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Réfugiés en Europe : gloire aux villes rebelles ?

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La crise migratoire que traverse le continent ressemble à une mauvaise série sans fin. Au fil des sommets européens, les États membres semblent dans l’incapacité d’apporter des réponses durables. Mais si on redescendait un peu pour s’apercevoir que le sursaut peut s’opérer au niveau local ? Ouvertes, progressistes voire rebelles, les villes offrent tout un tas de solutions nouvelles à la vieille Europe. Et ce serait simple comme bonjour.

« Il n’y a pas de crise de migrants en Europe et en France, il y a une crise de l’accueil ». La déclaration claque comme un slogan. Elle est du maire de Grande-Synthe, dans le nord de la France. Depuis son élection en 2001 et ses trois mandats successifs, Damien Carême est devenue un des édiles les plus écoutés de l’Hexagone sur la question de la migration. Parce qu’il est l’une des rares personnalités publiques qui s’est illustrée par sa détermination sur la question de l’accueil des réfugiés. En 2006, devant le nombre de réfugiés qui souhaitent rejoindre l’Angleterre et qui restent en transit dans sa ville de 20 000 habitants, il décide de monter un camp. Sauf que le maire ne veut absolument pas que cette installation ressemble à un campement bien connu situé 36 km plus au sud : la Jungle de Calais. Alors, avec le concours de Médecins Sans Frontières, l’élu écologiste installe 500 tentes chauffées, des douches, plusieurs sanitaires, une collecte de déchet et un centre de soin. Depuis, 2500 réfugiés transiteront par La Linière et Damien Carême deviendra l’homme qui a offert un refuge décent à des populations migrantes. Le tout, en se substituant à l’État.

Merkel, l’Aquarius et le meilleur maire du monde

Alors que la Méditerranée se transforme en tombeau pour des milliers de migrants, les différents États européens peinent à apporter des réponses pérennes à l’afflux de réfugiés. Les sommets européens, entre cacophonie et renvoi d’ascenseur, se suivent et se ressemblent. Tant et si bien que les errements de la politique migratoire de l’UE donne à voir des situations ubuesques quand un bateau avec à son bord des centaines de migrants tentent d’accoster sur les côtes du Vieux Continent. Selon l’universitaire et ancienne candidate à la présidence fédérale allemande Gesine Schwan, plusieurs facteurs peuvent expliquer cette incapacité des États. Soumis à une compétitivité électorale, elle souligne que les gouvernements apparaissent souvent frileux voire réticents à s’engager sur cette question, perçue comme trop sensible pour leurs électeurs. La chancelière allemande Angela Merkel en a fait les frais en 2015 lorsqu’elle a annoncé son intention d’ouvrir les frontières de son pays à un million de réfugiés : les revers électoraux de son parti, la CDU, qui s’ensuivirent peuvent être perçus comme la conséquence de cette politique d’accueil. Schwan indique aussi que l’horizon politique des différents partis s’étant considérablement réduit, les visions court termistes l’emportent trop souvent sur les solutions de fonds.

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Si l’échelon de l’État-nation semble de moins en moins pertinent pour faire face au défi migratoire, renoncer à une solution politique sur la question serait néanmoins désastreux. À y regarder de plus près, ces solutions existent et s’esquissent. Mais pas forcément là où on les attend. Comme à Grande-Synthe, ce sont en effet les villes qui s’affirment comme le niveau le plus adapté pour proposer un accueil digne aux populations migrantes. Les exemples se sont multipliés ces derniers mois, avec notamment le triste épisode de l’Aquarius en juin 2018. Ils éclatent encore au grand jour avec le même navire qui cherche désespérément un port d'attache après que la France a refusé de débarquer les 58 migrants à son bord. En juin dernier, face au refus de l’État italien de laisser le bateau et ses 630 migrants pénétrer le sol du pays, ce sont le maire DiEM25 de Naples, Luigi de Magistri, et celui de Palerme, Leoluca Orlando, qui ont annoncé leur volonté d’accueillir les naufragés. En Belgique, c’est également au niveau local, dans la ville de Malines, que le maire Bart Somers (élu meilleur Maire du monde en 2017 par la City Mayors Foundation, nda) œuvre à l’intégration et l’inclusion des réfugiés dans la vie de la cité. Du côté de la Grèce, particulièrement concernée par l’arrivée de réfugiés sur ses côtes, le maire de Thessalonique est lui aussi très volontariste. L’humanisme de Yiannis Boutaris s’est notamment illustré par sa volonté de maintenir les réfugiés en milieu urbain, pour leur faciliter l’accès aux soins ou à l’éducation. Damien Carême, le maire de Grande-Synthe, a pour sa part fait construire un camp de migrants dans l’optique de créer des connexions entre citoyens locaux et nouveaux arrivants.

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Damien Carême, le maire de Grande-Synthe.

