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Rwanda : le lent chemin vers la justice

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Société

Im­mer­sion dans le pro­cès de Pas­cal Sim­bi­kang­wa­, ex-ca­pi­taine dans l'ar­mée rwan­daise ac­cusé d'avoir par­ti­cipé au le gé­no­cide de 1994 qui a fait 800 000 morts en 100 jours. Le tri­bu­nal de Paris l'a condamné à 25 ans de pri­son, mais les ques­tions, no­tam­ment sur la res­pon­sa­bi­lité de la France dans cette guerre ci­vile, et les at­tentes des vic­times de­meurent. 

Le 14 mars s'ache­vait à Paris le pro­cès de Pas­cal Sim­bi­kangwa, ex-ca­pi­taine de l'ar­mée rwan­daise, ar­rêté à Mayotte en 2009. Au Rwanda, où les ma­nuels d'his­toire res­tent à écrire, ce pro­cès de­vait contri­buer à ré­vé­ler la vé­rité du gé­no­cide. Un pro­cès his­to­rique à plus d'un titre : pour la pre­mière fois, la France uti­li­sait la loi de com­pé­tence uni­ver­selle qui l'au­to­rise à pour­suivre sur son ter­ri­toire les pré­su­més au­teurs ou com­plices de crimes contre l’hu­ma­nité.

un procès historique

Un pro­cès his­to­rique, certes, mais la France a traîné pour en ar­ri­ver là. En 2001, la Bel­gique ju­geait quatre gé­no­ci­daires rwan­dais ré­fu­giés sur son ter­ri­toire. Le Ca­nada, la Suède, la Fin­lande, les États-Unis et ré­cem­ment l'Al­le­magne ont aussi eu leurs pro­cès. Condam­née par la Cour eu­ro­péenne des droits de l'homme pour la len­teur de ses pro­cé­dures, la France s’est trop long­temps dé­mar­quée par son si­lence. Pour­tant, le Col­lec­tif des Par­ties Ci­viles pour le Rwanda (CPCR) dé­nombre vingt-cinq plaintes dé­po­sées de­puis 1995 contre de pré­su­més gé­no­ci­daires.

Mais nul n'est dupe des ater­moie­ments de la jus­tice fran­çaise. Les pro­cé­dures en cours conduisent la France sur le ter­rain de ses liens avec le Rwanda. Au mo­ment du gé­no­cide, ils unis­saient le clan Mit­ter­rand à celui du pré­sident rwan­dais Ju­vé­nal Ha­bya­ri­mana. Ce­lui-là même dont l'as­sas­si­nat a en­traîné le pays, par le bas­cu­le­ment de son ré­gime, dans le gé­no­cide des Tutsi en avril 1994.

Pas­cal Sim­bi­kangwa est un an­cien membre de la garde pré­si­den­tielle d'Ha­bya­ri­mana. Il di­ri­geait jus­qu'en 1992 le re­dou­table SCR (ser­vice cen­tral de ren­sei­gne­ments) et était un membre pré­sumé de « l'Akazu » (la « pe­tite mai­son » en ki­nyar­wanda, nda), vé­ri­table so­ciété se­crète au­tour du pré­sident qui ré­gnait sans par­tage sur le pays. De­venu homme de l'ombre, Sim­bi­kangwa est soup­çonné d'avoir or­ga­nisé les mas­sacres à Ki­gali et dis­tri­bué des armes aux « pe­tites mains » du gé­no­cide. Bien que pa­ra­plé­gique à cause d'un ac­ci­dent de la route, il est loin d'être une vic­time dans le box : il se se­coue, ré­pond aux ques­tions d'une voix vive, in­vec­tive les par­ties ci­viles, et cite les cotes de son propre dos­sier.

