« StoryLab », incarnation de l’édition du futur ?
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Par Grégory Philippe Fin 2011, la mairie de Paris inaugurait, au cœur du quartier historique des éditeurs, le Labo de l’édition. L’objectif de cet incubateur d’entreprises ? Héberger et donner les moyens aux startups de l’édition numérique de se développer pour devenir peut-être, demain, les grands acteurs d’un marché qui pourrait peser, à l’échelle mondiale, 5,4 milliards d’euros en 2015.
Portrait de l’une de ces entreprises, StoryLab, qui se présente comme le premier éditeur français entièrement numérique.
Quatre passionnés de littérature travaillent au sein d’un grand groupe média. Or, en cette fin des années 2000, l’édition numérique commence à émerger. Les géants de l’Internet, tel Amazon, commencent à distribuer leurs premiers livres électroniques et autres liseuses. A l’étranger apparaissent même des concepts novateurs : au Japon, certains mangas sont désormais distribués épisode après épisode sur Smartphone. Inspirés par l’air de temps, les quatre collègues aux profils complémentaires – un marketeur, un éditeur, un ingénieur et un juriste – fondent StoryLab.
Lire cul-sec
L’objectif ? Devenir le premier éditeur entièrement numérique. Pour ce faire, StoryLab s’appuient sur deux concepts innovants : proposer des livres compatibles avec toutes les plates-formes mobiles et proposer des œuvres au format court. Outre-Atlantique, ces publications d’ouvrages courts entièrement numériques ont fait leurs preuves. Dès début 2010, StoryLab lance ses premières applications pour Smartphones.
Reste ensuite à susciter la création d’œuvres originales. Dans un premier temps, StoryLab expérimente plusieurs genres, tellela science-fiction ou la romance, « jusqu’à ce que l’on constate que c’était la littérature urbaine – aux codes proches des séries télé – qui suscitait le plus d’intérêt », souligne Nicolas Francannet, l’un des cofondateurs. Dans cette veine, StoryLab lance sa collection One Shot, avec ses livres à moins d’un euro se lisant en moins d’une heure. Cul-sec.
Aujourd’hui, StoryLab compte 80 titres et 50 auteurs. Mais qui sont ces auteurs qui relèvent le pari d’œuvres totalement dématérialisées ? Ce sont pour la plupart des auteurs confirmés avec qui StoryLab a choisi d’entretenir un rapport traditionnel. Ainsi trois employés se consacrent-ils à temps plein à l’édition des œuvres. Nicolas Francannet voit dans cette importance accordée à l’accompagnement éditorial la preuve que l’édition numérique n’est pas cette « sous-édition » à laquelle l’assimilent ses pourfendeurs.
StoryLab lâche les Frain, Chesnel et Dudek
Storylab doit cependant se démarquer des maisons traditionnelles sur un point : familiariser les auteurs avec les codes d'écriture du « format court », des codes plus proches de ceux du scénario que de ceux du roman. Nicolas Francannet note d’ailleurs que « les auteurs qui ont le plus succès sont souvent scénaristes de formation. » Pour d’autres, c’est l’occasion de s’essayer à une nouvelle écriture. L'exemple d'Irène Frain est éloquent : cette grande romancière, rompue à l’écriture de romans fleuves, a dit « adorer » écrire et publier chez Storylab.
L’apparition de ces nouveaux acteurs dans le paysage français de l’édition profite également aux néophytes de l’écriture bien que le cofondateur de Storylab précise que la sélection est rigoureuse et que peu de manuscrits reçus sont publiés. StoryLab n’en sait pas moins accompagner les jeunes auteurs talentueux. Le parcours de Fanny Chesnel et Arnaud Dudek: ces deux écrivains, publiés chez Storylab, se sont vus tous deux nominés pour de prestigieux Prix (lauréate du prix Exbrayat 2011 pour la première, prix Goncourt du premier roman pour le second).
