Rencontre avec les hommes féministes d'Europe
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Cécile VergnatÀ l’occasion de la Journée Internationale des Droits des Femmes, nous avons rencontré l’auteur et blogueur danois Henrik Marstal et le consultant, blogueur et PDG allemand Robert Franken. Tous deux se battent pour l'égalité des genres via leur initiative Male Feminists for Europe (MEF). Nos représentations, Emma Watson, Trudeau, Trump... interview en tout genre.
cafébabel : Pourquoi l’Europe a-t-elle besoin d’hommes féministes en 2017 ?
Henrik : On compte déjà un certain nombre d’hommes féministes, tout du moins dans les pays nordiques, où j’habite. Mais nous avons besoin de plus d’hommes féministes parce que l’égalité des genres est un enjeu qui concerne tout le monde. Et historiquement, les hommes ont été des oppresseurs. Ils ont vraiment du travail à faire en la matière !
Robert : Ce n’est pas qu’un enjeu européen, mais il faut bien commencer quelque-part. Il est nécessaire que les hommes comprennent que l’agenda féministe est quelque chose qui est dans leur intérêt. Les débats sont axés autour de sujets qui affectent aussi la vie des hommes : les relations, la politique, le droit, l’emploi, l’éducation et bien plus encore. Je crois que le féminisme est l’un des mouvements ayant le plus d’impact lorsqu’il tend à discuter de la façon dont nous voulons vivre et comment nous voulons changer nos sociétés pour le meilleur. Les hommes devraient chercher à avoir un rôle actif dans ces débats et à devenir des agents de changement. À cette fin, le féminisme peut donc devenir une bonne orientation.
cafébabel : Comment les hommes danois et allemands pensent-ils les droits des femmes ?
Henrik : C’est un mélange. L’année dernière, le World Economic Forum's annual Global Gender Gap Report (le rapport sur le fossé global des genres du Forum annuel du Forum économique mondial, ndlr) a montré que le Danemark a chuté de 19 places en matière d’égalité des genres, tandis que les quatre autres pays nordiques – Islande, Finlande, Norvège et Suède – figuraient aux quatre premières places ! Ce fût un peu embarrassant pour beaucoup de Danois. Aujourd’hui, au Danemark, beaucoup d’hommes, y compris les politiques, sont très conscients de la nécessité d'un débat sur l’égalité des genres, mais pour beaucoup de gens le terme « féminisme » a une connotation négative, et les « hommes féministes » sont considérés comme étant atteints du syndrome de Stockholm.
Robert : Bonne question, car il n’y a pas de point de vue clair. Tout du moins pas qu’un. Sans tomber dans le stéréotype, je pense que l'on peut répartir les hommes en 4 groupes :
A. Les hommes qui se sentent menacés par le féminisme. Ils sont effrayés par l’idée d'égalité des genres et ils n’ont pas vraiment réfléchi ni à leurs rôles, ni à leurs perspectives. Ils montent souvent sur leurs grands chevaux lorsqu’ils participent à une discussion autour du genre.
B. Les hommes qui ont déjà perçu le changement. Ces droits sont naturels lorsqu’on parle d’égalité des chances et de responsabilités partagées au travail et à la maison. Ils ne prennent pas part au débat parce qu’ils n’en voient pas l’intérêt.
C. Les hommes qui choisissent de rester silencieux. Ils sont effrayés à l'idée de s’exprimer sur les « questions féminines » parce qu’ils constatent que les choses sont difficiles lorsqu’ils le font.
D. Les hommes qui pensent que nous vivons déjà dans une société d’égalité des genres. Ils ne veulent pas entendre parler de l’écart de salaire entre hommes et femmes et se retrouvent sur la défensive à chaque discussion à propos des enjeux féministes.
cafébabel : Votre initiative ne pourrait-elle pas être taxée de « patriarcale » : des hommes qui montent sur leurs chevaux blancs pour défendre les femmes en leur nom ?
Henrik : MEF ne consiste pas vraiment à « defendre les femmes » : les femmes peuvent très bien le faire elles-mêmes. Être féministe consiste à être très critique envers le patriarcat et œuvre aussi pour les hommes. Cela dit, ce n’est pas chose facile de se débarrasser de la reproduction des valeurs du patriarcat à cause des structures sociales ancrées en nous dès notre plus jeune âge. Donc tous les hommes – et les femmes – peuvent de temps à autres agir de façon patriarcale. On espère que ce n’est pas le cas avec MEF.
Robert : Les femmes n’ont pas besoin de nous pour se défendre. Notre but est de surmonter le fossé théorique (et actuel) entre les hommes et le féminisme. Nous voulons que les hommes prennent part à la solution, plutôt que de rester une partie du problème. Nous ne sommes pas dogmatiques, et nous n’avons pas un agenda inflexible. Nous voulons juste offrir un espace pour que les hommes s’y engagent.
cafébabel : Votre initiative #men4equality défend les comités « mélangés », et affirme que les hommes devraient refuser de ne parler qu’aux comités uniquement masculins. Cela a-t-il suscité des réactions ?
Henrik : Les gens ont de plus en plus tendance à le respecter. Dernièrement, le parti écologiste danois L’Alternative (Alternativet en VO, dont Henrik est membre, ndlr) a déclaré que tous leurs députés européens refuseraient de participer à l'ensemble des comités exclusivement masculins. C’est un bon début, je pense.
