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Réfugiés : pédaler pour mieux durer

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RefugreEnergy, c’est l’histoire de jeunes entrepreneurs sociaux, qui, préoccupés par le réchauffement climatique et la situation des réfugiés en Europe, ont choisi de ne pas rester les bras croisés.  Rencontre avec Théo, l’un des fondateurs de la startup.

L’idée ? Permettre aux réfugiés de se mettre à l’emploi, grâce à des « picocontrats », qui en plus de leur apporter un salaire de 1,60 euros par jour leur octroie le droit de rester un jour de plus sur le territoire belge. Pour cela, les réfugiés pédalent pendant la journée afin de remplir des batteries : une énergie 100% verte et responsable.

Cafébabel : Les premières livraisons d’énergie sont prévues pour 2018, d’ici là vous misez sur une augmentation d’immigrés en Belgique ? Comment faire pour attirer plus de réfugiés et ainsi développer votre activité ?

RefuGreEnergy : Nous nous sommes basés sur un rapport de l’ONU qui prévoit que d’ici 2050, il y aura 250 millions de réfugiés climatiques. C’est une réalité, et nous voulons utiliser tout le potentiel de ces réfugiés futurs pour développer notre projet et notre entreprise. On prévoit aussi, vu l’épuisement des ressources fossiles et le coût de l’énergie nucléaire, une augmentation de leur coût. Nous allons donc être de plus en plus concurrentiels. Mais nous n’allons pas chercher à impacter l’afflux de réfugié, ils viendront de toute façon.

Cafébabel : Vous vous vantez de fournir une énergie propre tout en donnant un job aux réfugiés, c’est donc tout bénèf ?

RefuGreEnergy : Oui c’est sûr c’est tout bénef. Le constat était assez simple, le réchauffement climatique exacerbe la crise des réfugiés, autant utiliser les migrants pour combattre le réchauffement climatique et donc enfin trouver une solution à ces deux problèmes majeurs. L’idée, c’était de donner une fonction et de donner un sens à ces réfugiés, empêcher qu’ils soient là dans les parcs, qu’ils passent la journée à traîner et à générer de l’insécurité pour les Belges. Tout ça c’est aussi une manière de les intégrer à la société belge d’une certaine manière, tout en générant de l’énergie verte.

Cafébabel : Vous trouvez enfin une utilité à ces personnes, est-ce que vous envisagez d’autres moyens de les mettre à contribution ?

RefuGreEnergy : Oui donc là on était en phase de prototype jusqu’à fin septembre. L’idée, c’est de lancer le tout début 2018 pour voir comment ça fonctionne sur le terrain. Ensuite on pourrait envisager des partenariats avec Deliveroo, Uber ou d’autres startups innovantes. Pour générer de l’électricité, le réfugié vient dans nos bureaux le matin, il prend une batterie vide et il la charge en pédalant 4 heures, cette batterie équivaut à 10 téléphones, 4 ordinateurs portables... Dès que la batterie est pleine, ils la rapportent. On envisage donc de faire des livraisons directement à domicile, selon les besoins de nos clients. Par exemple, imaginons un hôtel qui voudrait fonctionner avec nous, et voudrait faire fonctionner par exemple 3 chambres pour commencer avec ces batteries et bien nous on pourrait les livrer directement.

Invraisemblable, non ? Y avez-vous cru ? C’est pourtant le piège que le Collectif We Are All Refugees (WAAR) a tendu aux passants Bruxellois le 29 septembre dernier. Une action choc afin de confronter les individus à leur esprit critique et leur empathie. Maxime Demartin, l'un des (vrais) artistes à avoir imaginé l'action, nous explique.

Cafébabel : La représentation s’est tenue début octobre, jusque là, vous teniez à jour un site, une page facebook, un compte twitter… Comment avez vous fait pour ne pas être démasqués ?

Maxime Demartin : Tout a été très rapide. Nous sommes 24 artistes et créatifs à avoir candidaté pour une résidence à la fabrique de théâtre à Frameries en Belgique. La résidence était animée par les Yes Men, des activistes américains, qui travaillent autour de la question du réchauffement climatique. On s’est retrouvés à monter ce projet collectif en trois jours autour de la question de l'anthropocène (l’ère géologique actuelle, dans laquelle l'activité humaine a un véritable impact sur l’environnement et la biosphère, ndlr) et aussi autour de ce qui nous paraissait urgent et visible, c’est à dire la question des réfugiés. Ce sujet nous tenait à coeur, surtout avec les récentes sorties de Theo Francken (en septembre, il s’était notamment félicité sur twitter du « nettoyage » des camps de réfugiés, ndlr) et la collaboration du gouvernement belge avec les autorités soudanaises. Le lien entre le réchauffement climatique et les réfugiés s’est fait assez rapidement, car le changement climatique et l’accaparement des ressources sont sources de conflits.

Et puis nous avons trouvé une super fonctionnalité sur Facebook, qui permet d’antidater nos publications jusqu’à trois mois avant. On a également créé notre site internet et des comptes Facebook de plusieurs personnes pour liker le site internet, pareil avec le compte Twitter. On avait une super équipe. Il faut savoir que dans l’équipe on avait des vidéastes, des comédiens, des metteurs en scène, des dramaturges. C’est ce vivier de talents qui nous a permis de faire cette communication très professionnelle. Pour résumer, nous n’avons donc simplement pas eu le temps d’être démasqués.

