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SDF en Pologne : je vis dans un taudis. Et toi ?

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Société

Difficile de définir combien de personnes vivent dans la rue. En Pologne comme ailleurs, ces donnés ne répondent pas à la logique des statistiques lambda. Certaines estimations nous aident à nous faire une idée de l’ampleur de ce phénomène. Le ministère polonais de la politique du travail et social évalue les sans-domiciles fixes entre 80 et 130 000 personnes.

Selon Caritas Pologne, ils seraient environ 30 000 dans le pays, là où d’autres organisations parlent de 500 000 démunis. Un demi-million de Polonais.

La difficulté des chiffres augmente avec la grande diversité des situations de crise. Qui est SDF ? Celui qui dort sur un carton ? Celle qui chauffe, en vain, une maison en ruines ? L’alcoolique qui mendie ? Les chiffres, ils s’en foutent. Les sans-abri polonais essayent de survivre, un point c’est tout. Sans-domicile, mal-logé, grande précarité, travailleur pauvre : autant de mots pour parler d’une vie à la dure. La politique du gouvernement polonais ? Inviter la population, en période hivernale, à composer le 112 dés qu’une personne dans le besoin se présente sous leur fenêtre. En une semaine, au plus fort de la gelée, plus de 50 personnes sont mortes de froid dans le pays. Dans le même temps, 190 mal-logés se sont empoisonnés au monoxyde de carbone. Il reste les refuges aux dortoirs chauffés. Mais les SDF eux-mêmes se plaignent de l’accueil. Seuls certains établissements n’ont rien à se reprocher, ailleurs « on nous demande même de l’argent pour pouvoir manger », confiera l’un d’entre eux, « on ne peut pas jouer avec la vie des gens. »

Avec des amitiés et des brouilles

A Varsovie, les SDF se cachent. Comme dans toutes les agglomérations, la nuit, les arrêts de tramway et de métro deviennent leur dortoir. Mais ils ne sont qu’une poignée à se montrer en centre-ville. La grande majorité a élu domicile dans les terrains abandonnés de la capitale. Maisons délaissés, jardins ouvriers en friche, jungle de détritus. Quartier sud, à l’ouest de la Vistule, le fleuve qui coupe la capitale polonaise en deux : côté riche, côté pauvre. La maraude (personne qui porte assistance aux SDF,ndlr) qui vient à leur rencontre doit sortir des sentiers illuminés de la ville et rouler encore plusieurs kilomètres. Les travailleurs sociaux garent leur voiture et continuent à pied, dans la bouillasse des chemins improvisés. A l’abri d’une route, au fond des arbres : un jardin ouvrier laissé à l’abandon. Ici, vivent plusieurs sans-abri. Chacun a sa cabane, rapiécée avec les moyens du bord. Comme des voisins, ils s’organisent une vie en communauté. Un semblant de vie pour tenir le coup. Avec des amitiés et des brouilles.

Et au milieu : la vielle dame qui réclame la paix dans le voisinage.« Ah ! Vous voilà ! Venez-donc m’aider ! » Une vieille dame s’approche de la maraude, une casserole à la main. On lui prend le récipient pour le remplir d’une soupe à la betterave. Les joues brûlées par le froid, la peau ternie, les baskets craquelés de partout, elle emmène les travailleurs sociaux au cœur de son « quartier ». Un chien n’arrête pas d’aboyer. Cette fois-ci, ce n’est pas lui qui est au cœur de la discorde de voisinage, mais bien l’animal de compagnie de l’homme qui vit tout prés. « Il a laissé sa bête dehors, toute la nuit ! Je ne peux pas m’occuper de mon chien et du sien, vous comprenez ! Il faut toujours qu’il complique tout, cet homme ! » Derrière son épaule, le conjoint de la vieille dame acquiesce de la tête. Une brouille de voisinage, comme on en connait tous. Mais, ici, le couple vit dans des conditions exécrables. Au pied de leur cabane, des déchets en tout genre : palettes de bois, boites de conserves, sachets plastiques, récupérations, bibelots. Ils ne survivent qu’avec l’aide des maraudes qui apportent de la nourriture et leur proposent des soins dans les refuges. Pourtant, ils veulent s’organiser un semblant de vie, pour donner un sens à tout ça.

« Comment je vis ici ? Grâce à mon chariot ! »

"Des nids à microbes et autres maladies contagieuses gelés par le froid de l’hiver."A quelques mètres de là, Jadyslaw reçoit des amis chez lui. L’accueil est sommaire, mais c’est convivial. A l’intérieur du cabanon, une radio chante les tubes du moment. Les « invités » sont entassés les uns sur les autres, autour d’un verre. Des banquettes en bois sur lesquels sont allongées des couvertures récupérées. Pour couper le vent, un gros rideau de laine double la porte d’entrée. « On est deux à vivre là, mais aujourd’hui il y a plus de monde. J’ai des invités », explique l’homme aux cent rides sur le visage. « Comment je vis ici ? Grâce à mon chariot ! Je ramasse les canettes et boites de conserve dans la rue ou dans les bennes à ordures. Et je les revends. » Jadyslaw est payé 4 zlotys par kilo de métaux. Moins d’un euro. Il traverse la ville de part en part pour récolter jusqu’à 20 kilos de conserves : « je peux en faire rentrer beaucoup dans mon chariot. » Des ordures, il y en a partout autour de lui. Des nids à microbes et autres maladies contagieuses gelés par le froid de l’hiver.

Klaudia, son concubin, leur chien et leur chat ne vivent pas dans le jardin ouvrier. Ils habitent dans une vieille bâtisse abandonnée. Une maison en ruines prête à s’effondrer. Ils squattent et tentent de survivre à l’hiver en trouvant du bois pour se chauffer. Avec la crainte de se faire chasser par les autorités de ce logement abandonné. « C’est très dur de vivre comme ça. Je dois trouver du bois pour me chauffer. Il y en a presque plus. Où je vais le chercher ? Dans les ordures, pas loin. Des fois je ramène une palette, mais ça suffit à peine pour se chauffer une journée entière. » La maraude lui apporte aussi de la soupe, des conserves et du pain. Mais pas tous les jours. Alors comment vivre ? « Pour manger, et bien, je fais les poubelles. Je n’arrive pas toujours à trouver quelque chose, mais des fois je tombe sur des restes. » La fragile Klaudia se bat tous les jours pour nourrir concubin, chien et chat. Sa famille. Tout ce qui lui reste. 

Photo © VirginieWojtkowski : Vidéos : DZLepirate100/YouTube