StadtlicHH : 4 Hamburgers et un magazine urbain
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Soirée de lancement du numéro 9 de StadtlicHH (Photo ©stadtlichh-magazin.de) Le print, c’est mort ? Que nenni. Martin, Valérie, Ulrike et Anne ont créé à Hambourg leur propre magazine urbain. Reportages en profondeur, photographie, et de la place pour des surprises. Le tout est gratuit à lire. Le print, et si on pouvait encore en vivre maintenant ?, se demande Jens Wiesner. Maintenant mais vite.
Diantre, comment pourrait-on arriver en retard à un rendez-vous à 5 min seulement de sa propre porte ? C’est aussi ce que je me disais. Et là ça a duré encore un quart d’heure, entre ma station Königstrasse jusqu’au perron du Glöe. C’est dans cet adorable café souterrain près de la fameuse Reeperbahn de Hambourg que je rencontre (suant un peu, et essoufflé) Martin Petersen et Valerie Schäfers (et que j’engloutis un café au lait).
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Martin et Valerie, tous les deux la trentaine, m’ont apporté le dernier numéro de leur bébé – StadtlicHH. Double H, symbole de la Hansestadt (ville hanséatique) Hambourg. Au Glöe, la pile de ce magazine gratuit « pour les bons plans de Hambourg » est déjà épuisée. Martin se note immédiatement de venir en redéposer. A l’hiver 2009/2010, Martin et Valérie sirotaient aussi du café, mais à l’époque, plutôt en grommelant. Elle venait de démissionner d’une agence de design. Il n’était pas enchanté de son boulot dans un magazine de gaming. Ainsi, tandis que la caféine descendait dans leurs gosiers, resurgit encore et toujours à leurs esprits cette question redoutable : « Qu’est ce que je veux faire de ma vie ? Quelle direction prendre ? »
Réponse de Martin : mon propre magazine. Réponse de Valérie : mon propre magazine. Deal. « Dans la vie, on ne cesse de courir d’un point à un autre, on fait ci et ça, et on est si occupé qu’on ne se pose même plus cette question, pourtant si importante », me dit Martin. Écrire des textes, faire de la mise en page, les deux l’avaient déjà fait. Elle, designeuse en communication, a l’oeil. Lui, maîtrise d’anglais et de philosophie, sera l’homme de lettres.
Alors, que faut-il de plus maintenant ?
Il faut Ulrike et Anne, par exemple. Deux amies, qui viennent de la même branche, et qui veulent aussi faire leur propre truc. Voilà, ils sont maintenant 4. L’équipe StadlicHH– au complet.
La team StadtlicHH
A Hambourg, tout bouillonne constamment. Un tas d’artistes et autres alternatifs occupèrent le Gängeviertel, historiquement mal famé. Les vieilles bâtisses de l’époque du Gründerzeit devaient laisser la place aux désormais typiques immeubles de bureaux en verre miroir. Alors se passa, ce que même les occupants n’osaient espérer : franchissant des couches sociales irréconciliables, les Hambourgeois se sont solidarisés avec cette cause.
On se refuse à du publi-rédactionnel. On ne veut pas se foutre de la gueule de nos lecteurs
C’est devenu un grand sujet des municipales. Quelques kilomètres plus loin, les squats prenaient de nouvelles formes. Le Frappant, un des grands magasins Karstadt (une galerie marchande, ndlr) victime de la crise, fut occupé. En vain. Coups de bulldozer. Les artistes se sont déplacés ailleurs. Sur toutes ces occupations, ces squats, on ne trouvait pas grand-chose à lire dans la presse. Rien sur les raisons des occupants. On y réclamait des infos : on y trouvait la gentrification, le développement de la ville, l’explosion des prix des loyers, la boboïfication, le foot, le nouveau métro. Mais au milieu de tout ça ? « Pour moi c’était clair qu’il manquait quelque chose », explique Martin. Il prend une gorgée de café.
