Ricky de François Ozon : Kinder Surprise
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C'est le rêve de toute mère : voir son enfant grandir pour qu'il quitte un jour le cocon familial et vole de ses propres ailes. François Ozon prend le proverbe au pied de la lettre et présente un film démarrant à la Ken Loach pour ensuite basculer subitement dans l'onirique et le merveilleux.
Beaucoup veulent voir dans cette édition de la Berlinale un retour aux racines politiques du festival. Les Rolling Stones de l'année dernière ont fait place à la lutte contre les banquiers malfaisants. Mais le nouveau Ozon ne se laisse pas aisément cataloguer. Au delà de toute critique sociale, l'utilisation d'éléments issus du fantastique dans le film est un prétexte pour nous montrer en premier lieu la formation d'une famille et ensuite la réaction face à l'arrivée d'un enfant « différent» dans cette famille. Kathie (Alexandra Lamy), ouvrière élevant seule sa fille Lisa (Mélusine Mayance) de 7 ans rencontre Paco (Sergi López), un Espagnol qui vient d'être embauché à l'usine, c'est le coup de foudre dont le fruit sera le petit Ricky. Chacun doit trouver sa place dans cette nouvelle famille, Paco veut se faire accepter par Lisa, Kathie s'occupe sans arrêt de Ricky, un bébé des plus exigeants, tant et si bien que Paco devient jaloux de son fils. Un fils qui se révèle être singulier : comme les anges, il a des ailes...
Un bébé qui vole
Ozon aime brouiller les pistes et prendre son spectateur à contre-pieds. Lors de la découverte des ailes de Ricky, le film prend une direction complètement différente laissant le public dans l'expectative : tout semble possible. Où va-t-il nous mener maintenant ? Où cela se termine-t-il ? Un véritable défi pour Alexandra Lamy, l'actrice principale, car de scène en scène, le film embrasse des genres cinématographiques différents : du drame à la comédie, du fantastique à l'absurde. Elle sait trouver le ton adapté à chaque situation. Une véritable surprise pour le public français habitué à ses rôles comiques laissant peu de place à la composition dramatique. Mélusine Mayance est également une surprise, un nouvel enfant prodige et, selon Ozon, une future Isabelle Huppert. Sergi López reste de son côté fidèle à lui-même dans son éternel rôle de brun ténébreux parfois inquiétant et impulsif mais aux bonnes intentions.
La licorne parmi les canassons
Bien que le film est un défi réussi, il a été à deux doigt de ne pas se faire. «L'idée du film m'est venue d'une nouvelle de 12 pages de Rose Tremain. Au début, j'ai cru que ce n'était pas quelque chose pour moi. Si j'avais été producteur, je l'aurais proposé aux frères Dardenne ou à Walt Disney», dit Ozon avec un brin de malice. Mais il a su s'approprier l'histoire et y insuffler son style. L'approche était déjà comparable dans Swimming Pool, où réalité et fiction s'entremêlent pour ne faire plus qu'un et laisser la place à l'interprétation du spectateur. Le réalisateur a fait sienne la phrase du surréaliste Luis Buñuel : «Filmer le rêve comme la réalité et la réalité comme le rêve», pour ainsi pouvoir s'affranchir des limites et des malheurs de la condition humaine. «Il nous faut nos rêves pour pouvoir continuer à vivre», quand Ozon utilise ces mots pour parler des personnages du film, où les ailes de Ricky symbolisent le rêve de pouvoir tout quitter, de s'échapper, de pouvoir choisir son destin, de pouvoir être acteur de sa vie, il semble aussi les utiliser pour qualifier son propre travail, contribuer à la machine à rêve : «Aller au cinéma fait aussi partie de cette envie de vouloir échapper à nos vies».
Ricky convainc par sa diversité d'interprétation, à prendre tel un conte merveilleux ou une critique sociale, des acteurs toujours justes et pas dans l'emphase, des dialogues simples mais touchants et une poésie omniprésente. La licorne parmi les canassons.