Symboles religieux : ce que dit la justice européenne
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Sonia GrigtVoile islamique, crucifix dans les salles de classes, burqa, sécurité et condition féminine. Lech Garlicki, l'un des juges de la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH), revient avec cafebabel.com sur les dernières décisions de la CEDH autour de la question des symboles religieux. Détrompez-vous, la burqa n'est pas seule sur le banc des accusés.
En France, deux filles de 12 ans expulsées de leur collège pour avoir refusé de retirer leur voile islamique en cours de sport ont porté plainte devant la justice française, puis devant la CEDH. En Italie, un père a eu recours à la justice pour se plaindre de la présence de crucifix dans les salles de classe. En Turquie, une jeune étudiante voilée s’est plainte d’avoir été privée de présentation aux examens. Religion, droits et libertés sont au cœur de quelques-uns des cas les plus connus auxquels ait été confrontée la Cour Européenne des Droits de l'Homme (CEDH) ces dernières années. L'un de ses juges, Lech Garlicki, nous en commente les décisions, les arguments pris en compte et insiste sur la nécessité que l’Europe s’asseye autour d’une table pour réfléchir à ces questions.
Standards minimaux
Le débat est ouvert. Il ne reste plus qu’à l’Europe de décider où fixer les limites, pour le moment confuses et controversées, entremêlées entre liberté de croyance, laïcité, droit à l’éducation et égalité. En effet, les contextes sont très différents selon les États, note Lech Garlicki qui, depuis 2002, fait partie de la CEDH et a participé à un séminaire international sur les symboles religieux dans l’espace public, organisé par la Fondation Euro-Arabe des Hautes Études de Grenade en Espagne. « La Convention Européenne des Droits de l’Homme ne vise pas l’uniformité, mais prétend fixer des standards minimaux », signale-t-il. Dans le cas de l’étudiante turque Leyla Sahin, ajoute le juge, on a fortement pris en compte le contexte où la majorité des étudiants était de religion musulmane, contrairement à ce qu’on observe en général en Europe. Cette étudiante s’adressa à la Cour de Strasbourg après que l’Etat turc l’empêcha d’étudier et de passer les examens vêtue d’un voile islamique, mais la Haute Instance a considéré que cette mesure était juste. Sur quoi a statué la cour ? Étant en présence d’une majorité musulmane dans les salles de cours, si cette mesure n’existait pas, « il se créerait un contexte particulier où porter ou non le voile islamique pourrait être utilisé comme un moyen de pression sur les étudiantes qui n’en portent pas », explique le juge.
Retirer la burqa n'est pas retourner sa veste
Toutefois, ce n’est pas parce que la situation est différente en France que la Cour a donné raison aux parents de Belgin Dogru et Esma-Nur Kervanci. Ces deux filles de 12 ans furent expulsées du collège pour avoir refusé d’obéir quand leurs professeurs d’EPS leur demandèrent de retirer leur voile pour participer au cours. Dans ce cas, on a considéré que « étant donné que la Constitution française spécifie qu’il s’agit d’un Etat laïque », indique le juge, « de telles normes peuvent être appliquées dans les collèges publics ».
Quand il s’agit d’un vêtement comme la burqa, l’aspect sécuritaire peut entrer en ligne de compte. De fait, certains pays disposent déjà de normes qui interdisent de se masquer le visage, lors de manifestations publiques notamment, car cela empêche de reconnaître « qui fait quoi », souligne-t-il. « Si, dans un contrôle d’aéroport, je suis contraint de retirer ma veste alors il est normal qu’une personne qui porte la burqa dusse l’enlever aussi », ajoute-t-il.
Croisade contre les crucifix
Mais pour les situations dans lesquelles le « facteur sécurité » n’entre pas en jeu, la question de fond, selon lui, est le message que l’on transmet à travers ces tenues et de savoir si cela est compatible avec la nature et la mission d’un collège public, à titre d’exemple. « Certains disent qu’il s’agit seulement d’une manifestation de la religion, d’autres que c’est un symbole de subordination de la femme », constate le juge. « Personnellement, je ne sais pas laquelle des deux propositions est vraie, mais dans la société européenne des opinions extrémistes se développent à ce propos et je crois qu’on devrait trouver un accord là-dessus ». Dans le cas de Solie Lautsi, là encore, la religion et les salles de classes sont au cœur du débat : il s’agit d’une mère de famille qui protesta auprès de la Cour Européenne contre la présence de crucifix dans les collèges italiens, arguant que cela portait atteinte à la liberté religieuse des parents et des enfants. Dans ce cas, la Cour s'est dite en faveur du retrait de ce type de symboles et a imposé une amende pour préjudice moral à l’Etat italien qui, pour le moment, a décidé de faire appel de la sentence.
La Convention Européenne des Droits de l’Homme, dans son article 9, énonce la liberté de pensée, de conscience et de religion ainsi que le droit de les manifester. Mais, en même temps, elle invite à limiter ces droits, seulement dans des cas déterminés par la loi, et dans lesquels la sécurité, le maintien de l’ordre, la santé, la morale ainsi que les droits et libertés de chacun, au sein d’une société démocratique, l’exigent. Le travail de la Cour est de décider pour chacun des cas s’ils se situent d’un côté ou de l’autre de la ligne de démarcation. Pour la société européenne, ce n’est pas encore extrêmement clair.
Photos: principal ©roberto_berna /Flickr; Lech Garlicki ©Ester Arauzo; cruz ©ashe-villain/ Flickr
Translated from Lech Garlicki y la religión en tela de juicio: símbolos en el banquillo