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Sport et Politique, frères ennemis en Irlande

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Default profile picture Delphine Leang

Le football comme opium du peuple, uni derrière la bannière nationale ? Oui et non. En Irlande, les identités et les divisions se projettent au-delà des moitiés de terrain.

Le coup d’envoi de l’Euro 2004 a été donné, et c’est dans ces moments-là que le football est perçu comme un important facteur d’unification, rassemblant compatriotes, hommes et femmes, derrière l’équipe nationale, tous en quête de victoire. Mais qu’en est-il lorsque la nation est déjà divisée ? Le football peut-il surmonter ces divisions ou son nationalisme ardent les aggrave t-il ?

Un bon exemple

L’Irlande du Nord : un pays où tout est politique, du journal que vous lisez au pub où vous buvez ou à l’équipe de football que vous encouragez. Dans ce contexte, ces éléments qui structurent la vie quotidienne s’accumulent jusqu’à former deux identités distinctes, totalement opposées : les catholiques/les protestants, les nationalistes (ceux qui sont pour une Irlande unifiée)/les unionistes (qui veulent maintenir l’union avec la Grande-Bretagne).

Qu’est-ce que cela révèle des supporters d’Irlande du Nord ? Pour les unionistes, encourager l’équipe de football est une occasion de célébrer leur identité, de ressentir de la fierté, de la passion et de l’espoir comme avec n’importe quelle autre équipe sportive nationale. Cependant, les chants acerbes scandés et l’ambiance hostile envers les catholiques font de Windsor Park (lieu où se jouent les matchs à domicile) une zone interdite à tous sauf aux fans les plus inconditionnels de football.

En effet, même les joueurs doivent avoir des nerfs d’acier. Pas plus tard qu’en 2003, après avoir été sélectionné pour jouer dans l’équipe nord-irlandaise, un footballeur catholique qui jouait pour le Celtic (Ecosse) et sa famille ont reçu des menaces de mort de la part d’une organisation paramilitaire loyaliste. La réaction de la Fédération irlandaise de football (IFA) a été décevante, et le joueur, Neil Lennon, a senti qu’il n’avait pas d’autre choix que de se retirer du football international au sommet de sa carrière, pour se protéger, lui et sa famille.

Comme c’est souvent le cas en Irlande du Nord, la politique brouille souvent les cartes, alors parler de football revient à parler d’autre chose que de football. Pour les nationalistes, encourager l’équipe de foot d’Irlande du Nord, c’est reconnaître l’Etat d’Irlande du Nord, rendre la séparation de l’Irlande en deux légitime, et trahir la sincère allégeance à la République d’Irlande. En ayant cela à l’esprit, ce n’est pas étonnant que les matches de foot revêtent une telle importance.

Le rugby domine

C’est tout une autre histoire pour le rugby. Les développements historiques ont fait de la Fédération de rugby irlandaise (IRFU) le seul organisme de l’île, à la tête d’une équipe nationale. Les premiers joueurs de rugby étaient des étudiants de l’université de Dublin (Trinity College) qui venait pour la plupart de la haute société anglaise. La popularité du rugby s’est répandue, aussi bien au nord-est du pays qu’au sud-ouest. A l’origine, il y avait deux fédérations qui ont décidé en 1879 fusionner pour devenir l’IRFU. Pour convenir aux différentes allégeances politiques des joueurs et supporters après la partition de 1921, deux hymnes nationaux sont joués avant les matchs à domicile : l’hymne de la République d’Irlande et le plus commun, « Ireland’s Call ».

Le football a voyagé dans les colonies britanniques avant d’arriver en Irlande où sa pratique était surtout concentrée en Ulster (la province nord-est, dont une partie constitue désormais l’Irlande du Nord). L’IFA, l’organisme de direction, était basé à Belfast, mais le reste du pays avait l’impression que leur attitude avec les joueurs du nord, en particulier les protestants, était partiale. Après la partition de 1921, la Fédération de football de l’Etat libre d’Irlande a été créée pour essayer de remédier à cette inégalité. Le football en Irlande a toujours ainsi été suspecté d’être politisé.

Crise d’une classe

On peut aussi dire que le football nord-irlandais traverse en ce moment l’une de ses périodes les plus noires. Outre les joueurs menacés de mort, l’équipe vient récemment de battre un nouveau record de la plus longue durée écoulée sans marquer de but, et les normes de leur stade (qui n’est pas un stade national mais le terrain d’une équipe de football locale) soulèvent des questions. Ce déclin a de profondes répercussions dans la communauté unioniste parce qu'en plus d'être divisés sur le plan politique, les supporters nord-irlandais se caractérisent aussi par leur classe sociale. Comme nous l’avons déjà dit, le rugby était le sport de l’aristocratie, alors que le football était un phénomène spécifique à la classe ouvrière. Les quelques succès du passé dans certains tournois, plus particulièrement celui de la Coupe du monde en 1982, et ceux de quelques individus tels que George Best, Pat Jennings et Norman Whiteside avaient contribué à un certain sentiment de fierté historique, mais ils soulignent aussi cruellement les défaillances d’aujourd’hui. Le succès de sports « nationalistes » tels que le football gaélique, bien qu’à une plus petite échelle, renforce la démoralisation face à des résultats décevants. Ces sports ont connu un regain de popularité, en partie dû à une plus grande confiance en l’identité nationale. Inversement, l’identité unioniste se sent davantage menacée. Cette impression de menace s’exprime dans une forme plus extrême des composants constituant cette identité.

A l’heure qu’il est, le football n’est pas capable d’unir une société divisée sur son identité. Il se révèle plus efficace pour rapprocher des gens d’origines ethniques différentes, comme dans le cadre de la campagne « Expulsons le racisme » au Royaume-Uni. Cependant, dans une tentative de vaincre le sectarisme, des initiatives sont prises en Irlande du Nord pour développer des programmes sportifs avec des jeunes venant des deux communautés. Même si on peut applaudir ces projets car ils encouragent la compréhension et la camaraderie, il ne faut pas perdre de vue que tant que des solutions aux problèmes de politique nationale n’auront pas été trouvées, cette dernière continuera d’imposer ses divisions au sport.

Translated from When Sport and Politics Don't Mix