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Tchétchénie : que fait l'Europe ?

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Six ans après la deuxième répression par les chars russes de la rebellion tchétchène, les violences émaillent toujours le pays, véritable zone de non-droit, terreau du radicalisme religieux. Un désastre humain aggravé par l’inertie européenne.

« La Tchétchénie n'est plus à l'ordre du jour », déclarait en mai dernier

un haut responsable russe à l'issue du sommet Union européenne - Russie. Plus de six ans après le début de la seconde guerre de Tchétchénie, la situation de cette petite République du Caucase s'est-elle normalisée au point d’être considérée comme quantité négligeable dans les relations entre l'Europe et la Russie ?

Quelle normalisation ?

Un calme relatif s'est rétabli et la « normalisation » n'est plus seulement un thème porteur du discours officiel de Moscou. Des observateurs indépendants rapportent des signes positifs : augmentation de l'activité commerciale, déplacements plus faciles et plus nombreux, bâtiments reconstruits...Une évolution qui ne doit pas être négligée au regard de la grande pauvreté de la population tchétchène. Mais la situation du pays, rebelle à la tutelle de Moscou, reste exceptionnellement grave.

Durant les dix dernières années, la Tchétchénie a en effet été profondément ravagée par la guerre, l'occupation et les violences. Les deux périodes de guerre totale, en 1994 et 1999, et la lutte armée qui continue entre forces fédérales et combattants tchétchènes, ont fait près de 100 000 victimes civiles -soit un dixième de la population totale-, des dizaines de milliers de blessés et de personnes déplacées, sans oublier un territoire dévasté. Le Comité International de la Croix Rouge estimait ainsi en 2003 que dans le centre et le sud de la république, 60 % de la population a peine à satisfaire ses besoins journaliers en nourriture. Grozny conserve aujourd'hui encore l'aspect d'un champ de ruines.

Déni de justice et radicalisation religieuse

Au-delà des affrontements militaires, les dizaines de milliers de soldats russes occupant le territoire et les membres du FSB (services secrets) - remplacés de plus en plus par des milices tchétchènes pro-russes - ont

commis et commettent encore de graves atteintes aux droits de l’homme : selon plusieurs rapports d’Amnesty International, les enlèvements de civils suivis de tortures ou d'assassinat, le commerce des personnes enlevées ou de leur corps, les pillages systématiques sont légions. Tous ces actes restent quasiment impunis : dans cette zone de non-droit soumise à l'arbitraire et à la violence, il est rare que des enquêtes soient ouvertes, plus encore qu'elles soient menées à leur terme. Un rapport accablant de la Fédération Internationale des Droits de l'Homme (FIDH) publié en 2002 stigmatisait ce « système organisé de terreur et d'impunité ».

Par ailleurs, l'islam radical progresse au sein de la société, déséquilibrée et déchirée depuis dix ans. Combat contre le colonialisme russe et surenchère religieuse opposant entre eux les différents chefs de guerre ont largement contribué à cette radicalisation. Les jeunes Tchétchènes notamment, sont de plus en plus sensibles au discours wahhabite importé dans la région dans les années 90. Si ce courant extrémiste reste minoritaire face au soufisme -la version modérée de l’islam traditionnellement dominante en Tchétchénie-, il nourrit l'évolution des rebelles tchétchènes vers l'usage du terrorisme le plus radical, illustré par la prise d'otages de Beslan en septembre 2004. Les récents affrontements de Naltchik, la capitale de la république proche de Kabardino-Balkarie ont rappelé que la contestation armée du pouvoir russe tend à s'étendre dans le reste du Caucase du Nord.

L'Europe face à la Tchétchénie

La position des principaux États européens face à la question tchétchène

se caractérise par une très grande discrétion. Si la Cour européenne des

droits de l'homme (CEDH) a condamné en février dernier la Russie pour certains des crimes commis contre des civils tchétchènes, les 25 n'ont jamais pris de sanctions à son encontre et n'ont émis que des protestations très limitées. Pourtant, le cas tchétchène illustre bien toute la distance qu'il y a aujourd'hui entre la Russie et les principes de respect des droits de l'homme, de protection des minorités et de démocratie défendus par l'UE. Au-delà des justifications officielles de cette position - la poursuite d'un dialogue étroit avec Moscou risquant d’être menacée par des critiques trop affirmées- , il existe des raisons économiques à ce silence stratégique : la Russie représente un marché d'importance croissante et dispose de matières premières convoitées, gaz et pétrole en tête. Cependant, le poids économique de la Russie reste limité de même que la dépendance énergétique de l'Europe occidentale envers elle. Les motivations d'ordre diplomatique détiennent en outre une influence non négligeable : en conservant son siège de membre permanent au Conseil de sécurité de l'ONU, la Russie dispose d’un atout essentiel dans le jeu diplomatique mondial.

Le tableau n’est cependant pas si noir : la coopération entre les deux parties a connu des progrès récents. Au Sommet EU-Russie en 2003, quatre « espaces communs » ont été adoptés au sein de l'accord de coopération conclu en 97 avec Moscou : celui concernant la liberté et la justice permet une discussion régulière sur les droits de l'homme et par extension, la question tchétchène. De même, l'importante aide humanitaire apportée par la Commission européenne devrait donner à l'UE un droit de regard croissant en Tchétchénie.