Cafébabel : Votre action a-t-elle eu les effets escomptés ? Cela a-t-il permis aux gens de se « réveiller » ?

Maxime Demartin : L’action a eu un impact en deux temps. Le premier temps, c’était le 30 septembre, quand on a joué derrière la Bourse, dans le cadre du festival Signal organisé par le CIFAS. On a pu remarquer une sorte d’attitude politiquement correcte qui empêche les gens de s’opposer ouvertement. Par politesse, des passants disaient « oui oui oui » en nous écoutant, tout en bouchant les oreilles de leurs enfants. D’autres nous disaient « oui, j’ai pas trop d’argent pour ça, je suis étudiant… ». Il y a quand même eu quelques réactions épidermiques, de personnes qui nous disaient « attendez, mais c’est de l’esclavagisme moderne ! ». Il y a donc tout de même des gens qui se sont opposés.

À la fin des trois heures de happening surtout, un homme d’origine sénégalaise, qui s’appelle Emile, s’est levé, pour nous dire : « Ce que vous faites, c’est de l’esclavagisme, en plus les pays d’où viennent les réfugiés c’est ceux qui polluent le moins et qui souffrent le plus du changement climatique ». Il avait compris tout ce qu’on dénonçait.

Ce qui nous a un peu effrayé, c’est que les gens se sont dit que « c’était possible ». Nous voulions aussi dénoncer ça, avec notre action : en utilisant certains mots, certaines formules, comme « opportunité », « potentiel », « énergie verte », « employabilité », « flexibilité »... on peut rendre des trucs horribles tout à fait normaux.

Les politiques d’emplois et de migrants belges sont assez terribles, les françaises et les européennes également. Mais par exemple en parlant d’optimisation fiscale à la place d’évasion fiscale, ça devient tout de suite acceptable. Pour notre part, nous parlions de « mise à l’emploi de réfugiés » et non d’esclavagisme.

Dans un deuxième temps, sur les réseaux sociaux, beaucoup de personnes se sont offusquées. Quelques personnes, de la « fachosphère » se sont réjouis : « Enfin une bonne idée, il faudrait la généraliser et le faire directement au Congo », commentaient-ils.

Il y a encore un gros travail de changement des mentalités à faire. Mais c’est un peu difficile de juger réellement de l’impact, l’action a été trop rapide pour cela.

Cafébabel : Pour monter votre action, vous êtes-vous inspirés de vraies initiatives ?

Maxime Demartin : Pas vraiment. Mais en faisant nos recherches pour le projet, nous sommes tombés sur des choses un peu ahurissantes. Par exemple Techfugees ou Human Power Plant... ce sont des choses possibles. Au Brésil, dans des prisons, ils utilisent également des prisonniers pour générer de l’électricité. Ce qui est fou, c’est que nous ne nous sommes pas directement inspirés d’eux, mais que notre projet, qui pourrait paraître invraisemblable, l’est en fait.

Nous voulions également dénoncer le discours ambiant des startups. C’est un discours performatif, qui fait croire que des solutions de marchés peuvent résoudre des problèmes créés par le marché. C’est aussi une manière de dénoncer le business autour des migrations. Beaucoup d’entreprises privées font aujourd’hui la sécurité dans les gares, dans les camps de réfugiés… Frontex est également composée pour moitié de firmes privées. Je pense par exemple à celui qui a fait un business autour des containers, pour les camps de réfugiés, et qui affirmait en toute sérénité « oui, c’est un business, évidemment ». Ce sont des choses qui existent...

Cafébabel : Quelles sont les actions que mènent l’État belge pour les réfugiés, et que lui demandez-vous ?

Maxime Demartin : Il faut savoir d’abord que la Belgique enfreint le droit international, le droit européen, la convention des droits de l’Homme, le pacte des droits civils et politiques, en ne permettant pas à des gens de faire des demandes d’asile. On aimerait simplement qu’elle respecte la loi. Mais on ne se fait pas d’illusions…

Le plus important, c’est que la majeure partie de la population prenne les choses en main. On est tous responsables. Il y a plein de monde qui agit, de partout et de toutes les façons. On aimerait maintenant que les États fassent leur travail, qu’ils ouvrent des centres, aient de vraies politiques d’accueil. Même l’OCDE, réputée pour son libéralisme, a publié dans un avis que l’immigration génère des emplois et une hausse des revenus. C’est vraiment une question de mentalités. On aimerait qu’un maximum de personnes soit sensibilisé.

Il faut aussi se dire que nous sommes peut être les migrants de demain. Imaginons si le réchauffement climatique continue, dans 50 ans la mer du Nord monte et que Bruxelles se retrouve sous l’eau. On fera moins les malins. Depuis la chute du mur de Berlin, plus de 585 kilomètres de mur anti-migrants ont été construits en Europe. On aimerait que les gens se rendent compte de la réalité et prennent leur responsabilité.

Cafébabel : D’autres projets sont-ils en élaboration ? Quelles seront les prochaines actions de WAAR ?

Maxime Demartin : On fait une deuxième partie de résidence en novembre à la Fabrique de théâtre. Ce ne sera pas forcément sur les réfugiés, plus sur l’anthropocène. On va aborder les questions environnementales, mais on est encore dans une phase de réflexion, de laboratoire.