Sıla Şahin, actrice : « la religion est une question irrationnelle »
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Sıla Şahin sait ce qu'elle veut. En mai dernier, cette jeune actrice allemande d'origine turque se dévoilait en Une de Playboy.« La première musulmane » à exhiber sa nudité sur papier glacée. Outrage religieux, coup marketing ou intégration osée, l'initiative a rapidement divisé la communauté turque, de Berlin à Istanbul. Sourire mutin, Sila, 25 ans persiste et signe.
Si cette « libération », comme elle le raconte à longueur de tabloïds lui a quasiment valu la répudiation de ses parents, elle a aussi accéléré sa carrière.
cafebabel.com: Vous qui êtes Allemande d'origine turque, quel rapport entretenez-vous avec Berlin ?
Sila Sahin: Je suis née et j'ai grandi à Berlin, coté Ouest à Charlottenburg, j'aime le côté « multi-kulti » et très cosmopolite de la ville. J'adore la Turquie aussi, naturellement, Istanbul, Izmir sont des endroits merveilleux. Même si je suis très curieuse à l'égard des autres villes, je crois que je reviendrai toujours à Berlin. Avoir deux cultures me plait. Cela serait trop dommage de n'être que d'une nationalité. Certes, il y a une part de schizophrénie dans cette double appartenance mais je prends le meilleur dans chacune d'elle. Chaque langue est comme une nouvelle personne à rencontrer. Je suis un peu comme une voleuse.
cafebabel.com:Vous vous sentez Européenne ?
Sila Sahin: Qu'est-ce que cela signifie ? J'appartiens au monde, l'Europe ne me suffit pas. Je suis une citoyenne du monde. Je veux partir avec mon sac à dos et partir voyager en Chine, au Mexique, à Cuba... Je veux découvrir le monde entier.
cafebabel.com:Pourquoi avoir choisi de devenir actrice ?
« Je ne veux pas avoir à me justifier : « pourquoi as-tu un petit ami allemand ? Pourquoi poses-tu nue ?» Qu'ils aillent se faire foutre ! »
Sila Sahin: J'ai suivi une école de théâtre et une formation d'esthéticienne, travaillé comme mannequin, en plus de prendre des cours de danse et de chant. J'aurais aimé être créatrice de mode ou danseuse. Mais le jeu vous donne cette possibilité unique d'expérimenter constamment de nouvelles choses, de découvrir d'autres vies, vous glisser dans la peau d'autres personnes, de les ressentir, de les comprendre. Lorsque vous jouez, personne ne vous demande de vous justifier. J'aime particulièrement l'électricité de la scène et l'alchimie qui se noue avec les spectateurs. Jouer la comédie donne une liberté incroyable.
cafebabel.com:Vous ne vous sentez pas libre dans votre vie ?
Sila Sahin: Chacun aimerait être libre. Cela dépend naturellement de l'environnement dans lequel vous avez été élevé, de ce qui disent les autres autour de vous, si oui et de quelle manière cela vous influence. Prendre des cours d'acting m'a beaucoup changée. Je n'ai plus besoin que les gens approuvent ce que je fais. Je ne veux plus entendre « tu dois bien te comporter ». Je veux faire mes expériences et suivre ma propre voie. Et surtout, ne pas avoir à me justifier : « pourquoi as-tu un petit ami allemand ? Pourquoi poses-tu nue ?» Qu'ils aillent se faire foutre !
cafebabel.com:Vous êtes en crise de rebellion ?
Oui, contre tous ceux qui jugent et critiquent constamment, que ce soit des connaissances ou mon entourage, des musulmans, des Turcs ou des Allemands. Oui, j'ai aussi une tête avec laquelle je pense. Je veux être libre. Bien que mes parents soient des gens très modernes, ils ont toujours eu certaines attentes ou projections à l'égard du rôle que l'on doit jouer en tant que femme. Il est regrettable que certaines personnes ne fassent pas ce qu'elles désirent parce leurs parents essaient de les ranger dans un tiroir. Je suis Turque mais je me sens aussi Allemande. A Berlin, je suis à la maison. Et je trouve dommage que les Turcs qui vivent ici depuis près de 30 ans ne parlent pas un mot d'allemand. On peut toujours apprendre, non ? L'idée est d'échanger, de partager avec les autres. Mais la plus grosse pression vient de la société: comme beaucoup d'immigrés, ma mère et mon père sont arrivés ici et ont vécu de manière un peu repliée sur eux-même. Au départ, je voulais naturellement vivre comme eux et puis j'ai vu que la vie est plus large qu'une fenêtre.
cafebabel.com:Et cette séance de photos pour Playboy, comment cela s'est passé ?
Poser nue ne m'était pas égal, bien au contraire. Au départ, j'avais déjà posé pour FHM. Puis la rédaction de Playboy m'a proposée des photos dénudées. J'y ai beaucoup réfléchi : j'étais parfaitement consciente que cela allait choquer. J'ai eu peur d'être jugée, que l'on me crache au visage, que l'on me dise « Honte à toi ». Mais je me suis sentie très à l'aise durant le shooting et quand j'ai vu les photos, je me suis trouvée différente, féminine. Très femme. Je ne peux toujours pas comprendre ce qu'il y a de mal à être nue. Où est le problème ? [jurons] Aujourd'hui, tout va bien. Je me suis réconciliée avec ma famille et avec les personnes de mon entourage qui trouvaient que j'avais mal agi. Et naturellement, la polémique m'a un peu aidée pour ma carrière.
cafebabel.com:Quels sont vos projets actuels ?
Faire du cinéma serait génial. C'est une atmosphère complètement différente. Et puis le cinéma touche plus de personnes, un film ne meurt pas. J'aime beaucoup Fatih Akin et le film Gegen Die Wand (Head on, en français, ndlr) notamment. Les rôles des filles turques dans le cinéma allemand sont souvent assez clichés. Dans GZSZ (série de soap opera allemand dans laquelle Sila joue, ndlr), mon personnage, Ayla est très contrôlée, disciplinée. En fait, elle est comme moi, avant.
cafebabel.com:Pourquoi vous ne vouliez pas parler de religion durant l'interview ?
La religion est une question irrationnelle qui appartient à chacun personnellement, dans son propre cœur. D'autre part, le thème est très sensible et je ne veux blesser personne. Il faut savoir vivre et laisser vivre. C'est une question entre Dieu et moi. Bien sûr ma famille est musulmane mais je ne veux pas être Jeanne d'Arc.
Photos : Une et texte © Jan Zappner; Vidéo: nyourfacetv3/Youtube