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Sur la route de Srebrenica en Bosnie
Published on July 6, 2010
Politique
Avec le souvenir des images de guerre vues à la télévision, un jeune Italien s'est rendu en Serbie puis en Bosnie, à la recherche des traces d’un conflit trop vite oublié. 15 ans après le massacre de Srebrenica, cafebabel.com renoue avec cet évènement tragique et fondateur.
Une tonitruante fanfare joue sur le bord de la route qui me conduit à la frontière bosniaque. Je ne résiste pas à la tentation : j'appuie sur le frein et descends de voiture pour savourer le folklore serbe. C'est une famille qui arrose le départ du fils au service militaire ; musiciens et parents viennent à ma rencontre et simplement m'invitent à leur table pour faire la fête avec eux. Je suis à peine assis que me voilà cerné de viande et de vin. L'oncle, à mes cotés, a devant lui un billet de banque : il boit à tire-larigot et remplit mon verre dès qu'il est vide ; le père insiste pour que je prenne la pose avec son fils pour une photo souvenir.
(©Giacomo Rosso)
Plus tard, la vieille grand-mère se lève comme un ressort et fracasse une bouteille de bière sur le sol. Les tessons ne seront ramassés qu'à la fin des réjouissances : c'est sa manière à elle de souhaiter bonne chance à son petit-fils. « Où est-ce que tu vas, comme ça ? » , me demandent-ils. J'élude un peu : « Dans le Sud, je vais visiter les monastères orthodoxes », mais en réalité c'est la Bosnie qui m'intéresse. A quinze ans de la fin du conflit dans les Balkans, les tensions entre les deux pays sont encore nombreuses, mais par ici personne n'a envie de parler du passé, ni de la guerre.
(©Giacomo Rosso)
Entrer en Bosnie n'est pas aussi facile que je ne l'imaginais, et ni les cartes routières ni les guides touristiques ne me sont d'un grand secours. Après avoir quitté la route principale, je grimpe dans les collines et atteins enfin la frontière : deux petites guérites m'attendent sur le bord de la route, où des douaniers qui s'ennuient me laissent passer sans me poser trop de questions.
(©Giacomo Rosso)
A peine la frontière franchie, je réalise que quelque chose a changé : le paysage dans lequel j'évolue est bien différent de celui de Serbie ; ici la plupart des maisons sont encore marquées par la guerre. Eclats et impacts de balles sont omniprésents, il est quasiment impossible de trouver un édifice intact. Beaucoup d'habitations ne sont guère que des refuges de montagne. Ceux qui ont pu reconstruire leur maison l'ont fait à coté de l'ancienne, détruite par les mortiers des artilleries serbe et bosniaque.
(©Giacomo Rosso)
Je feuillette nerveusement mon guide. C'est un exemplaire récent et bien mis à jour, je suis donc tout à fait sûr d'y trouver les informations pour atteindre Srebrenica, ma première étape.
(©Giacomo Rosso)
Cette ville bosniaque est devenue tristement célèbre en juillet 1995, quand son enclave musulmane a été la cible d'une brutale opération de nettoyage ethnique. Les milices du commandant Mladic, toujours recherché pour crimes contre l'humanité, ont fait irruption dans une ville officiellement protégée par l'Onu, raflant et massacrant, chez les musulmans, tous les hommes adultes. Les estimations officielles comptent 7 800 victimes assassinées ce jour-là. Si les milices de Mladic ont pu mener à bien leur entreprise démente, c'est aussi à cause de l'absence de réaction du contingent des casques bleus, 450 soldats hollandais qui auraient dû garantir la sécurité de la communauté musulmane.
(©Giacomo Rosso)
Malgré son importance, on dirait que Srebrenica n'existe pas : dans mon guide, aucune information utile pour rejoindre la ville. On trouve d'elle quelques vagues traces dans l'introduction à la Bosnie, mais rien sur les raisons du massacre, et encore moins sur les manquements gravissimes qui entachent la conscience de l'Onu.
(©Giacomo Rosso)
Il faut quitter la ville, et prendre la route principale vers le Sud, pour trouver un signe tangible du massacre de Srebrenica. C'est en suivant cet axe qu'on se trouve nez-à-nez, presque involontairement, avec le mémorial du massacre : un gigantesque complexe encore inachevé, où gisent côte à côte, sous de modestes pierres tombales blanches, les corps de plus de 5 000 personnes, pour certains non identifiés.
(©Giacomo Rosso)
Quinze ans après le massacre, beaucoup de choses ont changé. La ville
qui s'ouvre à moi est un village de montagne à peine plus grand que
ceux que j'ai traversés pour arriver jusqu'ici. Manifestement, personne
n'a envie de se rappeler ce triste souvenir. Tous ont hâte de remettre
le village sur pied.
La mosquée et la madrassa [école religieuse, ndt] viennent d'être reconstruites, et les maçons mettent encore la dernière main aux finitions.
(©Giacomo Rosso)
Je découvre que la reconstruction des édifices n'est financée ni par l'UE, ni par l'Onu, mais par une ONG iranienne, Birds. Du moins c'est ce qu'indique la plaque commémorative sur le mur de la madrassa. J'écris quelques mails à l'ambassade iranienne depuis un cybercafé, pour demander de plus amples informations sur les activités de reconstruction du pays, mais n'obtiens aucune réponse.
(©Giacomo Rosso)
Arrivé à Sarajevo, je me rends à l'ambassade d'Iran, à la recherche d'informations sur ce que j'ai vu. Là aussi je me heurte à une porte fermée, l'ambassade de la République islamique à l'air déserte. Quand l'agent de service s'approche et me confirme que tous les bureaux diplomatiques sont vides, je suis submergé par un sentiment d'abandon : massacreurs et massacrés se précipitent vers l’oubli, en ignorant ce qui s'est passé ici.
(©Giacomo Rosso)
Translated from Srebrenica dimenticata
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