Russie : des larmes pour Eva Herman
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Gaëlle SchweigerEva Herman, une présentatrice de télévision allemande, vient d'être limogée par la chaine publique ARD pour avoir vanté la politique familiale du régime nazi. Moscou est consterné.
Parce que l’animatrice et ancienne présentatrice du journal télévisé outre-Rhin, Eva Herman, a vanté la politique familiale du régime nazi, la réaction de son employeur ne s’est pas faite attendre. L'antenne régionale de la chaîne publique ARD, la Norddeutscher Rundfunk, a immédiatement prononcé son licenciement, une sanction à effet immédiat.
Dans les médias russes et sur les blogs, cette affaire a fait tache d’huile. Nombreux sont les commentaires qui témoignent d’une certaine empathie pour la licenciée. Car selon eux, la journaliste n’a voulu que prévenir la crise démographique allemande.
C’est lors de la présentation télévisée de son nouveau livre ‘Le principe de l’arche de Noé – Pourquoi nous devons sauver la famille ?’, qu’Eva Herman a déclaré que, sous le Troisième Reich, « beaucoup de choses ont été très mauvaises, comme par exemple Adolf Hitler. » D’autres éléments en revanche, ont été jugés bénéfiques, « comme la valorisation de l’image maternelle ».
En Russie, cette réaction a suscité la polémique. Les quelques féministes que l’on peut par exemple trouver au détour d’un blog russe ‘livejournal.com/feministki’ n’ont pas hésité à vilipender Eva Herman. Une certaine ‘Madame Schmerler’ écrit à propos de la présentatrice allemande « qu’elle a été mariée de nombreuses fois et eu une kyrielle d’amants. Elle a fait carrière, a eu un enfant et c’est uniquement maintenant qu’elle rédige un livre pour affirmer haut et fort que les enfants, le mari et la tarte aux pommes sont les choses les plus importantes pour une femme. »
Ailleurs sur le web, on pense que cette attitude de la direction de chaîne de télé allemande est un poil exagérée. Sur le forum libéral du site du candidat à la succession de Poutine, ‘Kasparov.ru’, le blogueur DpInRock pense que le licenciement de l’animatrice est une erreur : « Il n’est pas très intelligent de vouloir soigner une maladie en la cachant. » note t-il. De même, dans les journaux conservateurs et les rédactions proches du gouvernement de Poutine, on témoigne d’une certaine empathie à l’égard de l’animatrice limogée.
Rien de bien étonnant : la Russie reste un pays où beaucoup d’hommes et de femmes font la grimace à la simple évocation du mot ‘féminisme’ et où le travail de mémoire post-totalitaire n’a pas eu lieu.
Tabou idéologique
Expert, le magazine économique de renom se prend lui pour le thuriféraire de la congédiée, qualifiée dans ses pages de ‘courageuse Cassandre’. Selon le journal, Herman aurait transgressé un « tabou idéologique » en voulant mettre en garde la société allemande contre une possible crise démographique. Laquelle démarche aurait été « rejetée de manière arrogante » par « l’establishment allemand ». La « diffamation » de la journaliste rappellerait même les méthodes de l’ancienne Union soviétique. Toujours d’après ce magazine, pour une journaliste, représenter les « valeurs familiales réactionnaires » constitue de toute évidence une « faute impardonnable ». Herman serait ainsi devenue la victime « d’accusations absolument ineptes ».
Le journal ne manque pas de souligner que ses confrères allemands qui le clouent aujour’dhui au pilori semblent avoir complètement oublié qu’Herman a, à de nombreuses reprises, soutenu l’action de l’association ‘Laut gegen Nazis’ [Haut et fort contre les nazis].
Kommersant, le quotidien libéral de Moscou préfère lui se tenir hors de la polémique et a réimprimé, en guise de commentaire, l’intégralité d’un article publié dans la Süddeutsche Zeitung, intitulé ‘Le dernier malentendu’.
La compassion pour Herman est aussi de rigueur dans les pages de l’Izvestia, le quotidien pro-Kremlin. « Diva de la télé », Herman a travaillé « sans incidents » pendant 20 ans durant dans l’audiovisuel, écrit le journal qui désapprouve ce «sévère » renvoi. Elle se serait « toujours distinguée par une attitude politiquement correcte en prenant ses distances des forces politiques de gauche comme de droite ».
Le média se garde toutefois d’évoquer l’apparition programmée de l’animatrice télé sur la scène du FPÖ, le parti populiste d’extrême droite autrichien. Herman aurait « mis les pieds dans le plat », en faisant l’éloge de la politique familiale nazie. Selon le journal, obtenir sous Hitler la Croix de la mère modèle allemande n'avait pas que des avantages : « les allemandes étaient contraintes d’enfanter pour fournir le front et améliorer la race aryenne, et ce afin d’assurer la peuplement des territoires conquis. » Sans compter que « les femmes nées avec des problèmes de santé étaient stérilisées de force. »
Pan sur l'armée
L’Izvestia souligne encore les incohérences de l’Allemagne : licencier une journaliste pour des propos portant à confusion et envoyer des soldats allemands participer à une célébration militaire, baptisée ‘Erna’, qui célèbre en Estonie une victoire des nazis sur l’armée Rouge. Le journal tire à boulets rouges sur l’armée germanique : pourquoi les généraux de la Bundeswehr ne sont-ils pas eux non plus congédiés ?
Un porte-parole du ministère fédéral de la Défense a tenté de se justifier, déclarant dans une interview accordée au même journal qu’il s’agit de « compétitions militaires internationales » auxquelles les soldats allemands participent depuis des années aux côtés de soldats d’autres membres de l’OTAN. L’interviewé s’est ensuite refusé à tout commentaire sur le volet historique de la question.
Translated from Russische Tränen für Eva Herman