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Roumanie : l’identité rom bétonnée en mille palais

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CultureSociété

Un petit train traverse la Roumanie en direction de Buzescu. Dans ce village, des Roms autrefois nomades construisent des palais, sans permis, à leur fantaisie et sans plan dessiné, en plein milieu de la Valachie.

En arrivant d’Alexandria, Buzescu, avec ses petites maisons rurales basses massées de part et d’autre de la rue principale et ses petits jardins de devant consacrés à des cultures potagères, ressemble à n’importe quel petit village roumain ordinaire. Mais soudain, à peine dépassée l’église, c’est un tout autre spectacle : de hautes toitures, des tourelles d’acier et de fer-blanc qui étincèlent à la lumière du soleil, des étoiles Mercedes au faîte des toits, des pagodes qui s’ajoutent aux pagodes, des toits argentés, un mélange de styles qui dépasse les bornes.

« Toutes les qualités qui se sont perdues dans l’architecture actuelle sont réunies ici »

C’est dans ce petit village roumain que se situe l’origine de ce qu’on a appelé les palais tsiganes de style pagode. Un trio d’architectes et d’artistes, Mariana Celac, Iosif Király et Marius Marcu-Lapadat, ont été les premiers non Roms à attirer en 2001 l’attention sur ce phénomène, par le biais d’un travail photographique de plusieurs années baptisé « Tinseltown » (« Clinquant-ville » ou la « Ville de fer blanc »). Buzescu, situé à 100 kilomètres au sud-ouest de Bucarest, en est l’exemple le plus marquant en Roumanie. Selon Mariana Celac, urbaniste confirmée et critique du régime de Ceauşescu, « on trouve, rassemblé en ce lieu, tout un ensemble de qualités qui se sont perdues dans l’architecture actuelle. »

Derrière la vitre, défile un paysage étrange avec des bergers, des villages et beaucoup de chiens qui aboient au passage du train. « Vous allez visiter les tsiganes ? Des palais ? Oubliez çà ! C’est kitsch, aucun style, aucune importance ? » Dans une grande ville allemande, bien structurée, bien ordonnée, cela aurait l’air d’une utopie, mais ne s’agit-il pas d’une architecture innovante, peut-être même d’une nouvelle marque d’identité de la culture Rom ? On ne peut pas ne pas y voir une recherche, un coup de pied aux limites imposées par la société.

Des bâtisseurs mobiles

Des marbres rose guimauve, des carrelages noir réglisse, du béton, des métaux précieux, des colonnettes graciles, des fers à cheval surdimensionnés, des lustres à pampilles en forme de dollars, en tant que corps étrangers, nous nous sentons embarrassés au milieu de cette partie de village habitée par les Roms. Des formes jamais vues s’élèvent de part et d’autre de la grand-rue ; des chapiteaux presque sans fût fleurissent entre les murs. La rue principale du village rappelle une passerelle de navire. La mode se démode vite ! Des façades métallisées reflètent maintenant des toitures en forme de pagodes chinoises. Tout y est constamment en mouvement, surtout les poids lourds qui y passent à toute allure. Les gens travaillent au milieu des tas de sable, des bétonnières et des échafaudages improvisés. Chaque propriétaire de palais est son propre maître d’ouvrage.

Les sources esthétiques de ces palais sont diverses : des bâtisses administratives de la ville voisine Alexandria jusqu’aux pierres moulées sur les originaux en plâtre de la folie mégalomaniaque de l’ancien dictateur, le « Palais du peuple » de la capitale Bucarest. Les éléments d’un langage formel représentatif recombinés à nouveau. Nous demandons à un habitant assis devant sa porte d’entrée si l’on peut appeler « art » ce que représente sa maison. Il réfléchit, sourit et acquiesce : « Le langage formel des palais est plein de fantaisie, pénétrant et sincère. C’est de l’art ! », estime également Mariana Celac.

Architecture et identité

Un homme coiffé d’un chapeau de paille nous invite à visiter son palais. Il habite Buzescu depuis toujours. Comme la plupart de ses congénères, il appartient au groupe des Kalderash (le mot căldăraşi veut dire chaudronniers en roumain) et fait d’ailleurs toujours commerce d’articles en fer-blanc aujourd’hui. Nous admirons les riches fresques murales représentant un paysage toscan, les fleurs en plastique immaculées, l’arrangement des vases en or et des peaux de tigres en peluche. Tout est extrêmement symétrique.

Mariana Celac voit dans cette symétrie un principe de composition important. A l’intérieur des maisons comme sur les façades extérieures ou sur les escaliers, même si les constructions sont très différentes, l’accent est mis sur l’axe central. « Ils bâtissent ainsi car ils aiment cela. C’est bien plus efficace et enraciné bien plus profond qu’une règle infligée par les autorités ou la société. » Notre hôte nous parle fièrement du parcours de ses huit enfants. Leurs noms couronnent le toit de sa maison.

« La liberté se perd quand on cherche à y trouver des règles et des institutions »

Peut-être ce type de construction, qui place l’homme et sa demeure en relation étroite, a-t-il un réel potentiel. Pourrait-il devenir une partie de l’identité des Roms ? Iosif Kiraly, le photographe du projet « Tinseltown » parle avec prudence d’un « moment historique ». « Je pense que nous nous trouvons à un tournant, un moment où une minorité redéfinit son identité. Il est déjà caractéristique que les terrains et les bâtiments les plus coûteux se trouvent sur la rue principale. Ces maisons ne servent qu’à la représentation. » Une architecture de représentation donc. De fait, comme toute architecture, que ce soit le Palais de Ceauşescu ou les édifices des banques d’Europe occidentale.

Comme une improvisation musicale

Parmi les Roms, la question de l’identité soulève des opinions discordantes. Selon une philosophe anthropologue rom éminente, les palais seraient « encore un stéréotype développé par la société blanche sur les tsiganes ». Il s’agirait d’un phénomène marginal qui n’aurait rien à voir avec la véritable identité et la pauvreté multiple des Roms. Mariana Celac en revanche voit dans les constructions de Buzescu, la naissance d’un mouvement architectural innovant : « Leur style est comme une improvisation en musique. La liberté se perd quand on cherche à y trouver des règles et des institutions. »

Un bureau d’architectes gadjo (« gadjo » signifie non tsigane, ndlr) a entre-temps cherché à reproduire ce style façon collage. Une question demeure : peut-on imiter l’authentique ? La caractéristique des constructions roms est en effet le changement permanent. La mobilité de l’immobilier.

Translated from Roma-Bauten: Die Mobilität der Immobilie