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Steve James : rencontre avec le maître du documentaire

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Steve James était présent aux Festival international du documentaire à Amsterdam. Entre interview, discussion et match de basket, j'ai décidé de tester le meilleur réalisateur de documentaire américain. Money time.

Steve James, célèbre documentariste américain auteur (notamment) du remarqué Hoop Dreams (1994), est assis au fond de la brasserie Schiller, son ordinateur posé sur la table. Certains rêvent de rencontrer des acteurs d’Hollywood, moi je préfère les réalisateurs de documentaires. J’avoue que j’ai même un petit faible pour Steve, cet homme au regard doux, qui m’accueille chaleureusement. J’avais vu son dernier film The Interrupters, à Détroit (USA). Un bouleversant portrait de trois jeunes membres de l’association CeaseFire, luttant contre la violence en plein cœur d’un quartier chaud de Chicago. Mon interlocuteur est curieux de savoir ce qui m’a amenée à Motor City. Je lui explique que je travaille sur un webdocumentaire sur la ville ()… J’aime ces interviews qui se transforment en véritables dialogues.

Steve est de retour à l’IDFA pour une rétrospective de ses œuvres et un top 10 de ses documentaires favoris. James, en « vétéran » du docu en quelque sorte. Pas pour l’Academy Awards, qui vient de snober son dernier opus. Qu’importe, Steve James reste fidèle à Amsterdam. Flatté par le traitement de faveur que lui réserve, « le premier festival documentaire au monde, toujours leader de sa catégorie », il ne tarit pas d’éloge sur le public amsterdamois. Tout en s’amusant de certaines différences culturelles : « ici, le public donne l’impression de moins réagir qu’aux États-Unis au cours de projections. En réalité, après le film, c’est souvent l’effusion ! Pour mon film, "Stevie", une discussion a éclaté lors d’une séance de questions-réponses, où je n’avais pas pu me rendre. Certains me reprochaient d’avoir fait ce film, d’autres me défendaient bec et ongle ! Bref, les passions sont là à l’IDFA, c’est fabuleux de voir ça ! »

Heureux.Bien d’accord avec Steve James sur ce point, je diverge sur un autre : pourquoi parler d’« âge d’or », du « cinéma du réel », à l’heure où réaliser des documentaires semble plus délicat que jamais ? A vrai dire, tout est question de recul, et ce n’est pas Steve James qui en manque, lui qui a commencé sa carrière à la fin des années 80. « Quand j’ai commencé mes études de réalisation personne n’aurait envisagé faire carrière dans le documentaire. Aujourd’hui, je rencontre sans cesse des jeunes qui veulent devenir documentaristes. Ce qui ne veut pas dire que ça soit facile d’en vivre – loin de là -, mais il y a bel et bien eu une explosion documentaire. La demande s’est accrue de la part des festivals et des télévisions. D’où un certain âge d’or. Bien sûr, il y a toujours cette peur de ne pas réussir à joindre les deux bouts, c’est difficile de se faire une place mais avec l’émergence de nouvelles technologies (plus besoin de caméraman, ni de studio), les jeunes réalisateurs ont globalement plus d’opportunités que quand j’ai démarré. Il y aussi eu une explosion des genres : il y a des documentaires de type cinéma vérité, d’autres axés davantage information/enquête, il y a même des documentaires qui flirtent avec la comédie. »

« Hoop Dreams : deux des personnages du documentaire ont été assassinés depuis »

Si Steve James savoure les écrans documentaires du nouveau millénaire, il n’est pas pour autant une machine à produire… « Je crois que le point de départ de tous mes films a été quelque chose que j’avais besoin de comprendre mais qui m’échappait, quelque chose qui me dérangeait. Par exemple la genèse de "The Interrupters" a à voir avec "Hoop Dreams" : deux des personnages du documentaire ont été assassinés depuis. J’avais besoin de rechercher la cause de cette violence. » Sport et événements de la vie de Steve James ressortent souvent dans ses œuvres. Rien d’étonnant pour quelqu’un qui a grandi dans une famille de sportifs et qui a fréquenté la culture afro-américaine au basket. « Le soir, je rentrais, bien loin de tout ça, dans mon quartier blanc de Hampton, en Virginie… Dans Hoop Dreams, j’ai voulu explorer ce que le basket signifie pour les noir Américains. » Pour moi, c’est déjà la mi-temps. Très fair-play, Steve me retrouvera pour des prolongations futuristes, où les anciens affronteront les modernes ! Enfin presque…

Steve James se qualifie lui-même de documentariste plutôt « tradi ». Sans aller jusqu’à renier les opportunités offertes par « un monde qui a changé ». « Quand quelqu’un m’a dit pour la première fois qu’il avait regardé mon film sur son téléphone, j’étais à la fois horrifié et content ! » déclare-t-il, toujours en riant. The Interrupters vient de bénéficier du fond « nouveaux médias » du festival de Tribeca (TFI). « Nous allons offrir une plateforme en ligne interactive où par exemple à partir d’une des scènes du film, les internautes pourront rendre hommage aux victimes de leur choix. Ils pourront aussi en savoir plus sur les victimes dans le film, sur ce qu’en ont dit les médias etc… Tout cela permet de faire vivre le film d’une autre manière. Les nouvelles technologies ne font pas disparaître les précédentes, les cinémas n’ont pas été remisés avec l’expansion de la télévision, ni la télévision avec internet ! ». Enthousiaste, Steve James me lance, le rire au coin des lèvres, « j’espère quand même que les internautes iront voir mon film ! »

Hélène Bienvenu travaille sur un webdocumentaire portant sur la ville de Détroit. Sur son blog multimédia www.detroitjetaime.com, elle relate le combat des Détroiters, gonflés à bloc, pour redonner un nouveau souffle à leur cité. (Page Facebook et Twitter)

Photos : Une et texte © Helène Bienvenu Vidéos : The Interrupters (cc) DocumentaryTrailers/youtube ; Hoop Dreams (cc) DocuChick/youtube