Špidla « La libéralisation des services est un droit »
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Vladimír Špidla est le Commissaire européen à l’Emploi et aux Affaires sociales. Dans un entretien exclusif avec café babel, il nous parle de l’avenir de l’Europe sociale. Entre Agenda social 2005-2010 et directive Bolkestein.
Ancien Premier ministre tchèque, leader du parti social-démocrate SSD entre 2001 et 2004, le Pragois Vladimír Špidla est membre de la Commission Barroso depuis novembre dernier. Emblématique de l’élite politique de la « nouvelle Europe », il évoque « sans tabou » la nécessité de réformer sans sacrifier l’identité sociale du continent. Et évalue les résultats de la stratégie de Lisbonne visant à faire de l’Union « l’économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde d’ici 2010 ».
Cinq ans après la mise en place du processus de Lisbonne, les « Objectifs 2010 » ont-ils été atteints ?
Le bilan des cinq premières années de la stratégie de Lisbonne est mitigé et devrait être évalué au regard du contexte économique peu favorable. A titre d’illustration, notre taux annuel de croissance économique a été pratiquement divisé par deux, passant de près de 3% entre 1998 et 2000 à 1,5% en moyenne depuis 2001. Ces performances moroses s’expliquent en partie par une série de chocs externes au niveau mondial, mais aussi par des raisons internes, notamment la faiblesse de la demande intérieure dans plusieurs pays de l’Union, ainsi que notre incapacité relative à promouvoir et à mettre en oeuvre des réformes favorables à la croissance et à l’emploi. Même si la croissance de l’emploi est restée légèrement positive et le taux d’emploi (notamment pour les femmes et les travailleurs âgés) a continué à augmenter, les objectifs fixés à l’horizon 2010 sont encore bien loin. L’accélération des mutations économiques et le vieillissement démographique rendent l’action d’autant plus urgente.
Comment comptez-vous faire pour que l'Agenda Social 2005-2010, décidé au printemps dernier pour relancer le processus de Lisbonne, porte rapidement ses fruits?
Il est nécessaire de sortir du cercle vicieux où croissance molle et réformes structurelles inabouties plombent les performances de l’Union. Pour cela, il faut maximiser les synergies notamment dans le domaine de l’innovation et des politiques d’emploi. Il faut également fixer un cap et renforcer la confiance des acteurs économiques. La deuxième condition est de mieux s’approprier la stratégie de Lisbonne. Pour réussir, il faut un nouveau partenariat à tous les niveaux, en particulier entre l’Union et les Etats membres. La précédente stratégie a sans doute souffert d’une confusion trop grande sur le rôle et les compétences de chaque niveau de « gouvernance ». Nous devons être clairs sur les responsabilités de chacun. Les Etats membres se sont engagés à présenter cet automne des « programmes nationaux de réformes » répondant aux lignes directrices pour la croissance et l’emploi. La Commission a, quant à elle, présenté un « programme communautaire de Lisbonne », qui fournit une liste d’initiatives envisagées au niveau européen dans le domaine de l’emploi, des affaires sociales et de l’égalité des chances.
Quid de la fameuse directive services, dite « Bolkestein », qui fut l’objet de vives critiques et constitua même l’un des arguments des partisans du « Non » au référendum français sur la Constitution européenne?
La libéralisation des services est le complément parfait de la libre circulation des travailleurs - ce que nous nous attelons à promouvoir partout en Europe. Cette libéralisation contribuera non seulement à l'objectif européen pour davantage d'emplois et d'emplois de meilleure qualité, mais elle est aussi un droit. Elle est une des libertés fondamentales de l'Union. Malheureusement, le vote du Parlement européen sur cette directive vient d'être repoussé à l'année prochaine. J'espère que cette période d'attente permettra aux différentes parties de parvenir à une entente sur la forme que le texte pourrait prendre afin de bénéficier à tous nos concitoyens en qualité de consommateurs autant que travailleurs.
Le 25 octobre, la présidence britannique sur la « durabilité du modèle social européen ». Ce modèle social européen existe-t-il ?
Le « modèle social européen » n’est pas une norme générale à imiter, et il est évident que l’Union ne peut pas jouer le rôle d’un « Etat social » national. Le débat devrait donc partir des valeurs que nous partageons, à commencer par le souci des Européens de concilier performance économique et justice sociale. Il s’agit là d’un projet d’avenir. Notre objectif est de tout faire pour préserver cette identité commune - y compris mettre en oeuvre des réformes profondes de nos politiques et de nos institutions. Il ne doit pas y avoir de tabou.
Pensez-vous qu’à l’issue de cette réflexion sur le modèle social européen, l’Union européenne et les Etats membres seront en mesure de proposer un nouveau contrat social à leurs citoyens ?
L’Europe doit aujourd’hui relever des défis importants : sa capacité trop faible à créer de la croissance et de l’emploi ; sa diversité accrue, suite à l’élargissement ; enfin, la réussite de son adaptation à des mutations de grande ampleur. Le Sommet devrait répondre à trois questions clés pour l’avenir du « modèle social européen ». Nos économies et nos sociétés ont besoin de plus de flexibilité. C’est là où l’expérience nordique est capitale, car ces pays ont su « réinventer » leur protection sociale, leurs politiques sociales et leur administration publique grâce à de nouvelles « sécurités – politique ». Les pays les plus « performants » ont aussi mené conjointement réformes économiques et sociales. Cette approche globale d’un modèle européen qui combine performance économique et solidarité, devrait être un message fort du Sommet. Enfin, la qualité de la gouvernance. Les acteurs sociaux doivent être impliqués et prendre leurs responsabilités ; l’administration publique être efficace et performante.organisera un sommet informel afin de réfléchir