Réforme constitutionnelle en Espagne : que demande le peuple ?
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Jeanne VandewattyneLe plafonnement du déficit va être inscrit dans la Constitution. Mercredi dernier, le Sénat espagnol a donné son feu vert pour que soit modifié l’article 135 de la Constitution espagnole, la Carta Magna, l’« intouchable », ce texte pour lequel la simple mention du mot « réforme » figeait tout le monde sur place.
Pour certains, il s’agit d’une capitulation face à la pression des marchés. Pour d‘autres, c’est un projet mené « de façon obscure et perfide ». Mais au-delà de savoir si la limitation du déficit constitue réellement une nécessité vitale pour l’État, beaucoup s’accordent à dire que sur une pareille décision, le peuple aurait dû être consulté par référendum. Six Espagnols évoquent le sujet ouvertement. Témoignages.
« Certains d’entre nous aiment nager à contre-courant. Si la proposition de réforme de la Constitution ne concerne rien d’autre que la capacité d’endettement, je ne trouve pas ça spécialement intéressant. Ce que je déplore, en revanche, c’est que nos politiques ne soient pas capables de réformer d’autres aspects « plus importants », et qui pour le coup nécessiteraient un référendum. Mais évidemment, ces sujets-là n'inquiètent pas les marchés… ou peut-être que si, justement, et c’est pour ça qu’on n’y touche pas !? »
Luis, directeur et auteur de pièces de théâtre pour la compagnie Movimiento Arte contra la Barbarie à Barcelone
« Je suis contre cette réforme constitutionnelle. D’abord, parce que la Constitution n’est pas le bon endroit pour plafonner le déficit : il existe déjà au niveau de l’Union européenne des lois plus ou moins coercitives pour contraindre les États-membres à maîtriser leurs dépenses. En plus, si on plafonne le déficit, ça va laisser au gouvernement très peu de marge de manœuvre pour éviter les récessions à l’avenir. On dit souvent que ce qui est bon pour l’économie des particuliers vaut en général aussi pour les États, et vice-versa. Aurait-on idée de limiter l’endettement des particuliers, ou, a fortiori, celui des entreprises ? Le problème, c’est qu’on veut dépenser plus que ce qu’on a, en période de croissance tout comme en période de crise. On dirait que personne n’a jamais entendu parler de la fable La Cigale et la Fourmi. »
Pablo, étudiant à l’université
« Aurait-on idée de limiter l’endettement des particuliers, ou, a fortiori, celui des entreprises ? »
« Je pense que ce n’est qu’un changement de façade, car on ne parle pas du plus important, à savoir, que se passe-t-il si jamais on dépasse le plafond de déficit ? On n’en parle pas du tout. Le déficit constitue une limite naturelle : c'est logique, c'est du bon sens, et ce ne sera pas plus vrai juste parce qu'on l'inscrit dans la Constitution. Mais on ne dit pas ce qui va arriver si on le dépasse. Va-t-on sanctionner les politiques ? Nationaliser les entreprises ? Sortir de l’euro et dévaluer la peseta ? À mon avis, faire un référendum sur ce type de décision ou ne pas en faire, ça revient au même, parce qu’un tel sujet de macroéconomie nécessiterait énormément d’information et de réflexion individuelle, et ne serait donc pas à la portée de tout le monde. »
Sebastián, commercial
« Nous, le groupe de travail du Mouvement 15 M pour la réforme du système électoral, nous nous joignons aux protestations contre le processus de réforme constitutionnelle initié ces jours-ci par le Parti populaire (PP) et le Parti socialiste (PSOE), et nous condamnons la méthodologie d’action rapide avec laquelle a été mené ce projet. En agissant ainsi, ils empêchent la participation de groupes minoritaires ainsi que l’élargissement du débat à des sujets transversaux, ce qui met en évidence les carences de notre système démocratique. De plus, nous estimons que des changements aussi significatifs qu’une réforme constitutionnelle devraient être systématiquement soumis à la validation directe des citoyens. C’est pourquoi nous demandons à ce que soit organisé un référendum pour l’approbation de cette réforme. »
Un membre du groupe de travail du Mouvement 15 M pour la réforme du système électoral
« Toute notre vie, et toute notre scolarité, on nous a parlé de la Constitution comme de la chose la plus sacrée de notre pays. Quelque chose d’intouchable, un symbole de la démocratie pour lequel nos parents ont tant lutté… On nous a dit de ne pas nous plaindre, que les choses étaient très bien comme ça. Et aujourd’hui, d'un seul trait de plume, quand ça arrange ceux qui nous gouvernent, on la profane et on la manipule, et ce sans solliciter l’approbation du peuple. Alors franchement, surtout dans le contexte actuel de révolution et de mécontentement, je trouve que c’est se moquer du monde. »
Guillermo, étudiant à l’université
« C’est une violation de la démocratie, à un moment où les gens se mobilisent, ou du moins, où on parle de politique en termes de perte de légitimité et de représentativité, rien que ça... La désaffection politique est massive, et cela va l’accentuer encore davantage, confirmer l’impression que ces gens-là évoluent dans d’autres sphères et sont étrangers aux demandes du peuple. Même si c’est juste pour la forme, comme la tenue d’un référendum : le sujet du plafonnement de la dette est à mon sens très grave d’un point de vue idéologique, mais je trouve ça encore plus grave sur le principe, sur la forme… »
Mariluz, étudiante à l’université
Photos : (cc) AiramSelegna/flickr ; Vidéo (cc) youtube
Translated from Cambio constitucional en España: ¿Sí o... sí?