Sophie Hunger : « Les artistes préservent l'humain »
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Sophie Hunger est de passage par Paris pour promo, promo, promo. C'est que ces mois-ci, la chanteuse suisse se produit aux quatre coins de l'Europe, de la prestigieuse scène anglaise de Glastonbury à la République Tchèque, l'Autriche... En France, elle écume les festivals, parce que le studio, « c’est triste ». Café express avec la Suissesse en vogue.
Café trop express, à dire vrai. Soucieuse du mot juste et pas intimidée par les silences, Sophie Hunger ne se prête pas du tout à des rencontres rapides, où l’on cherche à recueillir un maximum d'informations intéressantes en un temps minuté. Chacune de ses réponses appellent de nouvelles interrogations. A la fois, Sophie Hunger maintient avec adresse une frontière entre son interlocuteur et elle. Une sensation indéfinissable au début, avant que l'artiste ne la verbalise : « Les artistes ne doivent pas être trop proches des médias, sinon ils deviennent des vendeurs. »
L'internationale
Difficile de parler de Sophie Hunger sans s'attarder sur son rapport aux langues. Née à Berne, Sophie Hunger parle le suisse allemand, l'allemand, le français, l'anglais. Et elle les chante, ces langues : en concert, elle passe de l'une à l'autre sans effort apparent, testant même un peu d'espagnol, tandis que sur ses deux albums, Monday's Ghost et 1983, l'anglais l'emporte, en laissant un peu de place au français et à l'allemand. On a envie de l'encourager à poursuivre sur la lancée germanophone, tant sa voix dans cette langue se révèle encore plus riche et familière, familiale, que ce soit sur les titres 1983, « une conversation entre mon année de naissance et moi » précise-t-elle, ou le plus ancien Walzer Für Niemand. Pour elle, l’allemand est la langue de l'intime, tandis que l'anglais « est plus loin, donne plus de liberté, de légereté. Je connais très bien l'allemand, j'ai lu beaucoup de livres, je sais ce qui est possible avec cette langue... C'est donc plus difficile de créer quelque chose. C'est très important pour moi de chanter en allemand car il y a beaucoup moins de tradition musicale qu'en anglais. Je suis obligée de chercher avec ma voix. »
La rencontre a lieu en français, une langue qu’elle ne maîtrise pas tout à fait, garde cette même exigence du terme exact. En cas de blocage, l’anglais vient à son secours. Ainsi lorsqu'elle revient sur sa peur initiale de jouer d'un instrument, intimidée à l'écoute des plus grands jazzmen : « Je pensais trop. J'étais un fasciste dans ma tête... It led into nowhere. » Ou lorsqu'elle reconnaît, en anglais, que son second album lui correspond davantage que le premier : « I felt I was looking up. » Sophie Hunger sait être sibylline.
La distante
La chanteuse formule ainsi des réflexions qui sembleraient banales venant d'un autre artiste. Mais pour elle, parler de soi est un effort : si une introspection en présence d'inconnus a lieu, elle doit être surveillée, avec en ligne de mire une haute idée du rôle de l'artiste. « Les artistes préservent l'humain. Ils ont le devoir de parler des choses à côté du pouvoir. Il faut toujours avoir une distance intérieure. » Quel contraste avec la scène, où l'éloignement est réduit à son minimum ! Sophie Hunger s’y rend accessible sans rien perdre de sa diversité musicale, passant du titre folk en anglais, seule avec sa guitare, au piano – trompette en allemand, où les voix se fondent en un choeur. Le groupe se rapproche, jusqu'à s'asseoir au bord de la scène pour un rappel, créant un des plus beaux moments du concert. Ça, c'était à la Cigale en juin dernier. Plus d'un an auparavant, dans la petite salle parisienne de la Boule Noire, Sophie Hunger commençait tout juste à être découverte en France. Déjà le désir d'échapper aux habitudes était sensible, par exemple à travers une reprise du Vent l'emportera (un classique du groupe de rock français Noir Désir) dans un français hésitant, face à un public pas conquis d'avance.
C'est en fait lorsqu'elle parle des autres que Sophie Hunger s'exprime le plus facilement, qu'il s'agisse du groupe danois Kashmir, vu en concert récemment, ou d'une phrase d'Eminem qu'elle cite de mémoire. La curiosité et la passion l'emportent, on la sent pleinement dans le rôle qui lui plaît, celui de médiatrice de la musique - la sienne ou celle des autres, quelle importance ?
La (sur)douée
« J'espère que je peux être mon propre fruit. »
Sophie Hunger s'est mise à la guitare à l'âge de 19 ans, puis la réussite ne s'est pas fait attendre. Un premier album auto-produit, quelques festivals de jazz, et fin 2008, Monday's Ghost, premier disque studio. On a tout lu sur Sophie Hunger, tantôt jazz, tantôt folk, voire rock pour les plus audacieux. L'intéressée tolère ce besoin d'étiqueter, tente de l'expliquer à sa manière: « Si je mange un fruit, je le donne à mon ami qui ne le connaît pas, et je dis "C'est comme la banane mais il y a un peu d'orange, mais c'est un autre fruit." Je comprends ça, mais pour moi c'est n'importe quoi. J'espère que je peux être mon propre fruit. » Un rire sans timidité éclate, à croire qu'en deux années de succès Sophie Hunger a appris l'aisance aussi hors de la scène. La tournée entamée cette année confirme sa notoriété grandissante à travers l'Europe.
On quitte Sophie Hunger avec en tête encore plus de sujets à aborder qu'en arrivant; les chanteurs Piers Faccini et Patrick Watson avec qui elle s'est produit aux Eurockéennes de Belfort, Bob Dylan, la Coupe du monde. Sur cette dernière question, la réponse vient d’elle-même : en quittant le café elle s'arrête devant un écran qui diffuse le match Chili-Suisse. Trois secondes… Avant de reprendre sa course.
En concert le 14 juillet à Montreux, le 16 à Carhaix (Vieilles Charrues)...
Photos : ©Art10;Vidéos : ©Jeremiah/Kidam production