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Saucisson cherche jeune fille

Published on

Lyon

"Suite à d'importantes pressions policières", Julie renonce à son "apéro rosette et pinard". Et déplore "un deux poids, deux mesures" pour les organisateurs de fêtes à message. Julie est un peu de mauvaise foi.

"L'indignation politique et médiatique est particulièrement sélective dans ce pays", s'indigne à son tour Julie sur la page Facebook du groupe qu'elle a créé il y a trois jours, et qu'elle annonce vouloir fermer demain.

Elle en veut pour preuve le récent Kiss-in organisé devant la cathédrale Saint-Jean par des associations gays. Un rassemblement considéré comme une provocation par les associations catholiques et identitaires lyonnaises, venues défendre sur le parvis leurs "valeurs" qu'elles estimaient menacées.

Après plusieurs heures d'un face-à-face tendu, la police était intervenue pour disperser les manifestants, évacuant sans ménagement certains des défenseurs de la France chrétienne, dont un avait finalement été arrêté et emmené, crucifix en main.

(Photos : Sébastien Erome/Signatures)

Et Julie de s'offusquer du sort fait à son apéro rosettophile, par opposition au bisoutage collectif de la place Saint-Jean :

"L'un est "provocateur" et "haineux", l'autre bénéficie de toutes les complaisances... Pourtant, le principe est totalement identique."

Vraiment, Julie ?

Sur le site Gayinlyon.com, l'appel à la manifestation parle d'un "happening sympathique et amical" organisé dans le cadre de la Journée mondiale contre l'homophobie du 15 mai dernier. Rien de bien revanchard dans cette formule un rien bisounours qui se refuse à "se dresser contre une catégorie de population" et parle amour et flower-power.

Bien sûr, on m'objectera que les organisations, quelles qu'elles soient, appellent rarement à manifester au cri de "Haters de tous les pays, regroupez-vous devant la cathédrale !". Certes. Quoique :

Malgré tout, il faut quand même admettre, chère Julie, qu'il y a une différence de taille entre une manifestation organisée en soutien à un groupe de personnes, et une autre organisée contre une minorité que l'on estime trop visible dans l'espace publique.

On m'objectera à nouveau que l'apéro rosette-pinard se veut un évènement de soutien aux amateurs de cochonaille.

N'en déplaise aux amoureux de la saucisse, cette denrée est en vente libre et rien n'empêche qui que se soit d'en manger : pourquoi manifester pour défendre non pas un droit (de voter, de se marier, d'accéder à l'emploi dans des conditions normales) mais un goût, dont chacun s'accorde à dire que, comme la couleur, il ne se discute pas ?

Moi aussi on me discrimine

Alors ok, Julie vit dans un quartier dont de nombreux riverains sont musulmans. Ok, elle se sent déconsidérée, voire menacée, parce qu'elle n'est pas musulmane. Dans la mesure où je traverse sa rue deux fois par jour pour aller à mon travail et en revenir, j'ai quelques doutes, mais admettons.

Moi, je travaille dans un quartier assez chic. Quand je rentre dans les boutiques de l'avenue de Saxe avec mon sandwich jambon-beurre, je sens bien que les vendeuses me regardent de travers parce que je suis différente. Je ne porte pas de tailleur, mon sac à main n'est pas siglé, je ne fais pas partie de leur monde.

Au fond, je le sens bien : elles en veulent à mon sandwich au jambon, trop gras, trop peuple pour leurs chemisiers à 120€ pièce. C'est très clair : je suis discriminée. Julie, je t'en supplie, viens à mon secours !!

Un peu de sérieux.

Question, comme ça, en passant : et si tu n'étais tout simplement pas très sympa, Julie ?

Une de mes voisines passe régulièrement par toutes les phases de la parano aigüe, tape contre les murs alors que je ne fais pas de bruit, n'ouvre pas quand je frappe à sa porte et rase les murs d'un air terrorisé quand je la croise dans l'escalier. Devine ? Après 15 tentatives pour entrer en contact, j'ai fini par la regarder de travers quand je la vois.

Bah ouais.

Honnêtement, cet apéro, tu voulais vraiment l'organiser ?

Tu es apparemment étudiante, une frêle jeune fille sans défense dépassée par son succès. Vu le mal que tu as à entrer en contact avec ton entourage immédiat, je veux bien le croire.

Mais enfin, à quoi est-ce que tu t'attendais ? A une absence totale de réaction ?

Julie, mon amie, tout ça ressemble un peu trop à une manœuvre médiatique maladroite. J'en viens à me demander si tu existes, et si cet apéro n'était pas une fiction, depuis le début. Histoire de crééer le buzz, comme disent les gens qui n'ont rien à dire.

Ça donne l'occasion de tester les forces en présence, en quelque sorte : la parole se libère, on voit combien et qui on est à penser pareil, on énerve un peu ceux d'en face, le tout pour pas un rond et de manière anonyme.

Et au passage, on se fait passer pour une victime du politiquement correct et on souffle un peu sur les braises de ce drôle de délire qui voit dans la moindre boucherie hallal, dans la plus petite bisous-party, une attaque frontale.

Je perds donc un peu de mon temps pour écrire ici que oh, ça va maintenant.

Mange ce que tu veux et embrasse qui bon te semble, personne ne veut t'en empêcher. Parce qu'on s'en tape !