Robert : Les retours sont mitigés. En général, les femmes soutiennent notre initiative et il y a beaucoup d'hommes en faveur de l'égalité qui s’expriment et qui ont signé l’initiative. Mais il y a beaucoup d’organisateurs, de participants et d’autres personnes qui croient encore en une approche méritocratique : s’il y avait de bonnes femmes oratrices, elles seraient invitées à parler. Malheureusement, les choses ne sont pas si simples. C’est la raison pour laquelle nous devons penser au-delà des éléments qui caractérisent tous les évènements et comités masculins.
cafébabel : Que répondez-vous aux hommes qui affirment : « Je fais le ménage, je cuisine, je m’occupe des enfants alors pourquoi les hommes devraient faire plus ? Où est-ce que ça s’arrête ? » ?
Henrik : Je répondrais : « Tu fais bien, mais tu devrais prendre conscience des nombreuses fois où les hommes ont réprimé les femmes, et ils le font encore. Laisse Google être ton ami et Justin Trudeau ton exemple ».
Robert : Pourquoi cela devrait s’arrêter ? Il ne s’agit pas simplement de faire certaine tâches ménagères ou de faire les courses. Il s’agit de préférer une approche paritaire dans nos modes de vie. Les hommes pourraient en tirer un grand avantage. Leur idée de ce que signifie « être un homme » pourrait en être complètement renouvellée. Les rôles « naturels » sont très souvent limités par nos personnalités. En dépassant les idées préconçues sur la masculinité et la féminité, nous pourrons devenir plus que de simples membres sexués. Au contraire, les pouvoirs complémentaires des genres se libéreraient enfin.
cafébabel : L’homme politique polonais d’extrême droite, Janusz Korwin-Mikke, a récemment déclaré au Parlement européen que les « femmes sont plus petites, plus faibles, moins intelligentes et doivent donc être moins payées ». Comment parviendrez-vous à le convaincre ?
Henrik : Je lui dirais ceci : « Vos préjugés font du tort à tout le monde, y compris à vous-même ! Ils font du tort aux femmes de votre famille, à vos amies, et à vos collègues féminines. Comment pouvez-vous ?! Alors un conseil : pourquoi ne prenez-vous pas une machine à remonter le temps jusqu’en 1840 pour ensuite vous rendre à Copenhague ? On irait se balader ensemble et je vous brieferais sur le monde moderne ».
Robert : Je lui ai déjà répondu. Je lui ai plus ou moins écrit ceci sur sa page Facebook : « Quelle tristesse, quel vieil homme vous êtes ». Ce n’était probablement pas mon meilleur commentaire, mais vous savez, on ne peut pas répondre de façon approfondie à chaque bêtise. Oui, il est peut-être un représentant d’un groupe non-négligeable d’hommes qui partagent la même mentalité, mais il est aussi l'incarnation d'une triste idée qui est consumée par sa propre misogynie.
cafébabel : L’actrice Emma Watson a fait l’objet de nombreuses critiques après avoir posé dénudée en couverture de Vanity Fair. Pourquoi ne comprenons-nous pas que – pour la citer - « tu peux être féministe et avoir des seins » ?
Henrik : Parce que les femmes sont encore représentées par leurs corps, alors que les hommes sont représentés par leurs visages. Et parce, d'une certaine façon, le corps d’une femme ne lui appartient pas : il appartient au regard de l’homme. Il s’agit d’un des défis les plus importants aujourd’hui. Pauvre Emma Watson.
Robert : Je pense que la réponse qu’elle a donnée parle d’elle-même : « Il s’agit de liberté ». Elle ne veut pas être prise en otage par une définition réductrice et superficielle du féminisme. Et je ne peux que souligner la vérité de sa réponse.
cafébabel : Et que pensez-vous des hommes qui tweetent les photos des fesses du premier ministre canadien, Justin Trudeau ?
Henrik : Bien-sûr que c’est sexiste, mais je ne peux pas m’empêcher de le voir comme une sorte de commentaire ironique vis à vis du sexisme dont les femmes souffrent au quotidien.
Robert : Les femmes font-elles vraiment ça ? Certains hommes aussi ? Et bien, M. Trudeau est en quelque sorte devenu une icône du féminisme masculin. Et nous avons besoin de modèles. Il reste bien entendu l’idée selon laquelle « le sexe fait vendre ». Mais encore une fois : si des gens aiment ses fesses, c’est de bonne guerre. Tant qu’il n’est pas uniquement réduit à une partie de son corps, ça ne me dérange pas. Mais je perçois aussi la critique en creux : s’il était une femme féministe, serait-il acceptable de tweeter les mêmes photos ? Probablement pas.
cafébabel : Les femmes ont manifesté et vont continuer à le faire à travers le monde contre Donald Trump et sa représentation de la femme. Avons-nous besoin de cet homme pour montrer au monde que les droits des femmes sont importants ?
Robert : Nous n’avons pas besoin de lui, mais il devenu un catalyseur. Il adopte un comportement si méprisant envers les femmes (et les autres) qu’une indignation de cette dimension était tout simplement inévitable. Si cela aide le mouvement à se développer, je crois que c’est légitime de s’en servir par la suite. Mais nous misons avant tout sur notre principal objectif : se débarrasser des misogynes comme Trump.
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Avec MFE Henrik Marstal et Robert Franken entendent montrer à quel point il est important que les hommes prennent consciences des concepts féministes. La plateforme fournit un contenu important destiné à un public européen.
Translated from Meet the male feminists of Europe