Sommet OTAN-Russie : quand l’Europe contemple le monde s’organiser sans elle
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Le sommet OTAN-Russie est un habile coup de diplomatie de la part de Moscou et de Washington. Bush obtient les mains libres en Afghanistan et la Russie se voit reconnaître le rang de puissance régionale. Hélas, l’Europe est une fois de plus exclue des négociations et reste confinée dans son rôle de subordonnée.
Pris dans une perspective plus générale, le sommet OTAN-Russie du 28 mai 2002 est un développement supplémentaire de la dynamique de rapprochement entre les Etats-Unis et la Russie. Il serait certainement abusif de parler de nouveau partage du monde, ce sommet n’en a jamais eu l’ambition, mais on peut voir dans ces manœuvres une confirmation des nouvelles réalités géopolitiques consécutives à l’effondrement de l’Union soviétique en 1991 et aux attentats du 11 septembre 2001. La chute de l’empire soviétique a marqué la fin du système bipolaire, héritage de la guerre froide ; les attaques du 11 septembre ont consacré l’entrée dans une nouvelle ère des relations internationales dans laquelle les Etats-Unis occupent une place largement dominante. Alors pourquoi ce sommet OTAN-Russie a-t-il eu lieu ? Avant tout, il convient de préciser que ce rapprochement est le fruit non pas d’une communauté de valeurs entre les Etats-Unis et la Russie, mais plutôt d’une convergence d’intérêts entre les deux Etats sur des questions délimitées. Or, dans cette situation une chose est claire : si aussi bien les Etats-Unis que la Russie ont intérêt, et à un degré différent, à ce que ce rapprochement se produise, l’Europe semble bien être la grande absente de cette négociation, symptôme de son incapacité à s’affirmer sur la scène internationale.
Une nouvelle entente russo-américaine
La rencontre du 28 mai 2002 a instauré la mise en place d’un Conseil OTAN-Russie qui remplace l’ancien Conseil permanent conjoint créé en 1997 et sabordé par la Russie à la suite de la campagne américaine au Kosovo en mars 1999. Ce nouveau Conseil prévoit la possibilité de prise de décisions communes dans des domaines aussi variés que la lutte contre le terrorisme, la gestion des crises, la maîtrise des armements ou la coopération militaire entre les Etats-majors occidentaux et russes. D’un côté il s’est agit de la mise en place d’un partenariat et d’une consultation renforcés entre l’OTAN et Moscou sur les questions militaires et stratégiques, mais cela a surtout été l’occasion pour les Etats-Unis et la Russie de jeter les bases d’une nouvelle entente. Ce rapprochement est en effet à la fois le fruit du travail de la diplomatie américaine cherchant à obtenir le soutien de la Russie dans sa lutte contre le terrorisme et l’« Axe du mal », et de la volonté de Vladimir Poutine de faire de la Russie un élément clé dans la conduite des affaires internationales.
Cet accord est un habile coup de diplomatie pour les Américains: l’administration Bush, en se rapprochant de Poutine, normalise ses relations avec la Russie, lesquelles sont encore marquées par le sceau de la méfiance réciproque. Mais surtout, Washington peut s’implanter sans complexe dans l’ancienne arrière-cour de l’URSS en Asie centrale, tout en bénéficiant de la bienveillance de Moscou. Cette manœuvre semble bien normale de la part des Etats-Unis, au vu de leur puissance actuelle. En revanche, la position de la Russie a, quant à elle, beaucoup évolué. Adieu les rêves de puissances, l’heure est venue de faire place à plus de réalisme.
La Russie, une puissance régionale eurasiatique
Lors du sommet de mai dernier, la Russie a de facto reconnu que son opposition de principe à l’OTAN comme instrument de l’hégémonie américaine était stérile. Participer au Conseil OTAN-Russie et accepter la possibilité d’actions communes, c’est reconnaître pour la Russie que l’OTAN n’est plus une alliance dirigée contre elle. Cela la contraint ainsi à modérer son opposition à l’intégration des pays de l’Europe centrale et orientale (PECO) dans l’Alliance atlantique. Surtout, la Russie est forcée de reconnaître qu’elle n’a pas les moyens d’empêcher un futur élargissement de l’OTAN. De toutes façons, l’élargissement allait se faire avec la Russie ou sans elle. Moscou paye ici un prix symbolique fort, la Russie n’est finalement plus qu’une puissance régionale, mais en fin de compte la meilleure façon pour la Russie de ne pas se voir exclue de l’évolution de l’OTAN s’est encore d’y participer de l’intérieur. Et c’est bien là que Poutine trouve son intérêt. Il obtient en effet un droit de regard sur les affaires de l’OTAN et réalise le vieux rêve russe de mettre un pied dans la porte de l’Alliance atlantique. Mais surtout il se rapproche encore plus du riche monde occidental et notamment des Etats-Unis, lui garantissant ainsi le soutien de la communauté internationale et surtout l’accès à ses ressources financières, dont la Russie a aujourd’hui cruellement besoin. Qui plus est, les Etats-Unis reconnaissent à Moscou un statut de puissance régionale incontournable et potentiellement puissante en Eurasie. En se ralliant au concept élargi de « lutte contre le terrorisme », Poutine a obtenu de l’administration de Bush junior qu’elle ferme les yeux sur la répression en Tchéchénie, et qu’elle reconnaisse par la même occasion sa pleine souveraineté et liberté d’action sur son territoire... Bref, Poutine a les mains libres chez lui et Bush peut s’implanter sans complexe dans l’arrière-cour de la Russie !
L’Europe, l’éternelle subordonnée
Et l’Europe dans tout cela ? C’est bien la grande absente de ces négociations. Elle ne peut que constater que le monde s’organise autour d’elle sans qu’elle ne puisse apporter à cet édifice la moindre petite pierre. Elle ne fait qu’entériner les décisions américaines, engluée qu’elle est dans les désaccords politiques qui font des négociations européennes sur les questions extérieures un enfer quotidien. Or, l’Asie centrale, la guerre contre le terrorisme, mais surtout l’élargissement de l’OTAN aux PECO sont des questions qui intéressent l’Europe. Il est paradoxal que sur des questions qui touchent à sa sécurité, l’Union européenne n’ait pas son mot à dire. En dépit de la fin de la Guerre froide et de l’affrontement Est-Ouest qui justifiaient la présence des Etats-Unis en Europe pour assurer sa sécurité et pour lutter contre l’ancien ennemi, les Etats-Unis s’affirment toujours plus comme « la » puissance européenne en matière de sécurité et de défense. Ce sont eux qui prennent les décisions et ce sont eux qui en assument les coûts. L’Europe ressent les effets de ces décisions, passivement, sans avoir droit de cité. La reconnaissance de la Russie comme interlocuteur par les Etats-Unis se fait finalement aux dépens de l’Europe à laquelle on réserve une place non pas de partenaire, mais de subordonnée.
Le sommet OTAN-Russie est un symptôme supplémentaire de l’impuissance de l’Europe et de son exclusion de la scène internationale. L’Europe fait partie de l’Alliance mais dispose au final de moins de pouvoir quant à son orientation que la Russie. De la même manière, l’Europe participe aux actions en Afghanistan, mais son avis importe moins que celui de Moscou. C’est ici l’ironie de l’histoire qui fait de l’Europe un géant économique, personne ne le conteste, un nain politique, on ne peut que le constater, et au final un ver de terre militaire !