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Strasbourg : quand le Parlement pollue

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Politique

L’empreinte carbone du Parlement européen à Strasbourg a fait couler beaucoup d’encre depuis les dernières années jusqu’à provoquer une guerre des chiffres sans précédent entre les défenseurs et les détracteurs de l’institution. Une chose est certaine, chiffres à l’appui ou non, le déplacement des eurodéputés d’un parlement à un autre émet une quantité considérable de dioxyde de carbone.

Chronique d’une confusion annoncée.

C’est une tâche difficile de comprendre les calculs et résultats d’émissions de CO2 pour le commun des mortels. Christophe Fliegans, fondateur de la société Carbone11 qui se spécialise dans la réalisation de bilan carbone, croit qu’il existe beaucoup de raccourcis lorsque l’on parle d’empreinte carbone. Il prend comme exemple la nouvelle loi de l’étiquetage carbone sur les produits de consommation qui entrera en vigueur en juillet prochain. « Les consommateurs n’y comprendront rien parce que le résultat ne sera pas expliqué. » Selon lui, une étude du genre sur le Parlement européen prendrait jusqu’à six mois pour connaître le réel impact environnemental des deux sièges et demanderait une myriade de données pour en arriver à un résultat le plus près possible de la réalité. De plus, il n’existe pas de paramètres stricts pour ce genre de calcul. Un protocole existe et donne les étapes pour calculer l’empreinte carbone, mais n’est pas obligatoire : les résultats peuvent donc différer selon les données calculées.

Quoi qu'il en soit, à Strasbourg, on utilise l'énergie vertre certifiée EMAS

« Il n’y a rien de tout blanc ou de tout noir. Il n’y a aucun doute que le fait de prendre l’avion et que tout le matériel soit en double polluent »

Un des plus grands adversaires du Parlement de la capitale alsacienne, les Verts britanniques, a pourtant tenté de remonter le défi. Ils en ont même fait leur fer de lance dans leur lutte contre le réchauffement de la planète : un document de 76 pages énumère sans équivoque les arguments environnementaux pour centraliser tous les pouvoirs du Parlement européen à Bruxelles. L’étude a toutefois quelques failles si l’on tient compte de son introduction qui met en garde le lecteur des chiffres utilisés: « Nous n’avons pas eu accès à des données de grande qualité au sujet du personnel et du transport et nous avons utilisé des données disponibles.» Or, le personnel et le transport sont les plus grands pollueurs.

« Il n’y a rien de tout blanc ou de tout noir. Il n’y a aucun doute que le fait de prendre l’avion et que tout le matériel soit en double polluent, mais ça ne s’arrête pas qu’à ça, il faut aussi prendre en compte l’âge des édifices par exemple», avance Christophe Fliegans. En effet, l’immeuble de Bruxelles est plus âgé et polluerait plus si on le compare avec celui de Strasbourg qui utilise l’énergie verte et est certifié EMAS (Eco-management and audit scheme) pour 80% de sa surface.

Au-delà des chiffres

Troy Davis, directeur de Campagne pour la démocratie européenne, et grand défenseur du Parlement européen en France, croit plutôt que c’est une stratégie politique. Il se dévoue corps et âmes pour le Parlement depuis 2007 et estime que l’argument écologique ne tient pas la route. « Avant les élections, en mal de publicité, les différents partis européens accusent le Parlement de coûter cher et de polluer parce que ce sont deux messages porteurs. »

En effet, Glenis Willmott, chef du Parti travailliste britannique, autre ennemi de Strasbourg, accuse les deux sièges du Parlement européen non pas seulement de polluer, mais de coûter cher aux contribuables. Elle estime que les coûts du déplacement s’élèvent à €180 millions par année. Un coût exorbitant qui « au moment où les Européens souffrent de la réduction de services publics et des baisses de salaires, il est injustifiable de dépenser tout cet argent sur Strasbourg. » Elle ajoute également le facteur temps qui l’empêche de travailler efficacement. Elle accuse le manque de transports rapides entre les deux parlements même depuis l’arrivée du train qui les relie qui permet une réduction de gaz à effet de serre, mais qui n’est pas aussi vite que l’avion. « Ce n’est pas bon pour la démocratie et l’efficacité du Parlement. Le transport des eurodéputés, leur équipe et tous leurs documents entre deux sièges signifie moins de temps pour faire le travail qu’ils doivent faire.»

« Nous ne devons pas avoir un système comme en France où tous les pouvoirs sont concentrés à Paris. »

Pour sa part, M. Davis croit plutôt que l’argumentaire des anti-Strasbourg brime la démocratie. Il y voit une tentative de centralisation de tous les pouvoirs en un seul endroit, Bruxelles. La décentralisation des pouvoirs, le législatif à Strasbourg, l’exécutif à Bruxelles et le judiciaire à Luxembourg prévaut sur les questions environnementales et financières. M. Fliegans de Carbone11 abonde dans le même sens : « Nous ne devons pas avoir un système comme en France où tous les pouvoirs sont concentrés à Paris.»

Donner l’exemple

Les deux proposent deux alternatives à cet enjeu qui perdure depuis quatre ans qui respecteraient à la fois la démocratie et l’environnement. M. Davis voudrait la création d’une sorte d’institution mondiale pour gérer le climat. « La réduction de CO2 est un problème de gouvernance climatique mondiale et non pas le déplacement des eurodéputés.» Pour M. Fliegans, il suffirait de rassembler le Conseil de l’Europe, la Cour Européenne des Droits de l’Homme et le Parlement européen, tous les trois à Strasbourg, sous un même toit.

Quant à Glenis Willmott, le Parlement européen doit jouer, selon elle, un rôle dans la réduction des gaz à effet de serre. « La lutte contre les changements climatiques est le plus grand défi pour le futur, il est crucial que le Parlement donne l’exemple en réduisant son empreinte carbone. » D’autres croient plutôt que les eurodéputés devraient mettre en application les lois qu’ils votent dans leur vie de tous les jours. À cela Mme Willmott répond qu’elle voyage exclusivement en train pour son travail. « J’essaie toutefois de faire de même pour Strasbourg, mais malheureusement le voyage est tellement long que parfois, c’est impossible. » 

Cet article fait partie de Green Europe on the ground 2010-2011, la série de reportages réalisés par cafebabel.com sur le développement durable. Pour en savoir plus sur Green Europe on the ground.

Photos : Une (cc) Dante Alighieri/Flickr, Atomium (cc) fatboyke/flickr ; Strasbourg Parlement européen © Gen ; Video emimusic/Youtube