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Shurik'n : « Le rap, ça peut être mieux demain »

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La ParisienneCulture

Il y a presque vingt ans, IAM sortait L'École du micro d'argent, un album classé au panthéon du rap français. Depuis, deux décennies ont passé, mais les textes nous rappellent qu'hier, ce n'est pas si loin. Les classiques, l'époque, les Panama Papers, Nuit Debout... Interview au fil de l'épée avec l'un des derniers samouraïs.

« Allo ? » La voix est familière. Dès les premiers mots, on la reconnaît. C'est celle d'un samouraï. Celle du premier couplet de « L'École du micro d'argent » et de « La Lettre ». Celle qui conclut : « Il vient à peine de sortir de son oeuf que déjà Petit Frère veut être plus gros que le boeuf ». Celle de Shurik'n, membre de l'un des plus grands groupes de rap français : IAM

Avec son flow unique et une écriture soignée, le rappeur affûte ses phases depuis bientôt 30 ans sur la scène hip-hop française. Mais à l'aube de la cinquantaine, le binôme d'Akhenaton a pourtant encore beaucoup de choses à dire. Depuis quelques jours, le groupe marseillais est d'ailleurs de retour en studio pour préparer un nouvel album qui devrait sortir en 2017. Entre deux sessions d'enregistrement, Shurik'n a décroché le combiné pour nous parler des punchlines passées, des mouvements présents et de sa vision de l'avenir. Retour vers le futur en duplex de la planète Mars.

cafébabel : En 1997, vous sortiez L’École du micro d’argent, un album qui a eu un impact culturel, mais aussi social, considérable. Vingt ans plus tard, quel est le rôle du rap dans la société ?

Shurik’n : On aurait préféré que ce ne soit pas le cas, mais certains de nos textes sont encore d’actualité. Je pense à « Demain, c’est loin », à « Petit Frère », à « La Fin de leur monde »… Mais, tu sais, les rappeurs n’ont pas spécialement un rôle important à jouer, tout le monde a un rôle à jouer, tous les courants musicaux. À partir du moment où tu te positionnes dans tes paroles et dans ton discours, que tu as des choses à dire et que tu les défends, c’est la même chose pour tout le monde. La différence aujourd’hui, c’est que le rap a subi les mêmes changements que la société dans laquelle il vit, bien qu’au départ, comme on l’a longtemps clamé, c’était une culture parallèle. Au final, il a été assimilé et a évolué avec les mêmes travers.

cafébabel : Donc tu n’es pas satisfait de cette évolution ?

Shurik’n : Non, mais c’est différent. Aujourd’hui, ce qui était mainstream à l’époque est devenu plus underground. Le rap s’est diversifié. Donc voilà, plus c’est large, plus y a de la masse et plus y a du déchet. Y a vraiment tous les niveaux, mais l’avantage, c’est que maintenant, on a un outil pour aller sélectionner ce qu’on veut écouter. Tu peux aller entendre un petit groupe au fin fond de l’Amérique latine qui envoie grave, tu peux te tenir au courant de ce qu’il se fait partout dans le monde... Tu peux écouter tout ce que tu as envie d’écouter et ne pas écouter ce que tu n’as pas envie d’écouter.

cafébabel : Toi, qui suis-tu en ce moment ?

Shurik’n : Forcément, il y a des affinités, donc moi, ce sera souvent des gens qui ont tendance à aller vers l’écriture comme des Nekfeu ou des Big Flo et Oli. Dans la génération intermédiaire, j’aime beaucoup Youssoupha, je trouve qu’il a une belle plume. Mais après ça se fait aussi un peu au hasard, il y a énormément de choses à découvrir, c’est tellement vaste… Preuve, s’il en fallait, que le rap reste un art très vivace et très pratiqué dans l’Hexagone ou à travers le monde.

cafébabel : Tu parlais du style de Big Flo et Oli ou d'1995, mais il y aussi Doc Gyneco qui ressort Première Consultation et vous qui avez réédité L'École du  micro d’argent et allez faire un concert anniversaire en 2017. Comment expliques-tu ce retour à un rap un peu « à l’ancienne » ?

Shurik’n : Je ne sais pas, surtout qu’on n’est pas du tout dans une optique « le rap, c’était mieux avant ». Pour nous, le rap, ça peut être mieux demain. Bien sûr, on vient du rap d’avant, mais l’avantage de cette musique, c’est que les compteurs sont toujours remis à zéro. T’es jugé pour le nouvel album que tu sors et pour ta performance. Doc Gyneco sera jugé pour ça. S’il revient et que sa performance est au niveau, il aura un bon accueil, maintenant si ce n’est pas le cas les gens vont mettre en doute la sincérité de son retour. C’est valable pour chacun de nous.

cafébabel : Mais on continue sans cesse de vous demander de jouer les titres de L'École du micro d’argent. Comment expliques-tu le succès de cet album ?

