’anomalie italienne continue au premier semestre 2010 : Rai 1 a parlé 431 fois d’insécurité, contre 267 fois pour TVE (en seconde position mais avec des occurrences 40 % inférieures aux journaux télévisés italiens de la première chaîne) et 34 pour la télé allemande. Il est cependant clair que les peurs véritables sont ailleurs et que, comme l’a dit Robert Fisk, journaliste britannique pour le quotidien The Independent, lors de son intervention à Ferrare, les alertes sur les nouveaux attentats terroristes « ne sont que des déchets ».
Photo: (cc)*fatanera*/flickr; (cc)CiuPix/flickr
Translated from Più terrorismo in tv, meno lavoro per gli europei!