SECESSION : imaginons une Europe nouvelle
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Emmanuel GrosUne chose est certaine : jamais l’Europe n’a pu être clairement définie en tant qu’unité géographique. En ce moment à Berlin, la Société européenne des Auteurs (SeuA) réfléchit, dans le cadre d’une exposition de tableaux, de vidéos et d’installations, à de nouvelles visions pour notre continent.
Monstre de bureaucratie, passivité, inefficacité… Voilà des clichés qui reviennent bien souvent quand on évoque l’Union européenne. Mais, indépendamment de la dimension institutionnelle et politique de l’UE, qu’appelle-t-on vraiment « Europe » ? Dans une perspective à la fois artistique et scientifique, l’exposition « Deconstructing borders for a migrant Europe », actuellement à l’Institut français de Berlin, tente d’esquisser un autre espace européen. Dans le cadre du projet SECESSION de la Société européenne des Auteurs (SeuA), elle rassemble des artistes de différents pays qui ont pensé des cartes et des frontières pour cet espace. Il en ressort des représentations, des utopies, des dystopies, tournant toutes autour d’une même question : comment penser une unité géographique et une cartographie de l’Europe ?
Pour représenter l’étendue de l’Europe et la complexité lorsqu’il s’agit d’en déterminer les extrémités, Camille de Toledo (CHTO) a conféré à cet espace une dimension corporelle. Dans son installation, il exprime l’espace européen à travers trois cadres contenant des pelages et des peaux d’animaux suspendus par des fils de nylon. Avec ces « cartes-peaux » de couleur rouge, l’écrivain et artiste rappelle
la sauvagerie et la violence au cœur de l’histoire du continent : résultats de guerres et de changements politiques, ces peaux-territoires font apparaître l’espace européen contemporain comme un lieu de sauvagerie. Simultanément, les fines cordelettes de nylon renvoient à un nouveau départ possible, invitant au rêve, à l’utopie. Il en émerge la possibilité d’un avenir renouvelé et différent.
L’artiste albanais Anri Salat tente lui aussi d’associer à l’Europe une forme corporelle, en représentant l’Italie sous les traits d’une anguille. Son travail repose sur des dessins anatomiques et scientifiques du dix-septième siècle, autrefois utilisés pour classifier les espèces. Une tentative dont la futilité rappelle celle qui consiste à vouloir réduire l’Europe à un territoire en délimitant ses contours.
Frontières anciennes, nouvelles et disparues
Dans son installation vidéo « Borders/Europe », l’artiste allemande Simona Koch retrace les déplacements de frontières qui n’ont eu cesse de se succéder au fil des siècles sur le continent européen. Les lignes de démarcation s’estompent, se déplacent, réapparaissent. Ces mouvements montrent à la fois toute la fragilité du concept de nation, la permanence de la violence et, par conséquent, la précarité de la paix européenne.
Chez Julie Béna, frontières, territoires et Etats disparaissent complètement. Dans « Upstream », l’artiste se borne à recenser différents flux. Courants migratoires, guerres, flux de voyageurs, flux financiers… À l’aide de flèches, Béna génère dans ses cartes tissées différents mouvements, tout à fait abstraits et absolument dépourvus de toute référence. Quand l’Europe comme espace (territorial) visible n’existe plus, les frontières deviennent superflues.
L'anthropologue Cédric Parizot montre, en collaboration avec Douglas Edric Stanley dans « A crossing industry », l’industrialisation progressive de la surveillance aux frontières, en s’appuyant sur des données de déplacements issues de ses recherches. L’œuvre, une simulation, place le spectateur dans la perspective d‘un migrant, l’amenant ainsi à découvrir le rapport à la frontière chez ceux qui la franchissent et ceux qui ne la franchissent pas, chez les ayants droit et les autres. L’œuvre prend alors une valeur documentaire autour du pouvoir.
Enfin une Europe cosmopolite et transparente ?
L’œuvre de l’artiste italien Marco Pezzotta prend une tout autre dimension. « Smooth Handoff Panel » traite de la crise économique en Europe. Elle représente une main de verre tendue vers une pièce cassée de 2 euros, à l’image d’une Europe concentrée sur un marché monétaire commun. Mais l’Euro n’est-il pas déjà mort ? N’est-il pas trop tard pour le sauver ? N’est-ce pas vers une transparence des marchés qu’il faut tendre ? Pezzotta, avec ces deux doigts transparents, fait référence à la main invisible d’Adam Smith. On trouvera par ailleurs des travaux d’Álvaro Martínez Alonso, de Kader Attia, Famed, Hackitectura, Nicolas Maigret, Migreurop et Philippe Rekacewicz. L’exposition « Deconstructing borders for a migrant Europe » reflète une image extrêmement diversifiée de l’Europe, caractérisée par l’utilisation transversale de différents médias : installations, vidéos, imprimés, dessins, photographies et simulateurs de jeux. Du microcosme à la perspective globale, les artistes présentent le continent sous toutes ses coutures. Si cette Europe-là n’est pas nécessairement nouvelle, elle est en tout cas pensée différemment et avec nouveauté. Elle garde ainsi, en plus de sa dimension politique et institutionnelle, une perspective cosmopolite et artistique.
L’exposition « Deconstructing borders for a migrant Europe », dans le cadre du projet Secession, est à visiter jusqu’au 10 octobre 2014 à l’Institut Français de Berlin (à l’adresse suivante : Kurfürstendamm 211, 10719 Berlin). L’entrée est gratuite. Si vous préférez la voir sous une forme plus animée, rendez-vous le 23 septembre à 19h à l’Heimathafen (Karl-Marx-Str. 141, Neukölln) pour une performance de SECESSION !
Concevoir l‘Europe ? Même pas peur !
En septembre et octobre 2014, la série de manifestations SECESSION permettra d’aborder le thème de l’Europe au-delà de son aspect bureaucratique. Cafébabel étant convaincu que le cœur de l’Europe est avant tout son incroyable diversité, et non une frénésie réglementaire, nous sommes bien évidemment partenaires du projet. Vous trouverez plus d’informations sur Facebook et Twitter.
Translated from SECESSION: Stell dir ein neues Europa vor