Sarah Marquis marche pour communiquer avec la nature
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La journaliste du Monde, Yoanna Sultan-R'bibo est allé à la rencontre d’une grande marcheuse, Sarah Marquis. Cette Suissesse a traversé en 23 ans de vastes contrés, de la Sibérie à l'Australie, du Chili à la Mongolie. Celle qui fréquente le monde en mode survie, a été nommée " Aventurier de l'année " en 2014 par le " National Geographic ".
A 45 ans, cette téméraire cherche des défis toujours plus intenses. Après une expédition dans la cordillère des Andes en 2006, Sarah Marquis a marché pendant trois ans, de la Sibérie à L'Australie. Mille jours, 1 000 nuits, 20 000 km et un livre, Sauvage par nature (Pocket, 2015).
En 2016, cette marcheuse de l'extrême partait à l'assaut de la côte ouest australienne, sauvage et peu explorée. Trois mois en tête-à-tête avec la nature, en mode survie, s'inspirant des techniques ancestrales des Aborigènes pour se nourrir. Elle s'envolera fin décembre pour une traversée à pied de la Tasmanie, du sud au nord, au cœur d'une forêt primaire non touchée par l'homme.
Dans interview avec le journal Le Monde, Sarah Marquis explique pourquoi avoir choisi un mode de marche si extrême. « Par curiosité. La marche se vit pour moi en mode aventure. Je suis persuadée que l'homme a des capacités mille fois supérieures à celles qu'il utilise. En termes de force physique comme mentale. Ce n'est pas quelque chose qu'on enseigne, on nous inculque même l'inverse. Pour moi, l'esprit et le corps n'ont pas de limites. Il n'y a aucune barrière, je l'expérimente chaque jour en marchant. On développe une autre conscience, et on franchit des niveaux, un peu comme dans un jeu vidéo.
Le corps n'a pas de limites, mais il souffre, en marchant…
La souffrance, c'est d'abord une peur. La peur d'avoir mal. Puis on se rend compte que lorsque la douleur arrive, le corps, comme l'esprit, savent la gérer. Notre société nous fait vivre dans une bulle, veut nous préserver de tout, " assurer " notre corps pour qu'il ne lui arrive rien. Le courage n'est pas une valeur reconnue, c'est dommage. En marchant, on apprend à accepter la douleur, on se découvre courageux.
Dans cet état quasi animal, quel lien développez-vous avec votre environnement ?
Communiquer avec la nature, c'est surtout ce qui me permet de rester en vie ! Je pars du principe que rien n'y est hostile, ni les animaux ni les éléments, et qu'il y a forcément un moyen d'entrer en lien avec elle. Le problème, c'est qu'ici, dans nos vies urbaines, notre disque dur est surchargé d'informations. Pour me reconnecter à la nature, je dois passer par des séances de " nettoyage ". Il me faut du temps, à chaque fois, pour retrouver le lien. Un état auquel j'arrive uniquement grâce à la marche.
Vous dites percevoir et recevoir l'énergie de la nature…
C'est certes difficilement mesurable scientifiquement, quasi mystique, je vous l'accorde, mais l'homme a la capacité de se recharger en énergie auprès de la nature, comme on branche son smartphone à une prise électrique. Au Japon, on organise bien des marches au cœur des forêts de bambous pour se régénérer. Si mes expéditions n'avaient qu'un but, ce serait celui-ci : montrer que le lien avec la nature est le seul moyen pour l'être humain de sauver sa peau. J'ai passé la moitié de ma vie à traverser les forêts, les déserts, les steppes, et j'ai développé cette capacité à m'y ressourcer, au bout d'une vingtaine de minutes de marche. Après tout, il s'agit simplement de retrouver la condition originelle de l'être humain : mettre un pied devant l'autre, au cœur de l'immensité de la nature.
Etre une femme seule complique-t-il vos expéditions ?Pas simple d'être une femme aventurière. Mais je pars toujours sans appréhension. Si j'ai su survivre face aux crocodiles et aux grizzlis, je saurai le faire face à quelques hommes malintentionnés. C'est un état d'esprit : je ne me présente pas comme une " proie ", je me sens plutôt tigresse. L'attitude corporelle joue beaucoup. Le regard, la voix, les pieds bien ancrés dans le sol, la position des mains, la distance que l'on met avec l'autre. Il faut être une " tueuse ", et, comme un animal, défendre son territoire. Là encore, c'est très instinctif. Il m'est tout de même arrivé d'avoir très peur ; au Laos, dans la jungle, je me suis fait attaquer par des trafiquants de drogue, armés de mitraillettes. J'ai fini par m'en sortir, mais ce jour-là, je me suis dit que la fin était venue. D'ailleurs, je n'ai pas peur de la mort, c'est une réalité très claire dans ma tête. Elle fait partie de mon quotidien.
La marche permet-elle aussi un cheminement intérieur ?
Bien sûr. La magie de la marche, c'est la corrélation de deux choses : une nature parfois hostile, qu'il faut apprivoiser, et qui permet de se découvrir de l'intérieur. L'individu ne se connaît pas. Il n'existe que dans un conditionnement socioculturel, par rapport au groupe. En marchant, on apprend beaucoup sur soi, on touche à son unicité. C'est d'ailleurs pour cela que j'ai choisi de marcher en solitaire ; il faut être seule pour atteindre cette forme d'harmonie.