Sur les chemins de l’Histoire en Pologne
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Entre l’Histoire des manuels d’histoire - géo et le ressenti que les populations ont de leur propre histoire, il y a, on le sait, un gouffre. Il est sans doute plus aisé de le cerner quand il ne s’agit pas des chroniques de sa nation. Avant mon séjour en Pologne, guide de voyage en main et sites internet à portée de souris, j’ai cherché mon itinéraire.
La Pologne était un pays que je ne connaissais absolument pas et les quelques mentions qui y avaient été faites lors de mes cours d’histoire et de géographie au collège et au lycée n’allaient pas vraiment m’éclairer. Je voulais découvrir la Pologne d’aujourd’hui – fort éloignée de l’image que les Français s’en font bien souvent. Mais j’entendais aussi « chercher l’Histoire » particulièrement celle de la Seconde Guerre mondiale. À l’école, on nous avait présenté la Pologne comme le pays où les nazis avaient bâti les camps de concentration et d’extermination. Mais c’est tout, ou presque, comme si ces évènements s’étaient passés sous anesthésie générale, dans une sorte d’indifférence. Notre professeur avait à peine évoqué l’insurrection du ghetto de Varsovie – mais il faut avouer qu’il est impossible d’entrer dans les « détails » (ah, quel mot !) quand on a moins de neuf mois pour retracer l’histoire de l’Europe de la Première Guerre mondiale à la décolonisation. J’ai aussi dans un coin de mémoire les scènes de films où les paysans voisins des camps « accueillaient » les occupants des trains par des gestes macabres. Quelle qu’ait été la réalité de ces gestes, il est difficile de se défaire du poids de certaines images. Plusieurs des Polonais avec lesquels j’en ai parlé m’ont avoué souffrir de cette image de pays antisémite : une nation qui ne pouvait pas ne pas savoir ce qui se passait sur son sol mais qui n’a pourtant rien fait. L’antisémitisme existe en Pologne, comme malheureusement dans beaucoup de pays – le nôtre n’est pas épargné - ; mais si les camps ont été créés en Pologne, ce n’est pas par les autorités légitimes, mais par le IIIe Reich. Après l’annexion par le Reich, les Polonais sont comme dépossédés de leur sol, obligés d’accepter la présence des nazis et leurs agissements ; pris entre le marteau nazi et l’enclume communiste. Le souvenir de cette occupation est encore assez douloureux aujourd’hui.
Il n’y a pas eu de soulèvement de masse contre les camps. Mais la résistance s’est organisée à l’intérieur comme à l’extérieur du ghetto à Varsovie. Malgré des réseaux structurés, il était impossible de terrasser l’occupant ; mais l’armée souterraine s’est battue pour ses valeurs, pour sa patrie. Lors du soulèvement de Varsovie, 18 000 insurgés trouvent la mort et la population civile paie un plus lourd tribut encore, avec 180 000 victimes. C’est cette résistance qui est désormais mise en valeur.
Las de la chape de culpabilité que l’on laisse volontiers planer sur la Pologne, les autorités actuelles ont décidé de valoriser cette résistance polonaise, fierté nationale et preuve, face à l’opinion internationale, de la réalité du combat contre l’Allemagne nazie. Le musée de l’Insurrection de Varsovie a d’ailleurs récemment vu le jour. Un musée exemplaire au point de vue de la muséographie (on circule au milieu des ruines, dans un bunker, une imprimerie clandestine, ...) très riche en informations et accessible à tous (même aux enfants : les documents les plus durs sont signalés et hors de leur portée).
Sans nier l’horreur de la Shoah, l’accent est mis sur la résistance des polonais, ce qui a pour effet de distinguer deux aspects de l’histoire de la Seconde Guerre mondiale : d’un coté l’histoire des Juifs et de l’autre le martyr des polonais. Une dame d’une quarantaine d’années a été surprise, presque choquée que j’accorde une journée entière à la Route à la mémoire du martyr juif à Varsovie. Son message était en substance : Varsovie ce n’est pas que le drame des Juifs, le peuple polonais a aussi beaucoup souffert. J’ai eu la grande chance qu’elle sorte pour moi le carnet de bord qu’un habitant de Varsovie a écrit au jour le jour pendant la guerre ; à côté des textes, des photos : les destructions, les blessés, l’omniprésence des troupes allemandes en ville. Un témoignage précieux et poignant !
Il n’est pas question de comparer les malheurs, de chercher à qui remettre la palme du martyr ; mais plus de soixante ans après la fin de la guerre, toutes les blessures ne sont pas refermées. Après les ravages de la guerre et les années sous le joug de Moscou, il semble important pour la Pologne d’aujourd’hui de regarder du coté de ses héros, de ceux qui se sont battus pour leur patrie – tout comme la France a eu besoin de la Résistance pour tourner la page de la Collaboration et de Vichy.