Style baltique
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Daiva Urbonaviciüté, 33 ans, est styliste à Vilnius. Sa marque, à la fois originale et confortable, est bien partie pour infecter l’Ouest.
Dans la rue piétonne Stikliu, près de la Mairie de Vilnius, une boutique baptisée ‘Zoraza’ retient l’attention du passant. L’endroit est minuscule : à peine quelques mètres carrés où des vestes de cuir, des fourrures, des robes de dentelles, des bottes multicolores, des robes de coton, des jupons à fleurs, des tee-shirts customisés, un grand miroir et deux fauteuils anciens sont présentés dans un heureux désordre. Dans cette petite pièce aux allures de showroom, Daiva Urbonaviciüté expose ses créations.
Un atelier boutique aux allures de boudoir. Derrière, un petit atelier déborde de coupons de tissus, de coupures de magasines de mode et de croquis. Un ordinateur encombre la table à dessiner sur laquelle sont étalées les photos de son dernier défilé.
Daïva semble fière du chemin qu’elle a parcouru et de son petit magasin au cœur de ce quartier où vient traîner « la crème de la crème » de la capitale. Elle est loin l’étudiante de l’Académie des Beaux-Arts de Vilnius qui travaillait pendant 5 mois sur sa petite machine à coudre pour créer une collection et investissait toutes ses économies dans un petit défilé.
Maintenant Daiva Urbonaviciüté, styliste reconnue et appréciée par la jet-set et les businessmen, a sa propre marque ‘Zoraza ‘et a pu embaucher une directrice manager qui administre la vente de ses créations.
Vilnius est une petite ville et la marque Zoraza s’est rapidement fait une bonne réputation. La mode c’est la passion dévorante et contagieuse de cette jeune femme timide. ‘Zoraza’ vient d’ailleurs du mot d’argot russe signifiant infection : selon la styliste « la mode doit infecter tout le monde. » Sa création détonne et surprend.
A ses ouvrières qui travaillent dans un petit atelier au-dessus du magasin elle leur prie d’oublier ce qu’elles ont appris pour acquérir sa mentalité et son style, « par exemple à ne pas faire une couture toute droite et parfaite mais plutôt instable et courbée pour que le vêtement soit plus vivant et souple. »
Sa mode
Comme un virus, le style Zoraza contamine tout doucement. Faisant fi de toute tendance internationale, Daïva Urbonaviciüté crée des vêtements selon ses envies et non selon la mode. S’inspirant tantôt de costumes de théâtre, tantôt de son imaginaire, tantôt d’illustrations de vieux illustrés, elle dessine et invente presque sans s’en rendre compte. Ses deux principes : le confort et le style.
L’essentiel pour cette jeune créatrice inclassable c’est d’être à l’aise avant d’être stylée, c’est pourquoi elle ne s’habille qu’avec ses créations, non par snobisme mais au contraire pour se sentir bien.
Daïva Urbonaviciüté fait de la mode sans être à la mode et c’est cela qui séduit. Ni classique, ni contemporaine, elle demeure en marge depuis ses débuts à la fin des années 90. D’ailleurs, dès le départ elle prévient ses clients : « soyez bien dans votre peau, car avec mes vêtements tout le monde va vous regarder dans la rue ».
Humble sur sa réussite et consciente de son potentiel, elle se souvient des remarques de certains étrangers, à ses débuts, qui entrant dans sa boutique demandaient ‘si ça vient de Londres ? de Paris ? de Milan ?’ « Non, » leur répondait-elle fièrement, « de Vilnius ! »
Succès londonien
Bien que rien n’ait été facile, cette femme souriante aux doigts d’or ne garde aucun mauvais souvenir des difficultés traversées. « Au départ, c’était difficile pour moi, je n’avais jamais créé pour vendre ; je créais dans une démarche artistique et les défilés étaient avant tout pour moi une performance artistique. » Aujourd’hui, Daïva vit bien et se prend à rêver de travailler quelques années avec Comme des garçons, Christian Lacroix, Vivienne Westwood ou encore d’ouvrir un magasin à Londres ou à Tokyo.
Cette jeune femme réservée a les yeux qui pétillent lorsqu’elle nous raconte l’histoire d’une de ses amies, chanteuse, qui vit à Londres. Régulièrement, par téléphone, son amie lui demande de venir s’installer à Londres, car « elle ne peut pas sortir avec la veste que j’ai dessinée dans la rue sans que tout le monde l’arrête pour savoir où elle se l’est procurée. » Pour l’instant, il est mieux de rester à Vilnius. « Je pourrais peut-être gagner plus d’argent ailleurs, mais ici, les gens aiment ce que je fais et je ne sais pas comment ma production serait reçue. Pour moi, recevoir une réponse à ma création est l’essentiel. »
Dès qu’elle parle couture, le visage de Daïva Urbonaviciüté déborde d’un large sourire. Cette styliste à l’imagination intarissable aime son métier. Humblement, elle avoue qu’elle ne reconnaît pas toujours ses vêtements une fois qu’ils sont portés ou tout simplement réalisés. « Souvent lorsque les couturières m’apportent les vêtements que je leur avais déposés en croquis quelques semaines plus tôt, je ne les reconnais pas. C’est parfois si beau et si étonnant que je ne comprends pas comment j’ai pu avoir une telle idée. »