Irène Frain
Réhabiliter le « temps long »
StoryLab ambitionne désormais de diversifier son offre en s’essayant à la non-fiction. Avant l’été, l’éditeur publiera ses premiers essais et reportages, des œuvres qui conjugueront approches journalistique et littéraire. Ce faisant, elles s’inscriront dans cette nouvelle tendance qui consiste, dans le journalisme, à réhabiliter le « temps long », à l’instar de ce qu’a entrepris, sur le papier, le périodique XXI. Comme pour les œuvres de fiction, la possibilité d’écrire des articles différents de ceux que propose la presse ordinaire reviendra, dans un premier temps, à des journalistes confirmés.
Mais le secteur de l’édition n’implique pas que des éditeurs et des clients, il y a aussi des distributeurs. Or ces derniers sont principalement Amazon, Apple et bientôt Google et les ambitions de ces mastodontes de l’Internet inquiètent. Le rapport houleux entre Amazon et Hachette Livres, éditeur traditionnel, l’illustre. Toutefois, ajoute Nicolas Francannet, « s’il est normal que les rapports entre ces géants et les vieux éditeurs soient tendus, nous, éditeurs numériques, sommes nés avec ces géants et avons appris à grandir à leurs côtés. » Pour l’heure, ces distributeurs n’ont, du reste, pas encore appris les ficelles du métier d’éditeur, tout au plus permettent-ils à qui veut de s’autoéditer à ses frais.
Autre défi, éditeurs et distributeurs devront penser un modèle tarifaire conciliant au mieux leurs intérêts et ceux des auteurs et lecteurs. StoryLab a, pour sa part, déjà fait le choix de rémunérer généreusement ses auteurs : « deux fois plus que chez les éditeurs traditionnels », affirme Nicolas Francannet, afin de compenser le risque pris à publier sur des supports suscitant aujourd’hui moins d’engouement que le livre papier. Le livre numérique n'en offre pas moins des avantages certains pour les auteurs, même en dépit de petits volumes : la gestion de stocks immatériels augmente ainsi considérablement les cycles de vie des œuvres.
Quant au lecteur, s’il se voit aujourd’hui principalement proposé des achats de livres à l’unité, d’autres types d’offre pourraient, à terme, émerger, tels des systèmes d’abonnement similaires à ceux qu’offrent les distributeurs de musique en ligne. Ainsi Storylab propose-t-il, depuis 2011, aux clients d’un opérateur téléphonique de télécharger trois livres moyennant quatre euros par mois. De plus en plus d’éditeurs s’intéressent également à un modèle financé en totalité ou en partie par la publicité.
L’enthousiasme suscité par l’édition numérique semble donc surpasser les craintes liées aux écueils et aux incertitudes.Entre 2010 et 2011, les ventes de livres numériques ont progressé de 50 %. Sans surprise, les éditeurs traditionnels portent donc un intérêt croissant à cette activité. Preuve en est, StoryLab vient de publier, en partenariat avec l’un d’eux, la version numérique d’une méthode de langue ( une méthode langue ?) et il collabore avec un autre grand éditeur pour publier simultanément les versions papier et multimédia du nouveau livre d’un écrivain renommé, une première en France.
Parce qu’il n’a pas échappé à certains investisseurs que l’édition numérique sera l’un des relais de croissance de ces prochaines années, Storylab devrait voir ses moyens financiers augmenter en . Ce sera l’opportunité d’étoffer son offre sur les plans éditorial et technologique. Le développement de l’offre s’impose, du reste, comme une nécessité selon Nicolas Francannet . Les grands gagnants de ces batailles pourront être des auteurs et des lecteurs qui accéderont plus facilement qu’aujourd’hui à un marché du livre qui, par là-même, gagnera en vitalité.2012: « en 2011, les cartes du secteur ont déjà commencé à être rabattues. Les acteurs apparaissent et disparaissent. Quant aux distributeurs, ils affirment leurs positions, notamment pour contrer les nouveaux-venus : en 2012, Google deviendra distributeur d’ebooks, tout comme Fnac et Barnes & Noble. C'est aujourd'hui que doivent être développés les catalogues et marquées les positions vis-à-vis des concurrents »
Photos : courtoisie de la page Facebook officielle de StoryLab