Shurik’n : On ne sait toujours pas et on a arrêté de se poser la question. Il n’y a pas de recette. S’il y en avait une, on serait tous aux Bahamas. Aux Bahamas hein, pas au Panama quand même... (rires) Pourtant, à la première écoute de cet album, il n’y avait aucun morceau évident, c’est quand même des concepts ou de l’ego trip, avec une imagerie guerrière, les paroles sont dures, le flow frappe... C’est vrai qu’il y avait un fort visuel, un réel investissement pour les clips et ça a joué. Ce n’était pas comme aujourd’hui où avec trois iPhones, tu fais un clip… Mais, au départ, tout le monde se mettait les mains sur la tête et se disait : « Comment va-t-on travailler ce disque ? ». Et puis voilà, aujourd’hui, c’est un album qui vit encore. Parfois, il y a de la magie qui se produit, ce n’est pas explicable.

cafébabel : Est-ce qu’il y a des disques qui ont compté autant pour toi que cet opus a compté pour certaines personnes ?

Shurik’n : Bien sûr, Exodus de Bob Marley ou Songs in the key of life de Stevie Wonder. Lui, c’est vraiment mon idole !

cafébabel : À cinquante ans et après trois décennies passées à faire de la musique, qu’est-ce qui t’inspire encore ?

Shurik’n : Bien sûr, maintenant, je parle de paternité, mais je parle de plein d’autres choses différentes. Le fait de vieillir, de vivre à côté de gens normaux, ça te donne beaucoup de choses à observer et donc beaucoup de thèmes à aborder. Et puis il y a encore plein de raisons d’écrire aujourd’hui, malheureusement…

cafébabel : Par exemple, si tu devais réécrire « La Fin de leur Monde » aujourd’hui, tu parlerais de quoi ?

Shurik’n : Ah bah c’est facile. L’année qui est passée, c’était quand même une année de merde… Et je pense que là, on a besoin de sourire, de positivité, de bonnes choses. On ne va pas employer les grands mots, mais l’année précédente, ça a été le carnage et il y a encore des résidus, on est dans un pays en proie au doute, aux soupçons, aux regards suspicieux…

cafébabel : Donc sur l’album que vous préparez, tu as envie de raconter des choses plus positives ?

Shurik’n : Non, tu peux aborder plein de thèmes, mais je pense qu’il faut que ça reste brillant. Là, je parlais de la vie en général. J’espère que cette année, il va se passer des choses positives parce que l’année passée a été terne, sombre. Je pense que tout le monde en a ras-le-bol de vivre ce type d’émotions.

cafébabel : Et tu penses que ça peut aller mieux ?

Shurik’n : J’aimerais bien, mais j’ai du mal à y croire au niveau mondial avec tous les conflits ou les affaires comme les Panama Papers

cafébabel : En fait, quand dans « Demain, c’est loin », tu disais « les générations prochaines seront pires que nous, leur vie sera plus morose », tu étais visionnaire.

Shurik’n : Ouais, à l’époque, on le supputait… Après tu peux te dire que c’est mal barré ou avoir quand même de l’espoir. Et c’est cette petite étincelle qui nous caractérise, même quand ça va très très très mal, il y a toujours une raison d’y croire.

cafébabel : À ce propos, quel regard portes-tu sur Nuit Debout ?

Shurik’n : On a déjà participé à des mouvements populaires comme ça. C’est bien, ça montre qu’il y a encore des gens qui portent attention à certaines choses, mais on se retrouve toujours face au même souci, comme les Indignés en Espagne : à la longue, ça s’atténue parce qu’en haut ça ne répond pas. Ils ne sont même pas au courant de la question, de la situation réelle.

cafébabel : Alors quel message aimerais-tu faire passer à la jeunesse européenne qui y croit encore ?

Shurik’n : Il va falloir se retrousser les manches. Si on veut du changement, il faut être maître de ce changement. Et vivement que ces générations-là arrivent au pouvoir, en espérant qu’elles ne tombent pas dans les mêmes travers que les autres. Il est temps ! Tout évolue, la technologie, les cultures… mais la politique n’évolue pas. Les gouvernants ont tous le même cursus, accèdent au pouvoir au même âge et du coup sont toujours complètement déconnectés de la réalité du monde qu’ils sont censés gouverner.

cafébabel : Justement, en 2017, ce sera l’anniversaire de L'École du micro d’argent, mais aussi l’élection présidentielle française...

Shurik’n : Ouais et ça ne s’annonce pas très bien…

cafébabel : Ça ne vous donne pas envie de vous engager autrement que par la musique ?

Shurik’n : Non, on n’a jamais voulu le faire. On a eu des tas de propositions de tous les partis, excepté un qu’on ne va pas citer... Mais on a toujours refusé. Quand tu prends parti pour quelqu’un, tu perds ta crédibilité. Et il y a toujours le risque de la récupération, on n’est pas chez les Bisounours. Donc, non, on préfère continuer à faire de la musique, exprimer nos idées et passer nos messages en toute liberté.

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Cet article a été rédigé par La Parisienne de cafébabel. Toute appellation d'origine contrôlée.