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SlutWalk à Londres : un lâcher de salopes !

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Société

Hommes affublés d'un soutien-gorge et d'une mini-jupe, femmes d'âge moyen accompagnées de leur fille, transsexuels hauts en couleur arborant talons aiguilles et boucles d'oreilles fluo, mères lesbiennes et femmes en burqa. Le 11 juin 2011, tous ont arpenté les rues du centre de Londres à l'occasion de la SlutWalk ou « marche des Salopes ».

Un mouvement qui a gagné les côtes anglaises après avoir vu le jour à Toronto le 3 avril dernier.

C'est à la fois légèrement vêtus et parés pour affronter la pluie londonienne que des milliers d'hommes et de femmes ont défilé le 11 juin dernier, depuis Hyde Park Corner jusqu'à Trafalgar Square, en soutien à une cause montante et d'ores et déjà considérée comme les prémisses de la « quatrième vague féministe ».

Après s'être propagées dans toute l'Amérique, l'Europe et plus récemment l'Asie (la prochaine SlutWalk aura lieu à Lisbonne et à New Delhi le 25 juin), ces séries de manifestations font suite à la phrase prononcée par un officier de police canadien, Michael Sanguinetti, alors qu'il animait un atelier de prévention à Osgoode Hall Law School, prestigieuse faculté de droit de l'Université de York à Toronto. Selon ses propos, désormais célèbres et qui ont choqué la population canadienne, « une femme ne devrait pas s'habiller comme une salope si elle ne veut pas être victime d'abus »La première SlutWalk a été organisée le 3 avril à Toronto et le message est simple : les agressions sexuelles sont des actes de violence commis par leur auteur et ne relèvent pas du fait de la victime. Le style vestimentaire ou l'attitude d'une femme ne devraient, en aucun cas, excuser les violences exercées à son égard. « Des femmes sont violées quelle que soit leur tenue », indique l'une des manifestantes londoniennes. Parmi les slogans phare, on peut lire : « L'habit ne fait pas la victime de pédophilie. »

Le facteur déclencheur

Pour certains, le phénomène SlutWalk apparaît comme une réaction disproportionnée à un petit abus de langage. Lorsque Rosa Parks a refusé de s'asseoir à l'arrière du bus pour céder sa place à un passager blanc le 1er décembre 1955, il s'agissait probablement, sur le moment, d'un incident sans importance. Si nous nous en souvenons encore aujourd'hui c'est que cet événement a eu, à long terme, des effets inattendus sur le mouvement des droits civiques aux États-Unis. Au cours d'un récent épisode de l'émission Moral Maze diffusée sur Radio 4, un intervenant a soutenu au présentateur David Aaronovitch que si Monsieur Sanguinetti avait été une femme, il n'y aurait jamais eu de polémique. Autant dire que si Rosa Parks avait loupé le bus, le mouvement des droits civiques n'aurait jamais eu lieu !

Un événement dit anodin ne peut acquérir assez de force et n'être ainsi porteur d'une révolution sociale que si la société est prête à lui reconnaître ce pouvoir symbolique. Ce n'est pas l'élément déclencheur qui pousse les masses à défiler, mais le groupe d'individus qui, ayant atteint l'état de maturité suffisant, y voit un détonateur. Le 18 mai dernier, lors d'une entrevue radiophonique, le ministre britannique de la Justice, Ken Clarke, a marqué la distinction entre « viols graves » et « autres » types de viol. Il venait présenter le nouveau projet du gouvernement, lequel prévoit de retenir des peines moins lourdes à l'encontre des violeurs qui plaident coupables au tout début de la procédure. En Grande-Bretagne, la peine minimale pour viol non aggravé est de quatre ans uniquement, sachant que seules 6 % des plaintes pour viol débouchent sur une condamnation.

Une affaire de vocabulaire

Le message semble suffisamment clair et net. Pourtant, dans la longue tradition féministe, l'appellation d'un mouvement et les modes d'action ont toujours été déterminants dans l'émancipation des femmes. En Grande-Bretagne, une certaine autosatisfaction morale s'est emparée des médias dès l'instant où la SlutWalk de Londres a fait la Une. Dans une culture hypersexualisée qui fait l'apologie de la séduction et de la sexualité des adolescentes, il est devenu difficile pour les femmes de se défaire de cette image de « salope » tant ce concept est exploité à tout vent. A l'occasion de plusieurs débats médiatiques, elles ont d'ailleurs exprimé leur crainte d'être stigmatisées et perçues uniquement comme des objets sexuels. Pour elles, le fait de s'habiller comme des stars de porno est un pas en arrière pour le féminisme.

« Nous avons opté pour le terme « slut », car c'est ce mot qu'a utilisé l'officier de police. A force de l'employer, nous avons l'impression d'en retirer un certain pouvoir. Il ne peut plus nous toucher »

L'une des organisatrices de la manifestation a expliqué la raison qui a motivé le choix du mot « slut » (salope) comme devise de la marche. « Nous avons opté pour le terme « slut », car c'est ce mot qu'a utilisé l'officier de police. A force de l'employer, nous avons l'impression d'en retirer un certain pouvoir. Il ne peut plus nous toucher », déclare Caitlin Hayward-Tapp. L'utilisation intrinsèque de ce mot n'a rien à voir avec le fait que la femme se considère comme un objet sexuel ou qu'elle tolère de faibles valeurs morales. C'est davantage l'expression d'un traumatisme qui ne cesse d'interférer avec son entière construction subjective. Dès qu'il est question de sexualité féminine, nombreuses sont les injonctions normatives qui occupent le devant de la scène, régissant les moindres aspects d'un ensemble qui n'est pas encore totalement articulé. Bien que délicate et douloureuse, la réappropriation linguistique d'un terme péjoratif permet de rendre son usage acceptable aux yeux de la communauté qui a subi les outrages de son utilisation. C'est ainsi qu'ont pu être réhabilités des mots tels que « nègre », « jésuite », « gay » ou « queer ». Désormais est venu le tour de « salope ».

Au cours de l'émission de David Aaronovitch, l'un des invités a soutenu que le simple fait, pour une femme, de porter une tenue provocante atteste de sa disponibilité sexuelle. Or, le problème ne semble pas d'ordre vestimentaire : il réside surtout dans l'idée que la femme a une vie sexuelle et qu'elle aimerait l'assumer. Pendant très longtemps, la sexualité féminine a été considérée comme simple objet du regard masculin, au point qu'il est devenu indécent, tant pour les deux sexes, de reconnaître aux femmes le droit de s'affirmer en tant qu'êtres sexués. Pourquoi avoir peur ? Les femmes devraient-elles réprimer leur envie de passer à l'acte ? La réponse à cette question varie selon les cas. Si nous suivons la logique du désir masculin, l'inaccessible est toujours plus attirant. Si nous choisissons d'admettre l'impossible, à savoir que le désir féminin existe bel et bien, la solution pourrait être tout autre.

Photos: Une (cc) bulliver sur Flickr et sur son site officiel; Rosa Parks dans un bus du reporter Nicholas C. Chriss (cc) Wikimedia; Barbie (cc) Anton Bielousov sur Flickr et son site officiel ; Video (cc) SlutwalkLondon

Translated from Lisbon, London: the problem with SlutWalks or Who's afraid of feminine sexuality?