‘Socialiser les ventres’ en Pologne
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sophie wozniakAu printemps 2006, la Ligue des familles polonaises, formation ultrareligieuse membre du gouvernement, annonçait son intention d’inscrire le droit à la vie ‘dès sa conception’ dans la Constitution. Alimentant la controverse.
Le début des années 1990 a marqué en Pologne le début d’une longue campagne de restriction de l’accès à l’avortement, pourtant gratuit et autorisé sans restriction durant toute la période communiste.
En 1993 la loi sur le planning familial, toujours en vigueur aujourd’hui, est adoptée. Au programme : la protection juridique du fœtus et un encadrement strict de l’IVG. seuls trois cas sont autorisés par la loi : si la grossesse est le résultat d’un viol, d’un inceste ou s’il existe un risque pour la santé de la mère ou une malformation du foetus.
Au printemps dernier, la Ligue des familles polonaises (LFP), l’extrême-droite polonaise au gouvernement, jette de l’huile sur le feu : ses députés proposent de modifier l’article 38 de la Constitution et d’y inscrire la protection du droit à la vie « dès sa conception. » Depuis, le débat s’est emparée de l’opinion publique polonaise.
Une plainte déposée en février 2006 devant la Cour européenne des Droits de l’Homme (CEDH) de Strasbourg a remis en question le discours des ‘Pro-Vies’ : la plaignante, une Polonaise désormais aveugle, avait été forcée de facto par la loi à mener sa troisième grossesse à terme alors qu’elle souffrait d’une myopie avancée.
On sait que le nombre ridicule d’opérations officielles [193 en 2004, 225 en 2005] réalisées dans des hôpitaux publics se justifie par le recours opportuniste de certains médecins polonais à la ‘clause de conscience’.
De son côté, la Fédération du Planning familial de Varsovie estime que de 80 000 à 200 000 opérations sont pratiquées chaque année illégalement, dans des cabinets privés où des docteurs peu scrupuleux font taire leur conscience pour l’équivalent d’un salaire mensuel. « Si je tombais enceinte contre ma volonté, je devrais probablement choisir entre quitter la Pologne ou risquer ma vie, » glisse Anna, 32 ans, militante du Planning familial.
Pour la famille ou pour la femme ?
A Varsovie, cette interdiction de l’avortement a une dimension religieuse mais aussi pragmatique. En effet, en Pologne, les indicateurs démographiques sont dans le rouge et la natalité baisse de manière spectaculaire. Encouragées par le gouvernement conservateur des jumeaux Kaczynski, de nombreuses voix s’élèvent pour rappeler que la maternité, vocation fondamentale et naturelle de la femme, est à présent un ‘devoir social’.
«Pourquoi limiter nos possibilités d’avoir et d’élever plus d’enfants ? », demandaient ainsi des intervenantes du Forum des femmes polonaises lors de la Journée de la femme 2005. Elbieta Kruk, membre du parti de droite PiS (Droit et Justice), juge quant à elle que « le progrès dans le droit des femmes doit venir d’une reconnaissance collective de leur devoir de maternité et d’élever une famille. A Varsovie, ‘socialiser les ventres’ est devenu le credo des opposants à l’avortement.
Pour autant, nombre de Polonaises perçoivent ce conservatisme rampant comme une menace personnelle. « Il est effrayant de constater que ces gens de la Ligue des Familles polonaises (LPR) ou du PiS - pour la majorité des hommes – veulent avoir le droit de décider pour les autres! », se révolte Patrycja, une sociologue de 28 ans.
Un ventre plus sociable
Les activistes pro-IVG continuent de défiler aux cris de ‘Notre corps, notre droit’ ou ‘Mon ventre m’appartient’ mais semblent globalement moins mobilisés. En Pologne, la vision individualiste n’est pas la plus partagée. Beaucoup jugent, suivant les préceptes de l’Eglise catholique, que le bien commun est supérieur à l’intérêt individuel. Selon une étude de l’Institut de sondage polonais CBOS, publiée en novembre 2006, 44% des Polonais se disaient favorables à l’avortement en 2006. Un an plus tôt, ils étaient 57%.
