Samba : une comédie efficace et réaliste sur les sans-papiers
Published on
[Opinion] Bénévole dans la même association d’aide aux migrants que l’auteure du roman qui a inspiré Samba, je vous livre mes impressions sur ce film.
Après les 20 millions d’entrées d’Intouchables, Eric Toledano et Olivier Nakache reviennent avec Samba, une comédie tout aussi réussie. L'histoire d'amitié entre un aristocrate tétraplégique et un jeune de banlieue fait place à une histoire d’amour entre Samba, un Sénégalais sans papiers et Alice, une cadre en burn-out. Omar Sy est toujours de la partie, entouré de trois excellents acteurs : Charlotte Gainsbourg, Tahar Rahim et Izia Higelin.
Un film réaliste
Perdue après son burn-out, Alice (Charlotte Gainsbourg) devient bénévole dans une association d’aide aux migrants, la Cimade. Delphine Coulin, l’auteure de Samba pour la France, dont est adapté le film, y a été bénévole. Elle s’est inspirée de son expérience pour écrire son roman et a collaboré à l’écriture du scénario.
Passionnée par les questions migratoires, j’ai aussi été un temps bénévole à la Cimade. Le portrait de l’association est fidèle à ce que j’ai vécu à la permanence juridique de Lille. Comme le dit Manue (Izia Higelin), les bénévoles sont surtout « des retraités ou des étudiants en droit ». Les premières semaines, j’étais perdue dans le jargon administratif et les procédures juridiques alambiquées, à l'instar du personnage de Charlotte Gainsbourg. C’est pour cela que les bénévoles fonctionnent en général en binôme - un ancien/un nouveau - pour aider les migrants.
On m’avait également conseillé de ne pas donner mon numéro de téléphone. Mais comme dans le film, c’est une ligne que l’on franchit forcément à un moment. J’avais ainsi donné mon contact à un jeune guinéen mineur qui venait d’arriver en France. Placé en foyer d’accueil, je l’avais revu en dehors du cadre de l’association pour lui faire visiter Lille.
Samba rend également bien l’absurdité des situations administratives dans lesquelles se retrouvent prisonniers les migrants. Ils viennent chercher des solutions auprès des bénévoles, mais il est fréquent que l’on ne puisse pas en apporter. Si le montage d’une succession de face-à-face entre bénévoles et migrants rend ce décalage hilarant, l’enchaînement des rendez-vous est en réalité épuisant et déprimant.
Dans le film, Alice recommande à Samba de se cacher pendant un an, parce qu’il a reçu une Obligation de Quitter le Territoire Français (OQTF), valable douze mois. Pendant cette période, s’il se fait arrêter, il risque d’être expulsé, et il ne peut pas demander de titre de séjour. Sa seule option, c’est d’attendre, en se faisant « discret ». Un euphémisme pour décrire une année passée à se terrer, en étant menacé d'expulsion à chaque instant, même après avoir vécu dix ans en France.
Comme tous les bénévoles, je me suis souvent sentie impuissante, n’ayant d’autre option que de donner aux migrants des conseils tout aussi aberrants que leurs situations administratives. À un homme dont les enfants vivaient à l’autre bout de la France, et qui s’était vu refuser une demande de titre de séjour en tant que parent d’enfant français, je m’étais entendue dire : « la prochaine fois que vous allez voir vos enfants, gardez les billets de train et prenez des photos de vous avec eux. » L’objectif étant d’apporter plus de documents pour la prochaine étude de son dossier. « Mais en attendant, je fais quoi ? », m’a-t-il demandé. Je lui ai répondu, aussi abattue que lui : « Rien, vous ne pouvez rien faire tant qu’il y a l’OQTF… »
Une comédie engagée
Samba est loin d’être un brûlot comme Illégal ou un drame comme Welcome. Même s’il en montre les limites et l’absurdité, il ne dénonce pas directement les politiques migratoires.
Cependant, grâce à son label « comédie grand public », on peut espérer que le film sensibilise un certain nombre de spectateurs au quotidien des sans-papiers. Sans tomber dans l’angélisme ou le misérabilisme, Samba offre avant tout le portrait d’un homme, au-delà de son statut administratif. En offrant ce rôle à Omar Sy, les réalisateurs lui permettent de confirmer son talent comique, tout en assurant à leur personnage d'être incarné avec charisme.
Le film donne surtout une visibilité aux sans-papiers, souvent exclus de l'espace public. Samba montre bien à quel point ils sont cantonnés aux arrières-cuisines ou aux centres de tri des déchets. On découvre alors une sorte de ville parallèle, amputée de ses attributs névralgiques. L'oncle de Samba lui recommande ainsi d'éviter les grosses stations de métro où les contrôles de police sont fréquents, comme les Halles.
Dans cette ville, les seuls lieux de liberté qu’il semble rester à Samba et à son ami brésilien Wilson (Tahar Rahim) sont les hauteurs, qu’il s’agisse des toits à apprivoiser pour échapper à la police, ou des échafaudages où ils travaillent. Perché à plusieurs dizaines de mètres du sol sur une nacelle de nettoyage de vitres d’immeuble, le personnage de Tahar Rahim, enfin libre, nous offre une scène de danse mémorable.
Samba est donc bien plus qu’une comédie grand public. C’est aussi un film engagé qui, par le biais des salles obscures, rend leur place aux sans-papiers dans l’espace public.