Qui sont les tyrans contemporains ?
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Par Dominique Strzyz Le pouvoir et nous: le siècle passé nous a servi les plus grands monstres et tyrans de l’histoire, comment le repenser? Angélica Liddell nous propose une réflexion sur la mémoire et le pouvoir, sur le corps et l’état, sur les victimes et les bourreaux et… sur une folie phallique et dominante.
Regarder le tyran pendant 2 heures- plutôt lourd
Le tyran est dégoutant et égotique, il nous ennuie avec ses phrases pathétiques, avec ses fonctions corporelles, avec ses pensées. Les scènes sont choquantes, bouleversantes, mais parfois on a envie de rire au lieu de se dégouter quand ce tyran masculin dans un corps féminin touche ses parties génitales ou ses excréments. On a bien senti la corporalité du tyran. Un corps et un état qui domine d’autres corps fantômes de citoyens, femmes, enfants, hommes. Des corps qui peuvent être écrasés à tout moment selon son désir.
Même si le spectacle est lourd parfois (il dure 2 heures) et l’usage des accessoires paraît plutôt déranger les acteurs au lieu de les aider à exprimer leurs idées, la force d’Angélica Liddell, actrice et metteuse en scène espagnole, était tellement impressionnante qu’elle dominait complètement la scène. Il s'est montré une femme dénonciatrice qui a incarne un tyran en obligeant le public à penser son corps féminin comme un corps masculin du tyran. Un tyran dégoutant qui vomit, qui chie, qui se masturbe et qui baise quand il veut.
Oui, oui, c'est important la mémoire... Mais la mémoire de qui?
C’est un spectacle qui aborde aussi la question de la mémoire et sa réécriture constante. Les livres sont un corps qui, par la force de leurs témoignages, ont beaucoup de pouvoir. Mais qui les écrit ? Angélica suggère que ce sont plutôt les assassins qui écrivent les livres, ce sont les gagnants qui écrivent la mémoire. Les victimes ont rarement la chance d’écrire des livres sur leur souffrance et jamais sur leur assassinat. Pour Angélica Liddell il n’y a pas d’Histoire mais des commémorations imposées par le pouvoir. Il n’y a qu’une mémoire unique imposée et utilisée politiquement par le pouvoir présent. A. Liddell exprime son chagrin sur les commémorations de victimes qui s'imposent sur les autres victimes et sur les holocaustes qui deviennent plus importantes que d’autres.
Oserais-je dire que les inquiétudes politiques de Angélica exprimées dans ce spectacle sont partagées par une grande partie de citoyens européens? Or, ce qu’elle fait, c’est donner à ses inquiétudes un corps, celui de tyran et essayer de le mettre en nu sur scène. Cette nudité de pouvoir est dérangeante mais après le spectacle lourd et long, on reste désarmé et touché par ce corps palpable et en vivisection artistique. Mais dans la vie réelle, ce corps grand qui pèse avec sa présence et tous ses attributs de pouvoir, n'apparaîtra jamais si nu devant nous comme dans le théâtre.
Le spectacle a été joué à Bruxelles au Beursschouwburg le 16 novembre. Angélica Liddell le présentera prochainement dans les autres villes européennes comme Paris (janvier 2012), Brest ou Toulouse.