Le spectre de la Fran­ça­frique

Sim­bi­kangwa a été la ve­dette pen­dant six se­maines de pro­cès. Et sou­vent, le spectre du rôle de l'État fran­çais a rôdé au des­sus des dé­bats. Les at­tentes dans la salle sur le sujet étaient lar­ge­ment pal­pables. Lorsque l'an­cien am­bas­sa­deur belge, en poste au Rwanda pen­dant le gé­no­cide, té­moigne, il pointe l'ab­sence de ses ho­mo­logues fran­çais à la barre. Brou­hahas, rires nar­quois, com­men­taires iro­niques par­courent l'as­sis­tance, ma­jo­ri­tai­re­ment fran­çaise. Li­liane, une franco-rwan­daise de 25 ans, a fus­tigé une « ges­ti­cu­la­tion de la France pour être bien vue à l'ap­proche de la cé­lé­bra­tion des 20 ans du gé­no­cide ». Pour elle, « l'ac­cusé n'est qu'une di­ver­sion et d'autres res­pon­sables bien plus im­por­tants res­tent à l'abri, ca­chés ». Mais lors d'une pause entre deux séances, un an­cien avo­cat, proche du CPCR, a rap­pelé que « ce pro­cès reste celui d'un homme, Pas­cal Sim­bi­kangwa ». La salle a en effet subi les dia­tribes de l'ac­cusé, et sa rhé­to­rique né­ga­tion­niste, son dis­cours vic­ti­maire mais sur­tout son déni épuisent l'as­sis­tance.

Une vé­rité in­trou­vable

Ce déni – Sim­bi­kangwa af­firme n'avoir vu aucun ca­davre du­rant les 100 jours du gé­no­cide à Ki­gali –  est sans doute ce qui pou­vait ar­ri­ver de pire à ce pro­cès. Dans son ré­qui­si­toire, l'avo­cat gé­né­ral Bruno Stur­lese s'est adressé à la cour, dé­pité : « il n'y a rien à at­tendre de cet ac­cusé dans l'exer­cice de la re­cherche de la vé­rité au­quel nous nous li­vrons ici ». Mal­gré le dé­filé des té­moins qui le chargent, Pas­cal Sim­bi­kangwa, passé maître dans l'art de dé­tour­ner les ques­tions, lais­sera de nom­breuses zones d'ombre pla­ner sur cette sombre page de l'his­toire rwan­daise dont il a été l'ac­teur. Pour Alain, res­capé du gé­no­cide, « le déni, c'est une marque com­mune à tous les pla­ni­fi­ca­teurs du gé­no­cide, mais on se dit que vingt ans après ce se­rait bien qu'il dise quelque chose qui per­mette aux jeunes gé­né­ra­tions de se re­cons­truire ».

Le 14 mars, Pas­cal Sim­bi­kangwa a été condamné à 25 ans de pri­son ferme pour crime et com­pli­cité de gé­no­cide. À la sor­tie de l'au­dience, Da­froza et Alain Gau­thier, du CPCR, qui en­quêtent de­puis plus de dix ans sur les dos­siers dé­po­sés de­vant la jus­tice fran­çaise, sont ap­plau­dis par le pu­blic.

La veille pour­tant, un groupe venu « sou­te­nir » Sim­bi­kangwa les avait ac­cu­sés d'em­pê­cher les Rwan­dais de se ré­con­ci­lier par leurs « men­songes » de­vant la cour.

Ce ver­dict fait tout de même of­fice d’exemple pour les pré­su­més gé­no­ci­daires qui vivent en France. Qu'ad­vien­dra-t-il d'eux ? Cer­tains sont prêtres, mé­de­cins, très bien in­té­grés et sou­te­nus par leurs com­mu­nau­tés d'adop­tion. Les­quels se­ront jugés ? La France as­su­mera-t-elle plei­ne­ment la part de res­pon­sa­bi­lité qui lui in­combe pour contri­buer à l'édi­fi­ca­tion de l'his­toire rwan­daise, pour l'ins­tant pri­son­nière du déni des gé­no­ci­daires ? Les ques­tions de­meurent au terme de ces six longues se­maines, alors qu'au Rwanda, selon les mots d'Au­ré­lia Devos, vice-pro­cu­reure du pro­cès, « le feu du gé­no­cide couve tou­jours sous la cendre ».