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Saint Michel : vers la douceur

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BrunchCulture

Même en automne, il arrive que les albums naissent dans les choux. Délicat de bout en bout et labélisé « versaillais », celui des Français de Saint Michel a été accouché dans la finesse par deux musiciens dont les histoires bien distinctes sonnent avant tout comme le parfait accord.

Il l’appelle Milou. Parfois, il le regarde en biais, avec un rictus, histoire de voir s’il ne l’a pas vexé. On ne sait jamais. Philippe parle beaucoup, parfois un peu trop. Alors Emile intervient. Pas très longtemps. Philippe reprend vite le dessus. Du coup, Emile fait le con – ou s’emmerde - en pianotant les touches d’un téléphone. Et en attendant que ça passe.

« Faire succomber les meufs »

C’est d’abord un couple que forme Saint Michel. Dans une salle sans charme du siège de Sony Music à Paris, quand Emile Larroche - 20 ans - se fout de la gueule des mecs d’à-côté en costard-cravate, Philippe Thuillier - 30 – sourit, vite fait. C’est une interview, quand même. Ils ont 10 ans d’écart. Et ça se voit. Avachi sur son fauteuil à roulette, Emile caresse le fil du téléphone tandis que Philippe explique, décrypte, analyse, sans mettre les coudes sur la table. Question d’éducation. En plus de la différence d’âge, les deux musiciens ne viennent pas vraiment du même milieu. Quand Emile naît à Paris dans une « famille de théatreux pure gauche, voire communiste », Philippe a déjà passé dix ans à Versailles « habillé toute en flanelle, petite bretelle, chaussette en haut du mollet et mocassins vernis » et beaucoup de jours « à la messe, aux scouts d’Europe ». C’est pour ça, que pour se vendre, le groupe commence par dire dans son ancienne biographie, que « tout les séparait ». Aujourd’hui, « le concept est drôle mais il atteint vite ses limites », selon Philippe. Depuis Paris, Emile se rend désormais tous les jours à Versailles. « En fait, il y a plus grand-chose qui nous sépare, à part un train », dit-il. Avant de souffler : « roh la phrase débile ».

Il a bien fallu choisir son camp. Que ce soit Sony/Columbia ou le groupe qui vous le dise, « le premier album de Saint-Michel est un projet versaillais ». Hommage à la French Touch ? A l’électro-pop de la commune française qui a vu naître Daft-Punk, Air ou Phoenix ? Aux Rois de France ? « C’était logique d’un point de vue marketing », résume Emile. Intitulé Make Love & Climbing, le disque s’écoute mieux en faisant l’amour ou de l’escalade, les deux passions de Philippe qui fredonne une certaine idée de la séduction sur 12 morceaux aussi sexy qu’une danse érotique. Le duo le répète à l’envi, « cet album a été écrit pour faire succomber les meufs ». Histoire d’affiner le trait et de draguer les critiques, Philippe et Emile se définissent comme un groupe de « french romantic electro pop ». En d’autres termes, « ce truc bourgeois qui t’amène à faire des choses sensibles ». Une démarche élitiste ? « Je ne pense pas, répond Emile dans son siège baquet. On fait juste quelque chose de délicat en prêtant attention aux détails. » Philippe, la parka sur les épaules, élabore : « On essaie de s’interdire de tomber dans une efficacité vulgaire. Et c’est peut-être là où on est versaillais : dans le fait de désigner ce qu’est le bon goût et ce qu’il ne l’est pas. »

La gaule, de bon matin

La première fois qu’ils se sont rencontrés, c’était avec Milestone. Emile entend parler du premier groupe « très radiohead » de Philippe grâce à son prof de guitare. Ils cherchent un guitariste alors « Milou » débouche à la première répèt. Il a 17 ans. « Il s’est pointé en mode baggy, casquette de travers, raconte Philippe avec la gestuelle qui va bien. Bref, dans une stylistique vachement éloignée de la nôtre. On s’est demandé "est-ce qu’on va se comprendre ?" ». Pas de coup de foudre, donc. Pourtant, six mois plus tard, les deux larrons se retrouvent « comme cul et chemise ». Comme une suite logique aussi, les autres membres du groupe accusent le coup(le). Milestone, qui n’a jamais décollé en 7 ans d’existence, devient suffisamment étouffant pour qu’un beau jour Philippe appelle Emile en secret en lui proposant de le rejoindre sous la lune avec un synthé mais « sans les autres ».

Saint Michel - 'Would you say'

Le regard perdu dans son gobelet en plastique, Philippe se pose encore des questions. « Je ne comprends pas pourquoi Milestone n’a pas intéressé plus de monde et ça me fout en colère. » Qu’importe, une chose est sûre : Saint-Michel cartonne d’entrée. « On a passé 7 ans à défendre un projet, personne n’en avait rien à foutre. Et là 4 mois, champagne ! », continue Philippe, en boudant. Le groupe monte son premier EP Katerine « en faisant tout l’inverse de Milestone », puis signe chez Sony/Universal et finit par accompagner Revolver ou Sébastien Tellier en tournée. Entre-temps, les amants partent bosser leur album à la coule, tantôt dans le Loiret - « parce que le père de Milou a une maison de campagne là » - tantôt chez ICP, le studio bruxellois de renommée mondiale. C’est là que Saint-Michel soigne sa délicatesse dans le luxe et tourne les boutons comme on désape la plus belle fille du lycée. « Dès 8h du mat’, j’avais une gaule sans nom, s’emporte Philippe. Ça sentait bon, t’avais des trucs en bois trop classe, des canapés en cuir trop stylés. Tout ça dans une atmosphère de semi-pénombre où seule la console est éclairée. En tant qu’ingé son, c’est aussi beau qu’une belle meuf. »

Finalement, il ne pouvait en être autrement. Si Make Love & Climbing dégage autant de puissance érotique, c’est qu’il a été accouché dans la finesse par un couple qui s’est même offert le luxe d’inviter le saxophoniste de Supertramp sur un des titres. « C’est tombé comme ça, sans qu’on s’y attende vraiment. » Philippe et Emile ne savent pas encore quoi faire des trompettes de la renommée mais sont bel et bien sûrs d’une chose : « on revendique la délicatesse ».

Lire : l'interview fleuve de Saint Michel sur le groupe Garage à beats. 

Ecouter : Make Love & Climbing (Sony/Columbia)

Saint-Michel sera en concert à Paris, à la Maroquinerie, le 12 décembre prochain. Pour consulter leurs dates de tournée, cliquez

Story by

Matthieu Amaré

Je viens du sud de la France. J'aime les traditions. Mon père a été traumatisé par Séville 82 contre les Allemands au foot. J'ai du mal avec les Anglais au rugby. J'adore le jambon-beurre. Je n'ai jamais fait Erasmus. Autant vous dire que c'était mal barré. Et pourtant, je suis rédacteur en chef du meilleur magazine sur l'Europe du monde.