Sida : les séropositifs sont-ils des criminels ?
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10 ans de prison ferme pour Mark Devereaux en Ecosse, idem en Guyane pour Alain Prosper, 5 ans dont 18 mois de prison ferme en France, ces criminels ont un point commun : avoir transmis consciemment le virus du sida.
En Europe, ces procès retentissant rétablissent la justice au cas par cas, mais risquent d'aboutir à une nouvelle stigmatisation des séropositifs et derrière, à renforcer la répression... Aux dépends de la prévention, la capote restant l'instrument le plus solide contre la contamination.
« C’est définitivement une personne diabolique. Il est très manipulateur », pointe une des plaignantes du procès de Mark Devereaux, non-contaminée par cet homme séropositif qui avait des relations non-protégées avec plusieurs femmes malgré qu’il ait contracté le VIH 9 ans plus tôt. Une de ces quatre femmes a été contaminée, à l’instar d’Angélique, une Française victime avec sa fille de quatre ans du même comportement à risque d’un homme séropositif, condamné le 17 novembre à 5 ans de prison dont 18 mois fermes. Des cas retentissants comme ceux-là, il y en a tous les jours : 600 procès dans plus de 40 pays, avec des peines allant de quelques mois à la prison à vie, rappelle la BBC. Des cas judiciaires sensibles, où la justice nationale fait ce qu’elle peut avec les textes en vigueur.
Comment juge-t-on un séropositif en Europe ?
En Allemagne, les peines s’échelonnent de 6 mois à 10 ans lors d’une infection avérée. Quand Nadja Benaissa, la chanteuse du girl band allemand No Angels est poursuivie pour avoir transmit le virus, le tribunal d’instance de Darmstadt la rend coupable en août 2010 de « coups et blessures graves » et de « tentative de coups et blessures aggravés » et la condamne à 2 ans de prison avec sursis et 300 heures de travaux d'intérêt général (TIG) dans un établissement de lutte contre le VIH/SIDA.
Rien à voir avec l’Ecosse, où, pour le procès de Mark Devereaux, c’est une interprétation élargie de l’infraction pour conduite à risque qui a permis de criminaliser la transmission du sida et condamner l’homme à 10 ans fermes. 10 ans, c’est la peine maximale en Suisse si le prévenu sait qu’il est séropositif. Il est accusé de « lésions corporelles graves et de propagation d'une maladie de l'homme ». Mais la nuance helvète permet à un séropositif qui ignorait sa maladie de ne pas être condamné, et on sait qu’en Grande-Bretagne le quart des personnes infectées l’ignorent. En Angleterre et au Pays de Galles, le jugement de Mark Devereaux serait impossible selon Catherine Murphy, de l’association caritative Terrence Higgins Trust, en raison de l’absence d’une telle interprétation sur l’infraction pour conduite à risque. En France, comme en Suisse, les séropositifs ne sont pas poursuivis pour tentative d’homicide ou d’empoisonnement, mais pour « administration de substances nuisibles ». Logique, car un traitement de trithérapie permet, s’il est administré à temps, de vivre une vie longue et digne... Et donc d’éviter de mourir du sida.
Soyons « in », judiciarisons nos vies !
Le résumé législatif est rébarbatif, mais inévitable, car aujourd’hui, les gens qui se font infectés auront un réflexe qu’ils n’auraient pas eu 10 ans plus tôt : coller un procès au cul du responsable de leur malheur. Une tendance menaçante pour les séropositifs selon le Conseil National du Sida, organe consultatif indépendant créé en France il y a 20 ans. Les politiques de prévention autour des comportements à risque n’en sortent pas gagnantes pour deux raisons : la stigmatisation des séropositifs par des procès retentissants et pleins d’émotion fait trop vite oublier que le Sida se contracte à deux – je vous fais un dessin ? – et bien que la loi permette de punir et de neutraliser certaines infractions, elle ne sera jamais aussi solide qu’une capote pour lutter contre la contamination. On peut aussi se demander si la prison est le meilleur endroit pour se repentir, vu qu’ « il est établi que la prison est un lieu de pratiques à risque, qu’il s’agisse de l’injection de drogues ou de relations sexuelles ».
Lady Sida
Un cas hors-norme en Italie révèle la difficulté de juger dans certains cas, et l'absurdité de chercher un bouc-émissaire en la personne des séropositifs. A Ravenne, la prostituée Giuseppina Barbieri a été surnommé « Lady Sida », après avoir été hospitalisée à cause de la maladie en 1998. Et oui, car pendant deux ans, elle recevait les hommes de toute la ville et aurait contaminé environ 5.000 individus, ce qui fait penser qu'elle n'a pas volé son surnom ! Condamnée à un an de prison ferme avec Ferdinando Pognani, l'homme qui l'aurait obligée à se prostituer, elle a subit l'oprobe publique et essuyé les insultes et les menaces de mort de la part des femmes des maris contaminés. Mais qui a pensé à s'en prendre aux maris volages qui s'amusaient à forniquer sans protection dans le dos de leurs épouses ?
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