Ruben Alves : Obrigado, la famille
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Le prix du public aux European Film Awards, un record d’entrées dans son pays d’origine et une nomination aux Césars. Avec un premier film, Ruben Alves a déjà conquis son monde. Ce, en filmant l’existence d’une communauté dont on n’a jamais vraiment parlé au cinéma : les Portugais. Rencontre avec un réalisateur qui, en peignant l’histoire des gens à la marge, a choisi de raconter la sienne.
Il a le teint des beaux jours. Celui de ceux qui, en février, viennent de faire le tour du monde en suivant l’anticyclone. Présentement, Ruben revient du Brésil où il est allé négocier la distribution de son premier film, La Cage Dorée, nommé aux Césars 2014. Un peu avant, le jeune réalisateur est parti le défendre aux 4 coins du monde, dès les premières semaines qui suivirent sa sortie en France, le 24 avril 2013. Soit presqu’un an de promo, de jet-lag et « de bonnes énergies ».
Tout ce qui brille
Ruben Alves en convient, le film a vécu beaucoup plus longtemps que prévu. Confortablement assis dans les bureaux de sa société de production du 8ème arrondissement de Paris, le beau gosse aux yeux verts confie en caressant la table qu’il peut désormais s’atteler à d’autres projets. Aux murs, à côté de dessins d’enfants, sont punaisées pas mal de photos : des instants de tournage, l’affiche du film et d’autres sur lesquelles Ruben sourit beaucoup. Beaucoup de souvenirs imprègnent à coup sûr le making-of de cette comédie familiale. Pourtant et tout aussi sûrement, Ruben vivra toute sa vie avec ce film. Parce qu’avec son premier long métrage, le cinéaste et comédien de 34 ans a tout simplement choisi de se raconter.
La Cage Dorée - Bande-Annonce
La Cage Dorée dresse l’histoire d’une famille de Portugais immigrés, installée dans une loge du 16ème arrondissement de Paris. « C’est personnel, mais pas autobiographique », affirme-t-il. Comme les personnages du film, Ruben a vécu dans une loge des beaux quartiers parisiens. Comme dans le film, sa mère était concierge et son père était maçon. En cela, le réalisateur franco-portugais a beaucoup répété qu’il était lui-même un cliché. C’est d’ailleurs dans un mélange de stéréotypes que le français d’origine portugaise fait ses classes dans le cinéma. Scolarisé dans une école cossue « où se mêlent enfants d’ouvriers et fils de diplomates », Ruben se lie d’amitié avec Hugo Gélin, petit-fils de cinéastes français bien connus et futur producteur de son film. Dès la maternelle, le gamin organise des spectacles dans la cour et raconte plein d'histoires pendant la récré. Le reste suivra, Ruben fera vite l’acteur et écrira son premier court métrage à l’âge de 20 ans.
Si la jeune vie de Ruben se présente d’ores et déjà comme un beau roman, La Cage Dorée est surtout et d’abord une déclaration d’amour à ses parents et « à une enfance comblée de valeurs ». Ruben n’a pas toujours pensé à personnifier son film. En vrai, il avait même songé au contraire, en écrivant un scénario sur des expat’s français à Lisbonne. « C’est quand j’ai fait lire le scénar’ à mes producteurs (Hugo Gélin et Laetitia Galitzine, ndlr) qu'ils m’ont demandé pourquoi je ne faisais pas l’inverse. Ça m’est apparu évident », précise-t-il, une touillette à café dans la bouche.
« On travaille, on ne fait pas de bruit »
L’autre impulsion à la réalisation du film, « c’est parler des gens dont on ne parle pas : les Portugais en France ». Soit l’une des premières et plus importante vague d’immigration dans la France des années 70 qui, à en croire Ruben, n’a jamais fait l’objet d’attention. « C’est aussi pour ça que je voulais rendre hommage à la dévotion du peuple portugais, explique-t-il. Ces déracinés qui ont eu le courage de fuir la dictature de Salazar pour recommencer une nouvelle vie, dans un autre pays, sans jamais se plaindre ». Dans le film, le côté « on travaille, on ne fait pas de bruit » est largement évoqué. Et Ruben l’admettra : si son enfance a été heureuse, « normale », la vie de ses parents s’est écoulée au service des autres, quitte à « s’annuler une vie de plaisir ». À l’écran, cette dévotion est incarnée tantôt par Maria Ribeiro (Rita Blanco), la concierge qui materne tout un immeuble, tantôt par José (Joaquim de Almeida), son mari, incapable de dire non quand se profile un nouveau chantier. Tout ceci, alors qu’une vie facile les attend dans leur pays natal.
« Je pense que ça vient d’un sentiment d’infériorité, glisse Ruben. On est toujours le petit pays de l’Europe, celui qu’on met de côté. Du coup, quand on plonge dans la vie d’un autre pays, on se fait discret ». Au-delà de la thématique de l’immigration, c’est un film sur les petites gens que le Franco-Portugais voulait proposer. La Cage Dorée ne cesse de s’articuler sur une relation employeur-employé, tant et si bien que lors de l’avant-première organisée sur les Champs-Elysées, le réalisateur a tenu à ce que soient présents 250 concierges et ouvriers du 16ème et du 8ème arrondissement.
Le coup de fil du président
En rendant hommage à ses parents ainsi qu’à toute une communauté, ce sont deux pays que Ruben arrive à attendrir. Les Français d’abord, qui seront 1 170 862 à venir voir son film. Et, plus surprenant, les Portugais. Là-bas, La Cage Dorée devient même le film français ayant eu le plus de succès. « J’ai été surpris, dit-il les yeux encore écarquillés. Parce que je ne parlais pas de la réalité au Portugal mais d’une vie bien française et les Portugais ont une fâcheuse tendance à se foutre de la gueule de leurs immigrés ». Bref, « ils se le sont appropriés ». À tel point que Mario Soares, ancien président du pays appellera Rita Blanco, son actrice principale pour lui glisser que le film est « un hymne au Portugal ». Que la plupart des critiques du pays, réputés très snobs dans le milieu du cinéma, s’enthousiasment comme jamais devant une comédie. Là encore, Ruben sait très bien à quoi les honneurs doivent être rendus : « au travail ». Obsédé par l’authenticité des scènes, il a « longtemps gardé en tête que la communauté portugaise n’allait pas [lui] faire passer grand-chose ». Assez naturellement, notre homme part prospecter des vrais acteurs portugais plutôt que de faire un casting avec des « français bankable qui prendraient l’accent ». « Je ne voulais pas trahir les émotions d’une communauté dans laquelle j’ai grandi. Mon obligation, c’était de retranscrire ce que je ressentais. Le plus fidèlement possible ».
Les deux téléphones de Ruben, « un français, un portugais », sonnent souvent pendant l’entretien. Aujourd’hui, le jeune homme partage encore très équitablement sa vie entre Paris et Lisbonne. « Une espèce de deuxième vie » qui ne l’empêche de faire mûrir de nouveaux projets « toujours dans le délire de raconter une histoire sur des gens à la marge ».