Solidaires contre la logique du profit
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Ignorée ou considérée comme démodée ou utopiste, l’économie sociale est au contraire la forme la plus adaptée au défi de la lutte contre le chômage en Europe.
L’économie sociale est un objet économique non identifié pour encore une majorité de citoyens européens. Normal, elle n’est pas enseignée dans les écoles, et les universités d’économie ne font que l’effleurer, bien qu’elle soit en pleine expansion et emploie de plus en plus de personnes. Simple indicateur, la multiplication exponentielle des formations de troisième cycle en France consacrées à l’économie sociale révèle cet engouement.
Reste que si un nombre grandissant de citoyens européens ont déjà entendu parler de l’économie sociale, peu savent définir ce qu’elle englobe. Elle est pourtant une alternative crédible à l’économie de marché, aussi ancienne qu’elle d’ailleurs, et qui ne se situe pas en dehors du système mais à l’intérieur. Elle englobe même environ 10% des emplois de l’économie européenne. Le Centre international de recherches et d’information sur l’économie publique, sociale et coopérative (CIRIEC) estime à 8,88 millions d’emplois équivalents temps plein le nombre d’emplois dans l’économie sociale dans les 15 anciens pays de l’UE (chiffres avant l’élargissement), dont 71% sont fournis par les associations, 3% par les mutuelles et 26% par les coopératives. Ces trois formes juridiques regroupent l’essentiel des organisations de l’économie sociale, même si sa définition est encore variable selon l’interlocuteur, et encore plus selon le pays. En France, on parle souvent d’« économie sociale et solidaire », incluant le secteur caritatif, mais le terme économie sociale englobe généralement le champ de la solidarité.
Dans le système capitaliste
En effet, l’économie sociale est, par nature, solidaire : ce sont des sociétés de personnes et non de capitaux, rassemblées par un projet collectif, organisées de manière démocratique et ayant pour certaines une utilité sociale. On y trouve aussi bien des associations (exerçant une activité économique, donc faisant travailler des salariés), des mutuelles (sociétés de partage solidaire du risque) que des coopératives (de consommateurs ou de producteurs, qui se déclinent en France en un grande nombre de statuts). Pour rassembler ces trois formes juridiques différentes on emploie souvent le terme de « tiers secteur », qui signifie qu’elles ne sont ni dans le public ni dans le privé, mais quelque part entre les deux. Le rôle de l’Etat est souvent important, par le biais de subventions, réductions d’impôts ou encadrement législatif. Toutefois, les structures de l’économie sociale ne sont pas isolées dans une bulle et sont en concurrence sur le marché avec les entreprises privées, ce qui prouve qu’elles sont capables de se défendre, bien qu’elles ne se battent pas avec les mêmes armes. C’est souvent le cadre le plus adapté pour des jeunes qui souhaitent lancer leur activité et être certains de la maîtriser sur le long terme. Parfois, ce sont des associations d’insertion, qui offrent un cadre adapté à ceux qui ont souffert du chômage et vont normalement pouvoir, après cette phase transitoire, réintégrer le marché du travail.
Pourquoi l’économie sociale est une solution d’avenir
Impossible, dans une organisation de l’économie sociale, de se faire licencier parce que la direction cherche à faire monter le cours de l’action : les objectifs d’une association ou d’une coopérative ne sont pas de faire du profit mais de poursuivre durablement une activité économique. Prenons l’exemple de la coopérative de salariés (les « Scop » en France), ces sociétés anonymes dont le capital appartient majoritairement aux salariés, qui élisent la direction et dont le capital ne peut être l’objet de spéculation. Ce sont des entreprises vertueuses à plus d’un titre. Les salariés y sont, au final, mieux payés qu’ailleurs car une partie des bénéfices leur est reversée sous forme de participation. L’écart entre le plus petit et le plus grand salaire est bien moins important que dans la moyenne des entreprises, ce qui est une des raisons pour lesquelles elles affichent une progression des effectifs de 15% sur les cinq dernières années en France. Contrairement aux idées reçues, les coopératives de salariés ne sont pas toutes des petites entreprises qui ne peuvent pas se développer : en Espagne et en Italie, certaines comptent des dizaines de milliers de salariés, et en France, le groupe Chèque Déjeuner en compte 800. Elles sont présentes dans des secteurs très dynamiques, et se développent beaucoup dans les services, notamment intellectuels. Les salariés n’y sont pas soumis à une logique uniquement capitaliste puisqu’ils contrôlent l’avenir de la société en détenant des droits de vote : c’est un lieu unique de réconciliation du capital et du travail. Surtout, elles sont durables puisqu’elles ne peuvent être rachetées à une valeur supérieure à leur capital de départ : elles sont « non opéables ».
L’avenir de l’économie sociale en Europe
Ce statut plein d’avenir et adapté à l’économie de marché est inégalement présent en Europe, où une tentative d’uniformisation des statuts est en cours. Un statut de société coopérative européenne a été adopté en juillet 2003, mais il faudra attendre 2006 pour qu’il entre en vigueur. Cela devra permettre le montage de projets coopératifs transnationaux, sans remplacer les statuts existant dans les pays membres. L’Union européenne considère déjà l’économie sociale comme un gisement d’emplois pour l’avenir, reste à se donner les moyens de l’encourager.