Au nom des mères ?
La voix de l’Eglise, bien qu’influente, ne paraît ainsi plus être décisive sur cette question. Opposition à l’avortement au nom des droit du foetus, mépris de la cause féminine ou vision rétrograde du couple et de la famille : ces principes qui caractérisent la position de l’Eglise polonaise sont de moins en moins acceptés par la collectivité. Plus important, une certaine lassitude semble émerger à l’égard de l’avortement. Fruit d’un débat depuis de longues années, la question de l’avortement reste dans l’ombre des décisions politiques. Toujours selon l’enquête réalisée par CBOS, 42% des Polonais pensaient que l’IVG est un « problème important mais de second plan ».
« Il y a plus d’étudiants ayant participé à la manifestation contre Maciej Gierty [ministre de l’Education polonais, membre de la LFP] en septembre 2006 que de femmes qui sont allées à la dernière marche de protestation contre le durcissement de la législation sur l’avortement », déplore Anna. Elle a décidé d’aller aux manifestations organisées par les féministes, espérant ainsi sensibiliser ses compatriotes. « Toutefois, la société ne réagit plus, » regrette t-elle.
La faible mobilisation de ces dernières années démontre qu’il n’y aura propablement pas de révolution sur le thème de l’IVG, les grands mots et les postures démonstratives risquant au contraire de renforcer la mouvance conservatrice et de susciter un retour en arrière.
« Ce que veulent les militants de la libéralisation de l’avortement est légitime, » dit encore Marta, membre de l’association féministe ‘Oka’, « mais il est temps de se concentrer sur le travail de base. » Si l’on suppose que la langue crée la pensée, il faudra attendre encore longtemps pour que l’avortement soit enfin légalisé en Pologne. Le polonais ne connait ainsi qu’une seule expression pour ‘embryon’ : ‘enfant qui sera reçu’.
Trois questions à Wanda Nowicka, présidente de la Fédération du planning familial polonais, cofondatrice du réseau Astra
A quels problèmes se heurtent les femmes qui désirent avorter en Pologne ?
En Pologne, la vraie barrière à l’accès aux démarches d’IVG, ce sont les médecins, comme en témoignent les statistiques officielles. Beaucoup de docteurs polonais refusent de pratiquer l’IVG de manière légale : dans les hôpitaux publics, ils préfèrent endosser le costume de la haute moralité et faire valoir la ‘clause de conscience’. Dans l’ombre, les mêmes n’hésitent pas à réaliser contre rémunération des avortements clandestins. En Pologne, c’est une pratique très développée. En outre, certains souhaitent aujourd’hui élargir la clause de conscience au médecins du Planning familial polonais, une initiative complètement absurde. Les femmes n’auront plus aucun lieu où se faire entendre si un médecin leur refuse l’intervention. Devant une telle pression, elles ne peuvent qu’abandonner ou se tourner vers la clandestinité.
L’Eglise catholique a-t-elle une influence sur la société polonaise et son approche de l’avortement ?
Non seulement l’Eglise catholique fait valoir ses positions dans une société qui est catholique à 90% mais elle joue aussi un très grand rôle : c’est sous sa pression que l’avortement a été interdit en 1993. L’Eglise veille également à ce que l’accès à la contraception ne soit en aucun cas facilité et elle ne cesse de s’insurger contre toute tentative d’introduire des cours d’éducation sexuelle à l’école.
Les Polonaises partent-elles dans des pays où l’avortement est légal pour y avoir recours?
La majorité décide de rester en Pologne, en raison de l’accès plus facile et de la proximité des services d’IVG clandestins. Pour autant, les tarifs pratiqués sont équivalents à ceux des cliniques de l’Ouest. Les Polonaises qui partent sont dans des situations particulières : en général, elles habitent près des frontières et ont des contacts dans les pays limitrophes. Ces Polonaises sont souvent aisées et très cultivées. Il leur est par exemple facile de trouver sur Internet une clinique aux Pays-Bas et de combiner leur IVG avec des vacances.
Propos recueillis par Inga Pietrusiska
Article traduit par Julie Stroz
Translated from Mój brzuch należy do mnie!