« Nous ne voulions pas d’un autre magazine débordant de pubs. Son apparence même devait exprimer la qualité. Les photographies prennent plus d’une page, de belles polices, des illustrations. La mise en page, c’est tout à fait aussi important que le contenu. » Nous explique Valérie. Si l’enthousiasme scintille, alors il scintille dans ses yeux. Ces DA qui sont du genre à passer au cutter textes et photos, c’est exactement ce qu’elle ne veut pas être. Valérie prend plaisir à venir aussi aux interviews, à renforcer la communication entre tous ceux qui prennent part à un article. Qu’est-ce qu’il manque encore pour ce magazine ? Ah oui, des sous. Pour être précis : 4500€, pour 6 numéros jusqu’à 10 000 exemplaires. Et maintenant, où les trouver ? L’équipe contacte 8 financiers potentiels, obtient 5 refus, 2 absences totales de réponse. Et puis voilà, la solution.
Ne pas se foutre de la gueule de ses lecteurs
Tout magazine a besoin d’un mythe fondateur, de préférence, un mythe qui soit vrai. « Les fondations pour les médias étaient notre dernière chance – même si en fait ils ne soutiennent aucun magazine papier », se rappelle Martin. Le dernier jour de l’appel à candidature, il a déposé sa demande dans la boîte aux lettres. Boîte aux lettres de nuit. Bien plus tard, vient un coup de fil, puis l’ouverture d’une bonne bouteille de mousseux.
La production des versions bêta commence en août, 100 exemplaires, un foetus qui ressemble déjà beaucoup au futur bébé. « Pour les tous premiers numéros, des publicitaires nous avaient déjà acheté des encarts », dit Martin. « Les pubs se tiennent à gauche et à droite des pages, bien séparées du contenu rédactionnel. Ce qui est vraiment important. On se refuse à du publi-rédactionnel. On ne veut pas se foutre de la gueule de nos lecteurs. »
Pour le deuxième numéro, ils font appel au crowdfunding et voilà l’affaire qui roule. On peut compter sur un financement pour les 5 prochains numéro : le bébé est devenu grand et se tient sur ses deux pieds. Ce qui ne veut pas dire que les 4 comparses peuvent en vivre. Ils ont tous un travail à côté. StadtlicHH est un enfant de l’amour, et pas de l’argent.Et les auteurs, les photographes, les rédacteurs, illustrateurs, et autres contributeurs ? « La seule chose que nous pouvons rétribuer, c’est la prospection publicitaire. Là-dessus, on donne un pourcentage. Malheureusement, on ne peut financièrement pas faire mieux », nous explique Martin, qui trouve ça fort dommage. Tout de même, il est épaté par ce qu’il fait : « le magazine a du succès, et ça même si nous on ne gagne rien avec ». Et si tout de même cela apportait un peu de sous ?
Chaque numéro a sa soirée de lancement. Ici, pour le numéro 7. | StadtlicHH est un enfant de l’amour, et pas de l’argent.
Martin réfléchit de temps en temps à cette grave question. Et tous les problèmes viennent se retourner dans sa tête. Comment expliquer aux lecteurs, qu’ils doivent maintenant payer ? Les tirages s’effondreraient, la prospection de pub deviendrait elle aussi plus difficile… Et le prix… Ils n’en retireraient que 50 % : 25% pour le kiosque, 25% pour la grosse distribution. Et puis en plus, leur format, totalement anti-conventionnel et inadapté à la mise en vente au milieu de magazines standard.
Et le futur ? Oui, le futur. « Il y a déjà des gens, qui nous disent de grandir et de nous développer. On remarque bien que sans se développer, les choses ne vont pas plus loin. J’ai en tout cas l’espoir de ne pas abandonner, que tout cela puisse continuer ainsi : avec un magazine, qui est exactement tel que nous voulons l’avoir », déclare Martin.
Le magazine Stadtlichh paraît depuis décembre 2010 trimestriellement, avec un total de 20 000 exemplaires. On le trouve gratuitement à Hambourg. On peut aussi s’abonner pour le recevoir directement à la maison, ce qui en revanche, est payant.
En partenariat avec l’Office franco-allemande de la jeunesse (Ofaj), cet article fait partie d’Orient Express Tripled, une série d’article par cafebabel.com écrit par des journalistes résidents dans les Balkans, en Turquie, en France et en Allemagne. Plus d’informations sur le blog ici.
Photos : ©stadtlichh-magazin.de