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Révolution féministe en Croatie : OK chorale

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Société

Etre une chorale gay frendly, féministe et révolutionnaire n’est pas vraiment une sinécure à Zagreb. En chantant,  le Zbor tente tout de même d’éveiller les consciences dans un pays qui se radicalise de plus en plus au moment d’entrer dans l’UE. Reportage au sein de ces femmes qui s’affirment. En vers, et contre tout.

Une dizaine de filles pressent le pas sur l’escalier de Pogon, un centre culturel au cœur de Zagreb. Nous sommes dimanche après-midi et les filles de « Le Zbor » - un chœur amateur devenu une véritable attraction musicale sur la scène croate - se rendent à une répétition très importante. C’est la dernière ligne droite avant le concert sur la radio locale Studentski où elles sont invitées à interpréter cinq chansons de leur choix pour une émission spéciale consacrée à la journée contre l’homophobie. Formé en 2005, le nom du chœur « Le Zbor » est d’abord un jeu de mots : l’article LE emprunté à la langue française et « Zbor » (le chœur en croate). Prononcé en croate, on obtient une toute nouvelle signification - Lézbor – lesbienne. Arrivée parmi les premières pour la répétition, Nina, la trentaine et la crête de cheveux bien portante, explique : « On se déclare lesbienne et féministe, mais on est aussi un chœur mixte parce qu’on accepte tout le monde dans nos rangs : les homos, les hétéros, les jeunes et les moins jeunes, même les mecs ! » 

Lea est en retard. Cette sociologue de formation est la porte-parole du groupe et elle n’a pu éviter une confrontation avec des gens impliqués dans une initiative citoyenne, « Au nom de la famille », qui collectaient des signatures sur un stand au centre de Zagreb afin d’obtenir un référendum pour définir le mariage comme « l’union entre un homme et une femme ». « Après que la France a autorisé le mariage gay, certaines personnes en Croatie veulent désormais s’assurer que tous les recours possibles soient annihilés », dit Lea - bouleversée - à propos de ce mouvement qui est de plus en plus soutenu par les personnalités publiques croates.

Le chant des signes

Dans ce chœur engagé, le débat d’idées prime souvent sur le chant. Mais Gloria, trentenaire baba cool diplômée de la Faculté de littérature comparée et leader du groupe, n’est pas de cet avis. Il y a encore beaucoup de choses à faire avant la représentation et le temps presse. Si elles chantent faux, ni elles ni leur message ne seront crédibles auprès du public. « Les gens vont d’abord aimer la chanson, et peut-être, après, ils réfléchiront sur le fond », explique-t-elle.

Assises en demi-cercle, elles se sont rapidement mises d’accord concernant le répertoire. Elles commenceront avec une reprise de Rijecke picke  (les chattes de Rijeka) une chanson de « Let 3 », un groupe croate plutôt controversé, et ensuite elles enchaîneront avec « Mon copain est gay » de Lollobrigida, un groupe local pop et trash, suivie par une chanson d’amour populaire, pour finir avec un répertoire révolutionnaire. Audacieux. Car, depuis son indépendance, la Croatie dégobille tout ce qui a à voir de près ou de loin avec l’ancien régime. Autre variante intrépide : la scène. Après avoir été témoins de l’incapacité de la police à protéger le cortège de la première Gay Pride en 2011 dans la ville de Split, le collectif a décidé de se donner en représentation habillé en uniforme, rappelant ainsi celui de la police anti-émeute. Avec, cela dit, une petite différence : une banane à la ceinture à la place du revolver.

Le Zbor, à fond la forme

La Croatie a connu, le 27 mai dernier, sa première manifestation pour réclamer le mariage pour tous, récemment introduit en France. En signe d’allégeance à l’Union européenne que le pays rejoindra le 1er juillet prochain, le gouvernement a également adopté une batterie de mesures laïques telles que l’instauration d’un programme d’éducation sexuelle dans les écoles primaires et secondaires. Très vite, l’archevêque de Zagreb n’a pas hésité à taper sur les doigts des hauts représentants de l’Etat, créant une avalanche de propos homophobes dans le pays. Des propos qui se banalisent compte tenu du nombre toujours plus important de groupes radicaux qui n'hésitent plus à employer la force. Pour montrer son mécontentement, Le Zbor a assisté à l’événement « Aime ton prochain » organisé par la Zagreb Pride. Un événement plutôt bon enfant qui a pourtant mal tourné. « On s’est retrouvés entourés par des hooligans habillés en noir qui, le poing levé, criaient "A mort les pédés !". Finalement, la police nous a embarqué dans des fourgons pour nous emmener vers un endroit plus sûr », raconte Lea.  « C’était la première fois que je me retrouvais dans un panier à salade ! », ajoute Nina en plaisantant. Mais pour Tea, une jeune étudiante fraîchement débarquée à Zagreb, la scène n’avait rien de drôle. « Je viens de Rijeka, une ville sur le bord de la mer plutôt tolérante. Je n’avais jamais vécu ça, que quelqu’un vous crache à la figure juste parce que vous êtes différent. »

Le revers de la bataille

Lesbienne, féministe et révolutionnaire, le groupe participe aussi aux combats des autres. Une fois aux côtés des ouvrières du textile, une autre auprès des hôtesses de l’air de Croatia Airline, le but est d’assister toutes les luttes qui vaillent la peine d’être menées. Le revers de la bataille, c’est que cet engagement demande beaucoup de temps et d’argent. Les filles ont dû produire elles-mêmes leur premier album, Hrvatske budnice, sorti en 2012. Tout ça en vaut la peine, répondent-t-elles en choeur, surtout lorsqu’elles réussissent à toucher un public qui n’est pas vraiment le « leur ».

« Quand on nous présente sur la scène en tant que chœur lesbien et féministe qui va chanter un répertoire révolutionnaire, certains ont peur et d’autres sont curieux. Après, nous sommes là, avec notre musique, pour faire tomber des préjugés. L’art a cette possibilité de rapprocher les gens d’une façon très directe des sujets qu’ils avaient complètement ignorés », conclu Lea. A voir désormais si cet art est brut… ou abstrait.