La vida locale

Si des villes comme Thessalonique ou Grande-Synthe, mais aussi Lampedusa ou Vintimille, se sont positionnées comme « ville refuge », c’est parce, confrontées de plein fouet à l’afflux de migrants, elles se sont trouvées dans l’obligation humanitaire de mettre en place des politiques solidaires. D’autres villes, pourtant moins exposées à ces flux migratoires, ont fait le choix volontariste d’accueillir ces nouveaux arrivants. Il s’agit alors d’une réelle volonté politique, à l’image de Barcelone ou Valence. Qu’elles soient géographiques, politiques ou historiques (c’est notamment le cas de Venise, riche d’une tradition d’accueil multiséculaire), les motivations des villes à s’engager pour l’accueil des réfugiés reposent aussi beaucoup sur l’engagement des populations locales qui sont, au quotidien, les principaux artisans de cette démarche.

« C’est la ville qui expérimente les moyens de gouverner les hommes et d’échanger les idées. »

Patrick Boucheron, historien français.

L’échelon local est-il la réponse adaptée à la « crise » migratoire ? Loin d’être une nouveauté, cette idée fait écho à la situation des années 1990. Avec sa volonté de prendre en charge l’accueil de populations qui fuient la guerre des Balkans, Venise s’érige dès ce moment en modèle de « ville refuge ». Lancé en 1995 par le Parlement international des écrivains, un autre réseau de villes ouvertes pour auteurs poursuivis par des fatwas accompagne ce mouvement. Depuis, les réflexions sur l’échelon local et les initiatives de villes refuges se multiplient. Le 16 septembre dernier, l’organisme European Alternatives organisait son Open Assembly sur le thème : « What comes after the nation state? » (Qu’est-ce qui vient après l’État-nation ?). Au programme notamment, une discussion avec Gesine Schwan et le maire de la commune italienne de Riace, village fantôme délaissé par sa population puis repeuplé et revitalisé par des populations migrantes.

D’autres mouvements de ce type illustrent le regain d’intérêt pour l’échelon local comme nouvel axe de réflexion politique. Réunies pour un sommet à Barcelone en juin 2011, les « Villes sans peur » (Fearless cities) s’inscrivent elles aussi dans cette dynamique. « La démocratie est née au niveau local, et c’est au niveau local que nous pouvons la reconquérir », scande leur manifeste. Et quelle ville mieux adaptée que celle qui a vu naître un des mouvements emblématiques de ce phénomène, Barcelona en Comú pour accueillir ces citoyens et maires de villes et de villages « en résistance » ? En opposition à des politiques de droite extrême et contre des multinationales qui tentent progressivement d’imposer leurs règles aux États, ces entités politiques entrent en « rébellion ». Hors d’Europe, ce sont bien évidemment les municipalités des États-Unis qui sont à l’avant-garde de ce combat. Ces « villes sanctuaires », dont Portland et San Francisco, mènent un combat permanent contre les décisions anti-climats, anti-diversité ou anti-LGBT du président Donald Trump.

« L’Europe par le bas »

Un mouvement de reconquête démocratique s’opère donc au niveau local. C’est la conviction de Damien Carême, qui estimait que « c’est là que tout se joue, au niveau local », alors qu’il était invité à une table-ronde au European Lab Winter Forum en janvier 2018 sur le thème : « Les villes en résistance : terreau de l’underground et laboratoires d’expérimentation de nouvelles citoyennetés ». Avec une population mondiale majoritairement urbaine - qu’on estime à 90% en 2050 -, la ville apparaît bien comme ce laboratoire d’innovation et ce terreau de créativité pouvant permettre une bascule dans la façon d’envisager la politique. Pour l’historien Patrick Boucheron, « c’est (la ville) qui expérimente les moyens de gouverner les hommes, (…) d’échanger les idées – elle est, pour Braudel (historien français du XXème siècle, ndlr), ce champ de tensions qui électrise l’histoire ». De son côté, le maire de Grande Synthe explique qu’ « au niveau local, on peut mettre en œuvre des solutions qui, accumulées, permettront d’avoir des solutions à l’échelle du pays, du continent et de la planète ».

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Face à ce constat de la défaillance des États-nations et du poids croissant pris par les villes, quelle place accorder à l’échelon européen ? C’est précisément dans l’articulation entre l’Union européenne et les municipalités que Gesine Schwan entrevoit une dynamique vertueuse. Dans un plan audacieux qu’elle détaille dans le Green European Journal, elle entend « déplacer l’échelon de l’action publique en faveur des réfugiés au niveau des municipalités et des métropoles ». Ce faisant, l’universitaire allemande soumet l’idée d’une relance de « l’Europe par le bas ». Concrètement, il s’agirait de fonds versés directement par l’UE aux villes. Ces dernières pourraient dès lors assurer elles-mêmes l’accueil de ces populations migrantes, tout en devenant des « acteurs majeurs de la réponse au défi des réfugiés ». C’est ainsi que Schwan entend redonner de la hauteur à l’échelon européen. Fini la répartition des migrants par pays selon des critères relativement flous du Règlement Dublin II. Cette « intégration décentralisée » offre une perspective nouvelle pour sortir d’une crise pour laquelle des solutions bien réelles existent et dont l’UE, les États et les villes feraient bien de se saisir. Et qui sait ? Les citoyens qui mettent en œuvre des solidarités concrètes au niveau local, pourraient également s’inspirer de ces propositions à l’approche des élections européennes de mai 2019.


Laurent, l'auteur, est programmateur du forum European Lab auquel Cafébabel participe à Bruxelles.

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