Qu’en est-il des droits fondamentaux dans le « futur Frontex » ?
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Opinion - Les députés de la commission libertés civiles, justice et affaires intérieures (LIBE) du Parlement européen ont approuvé le 30 mai 2016 la création d’une Agence européenne de garde-côtes et garde-frontières. Au mépris du respect des droits fondamentaux ?
« L'UE a besoin de frontières externes sûres, mieux gérées et donc du corps de garde-frontières et garde-côtes européen dès que possible […]. C'est la première étape sans laquelle le reste des propositions législatives visant à lutter contre la crise de la migration et à sauver Schengen serait une bataille stérile ». C’est par ces mots que s’est exprimé le rapporteur du texte, Artis Pabriks, après que les membres de la commission libertés civiles, justice et affaires intérieures (LIBE) du Parlement européen ont approuvé la création de la future Agence européenne de garde-côtes et garde-frontières. Celle-ci remplacera bientôt l’agence Frontex, pour protéger les frontières extérieures de l’Union européenne.
Pour rappel, le rôle de Frontex, dont on a beaucoup parlé ces derniers mois dans le cadre de la lutte contre le terrorisme et face à l’afflux de réfugiés dans l’UE, consiste en la coordination de la gestion des frontières extérieures de l’Union. Grâce à des experts et garde-frontières, l’agence aide les États-membres à travailler ensemble et à appliquer les règles de contrôle pour l’entrée des personnes dans l’UE.
Mais, en raison de la crise migratoire que connaît l’Europe depuis plusieurs mois, une réforme du système de protection des frontières a été actée par le Conseil européen, le 15 octobre 2015. Une proposition de règlement européen a ainsi été approuvée le 30 mai par les parlementaires de la commission LIBE et, si le texte connaîtra certainement quelques modifications au cours de la procédure législative, le contenu restera vraisemblablement le même. L'Agence européenne aura pour mission la gestion intégrée des frontières et aura mandat pour déployer des équipes d'intervention rapide. Et comme pour le futur-ex Frontex, la question du respect des droits fondamentaux se pose.
Frontex, un mécanisme déjà décrié
Certes, il ne s’agit pas de nier l’importance de la gestion des frontières extérieures. Mais la question du respect des droits de l’Homme et des droits fondamentaux ne doit pas être oubliée pour autant. Lorsque des autorités policières ou militaires interviennent, la présence de garde-fous juridiques est essentielle pour éviter les abus.
Et c’est précisément ce qui était déjà reproché au système Frontex, l’agence ne pouvant être tenue responsable de violation des droits fondamentaux depuis sa mise en place, en 2005. Déjà, en 2012, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) relevait que l’arrestation et le renvoi de personnes appréhendées constituaient des « ingérences dans des droits fondamentaux des personnes concernées ».
Le 7 novembre 2013, dans un rapport adressé au Parlement européen, la médiatrice européenne, l’Irlandaise Emily O’Reilly, recommandait à Frontex « d’instaurer un mécanisme de traitement des plaintes pour violation des droits fondamentaux dans toutes les opérations conjointes se déroulant sous l’identité «Frontex» ». Et cette position avait été confirmée par le Parlement européen dans un nouveau rapport, notamment adopté par les mêmes députés qui ont approuvé le texte le 30 mai.
Dans tout système libéral, au sens politique du terme, la présence de mécanismes juridiques pour protéger les droits fondamentaux lors d’une intervention de forces de police est une évidence. Aujourd’hui, alors que les manifestations donnent lieu à de vives polémiques sur les violences policières en France, personne (ou presque) ne remet en cause la possibilité, sous certaines conditions, d’attaquer l’État s’il y a des abus. Pourtant, c’est bien ce qui manque avec le système Frontex.
Une Agence européenne toujours irresponsable
Et si certains députés se félicitent de l’adoption de cette réforme et de la création d’une Agence européenne de garde-frontières et garde-côtes, la question du respect des droits fondamentaux n’en est pas pour autant réglée. Dans la proposition de règlement, il est indiqué que celui-ci « respecte les droits fondamentaux et observe les principes […) réaffirmés par la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ».
Malgré cela, si on s’en tient au texte approuvé le 30 mai, et qui sera sans doute adopté par la suite, les personnes victimes d'une violation de leurs droits fondamentaux ne disposeront d’aucun moyen pour faire reconnaître la responsabilité de l’Agence européenne. Cette dernière bénéficiera ainsi d’une réelle impunité.
Seule avancée, la possibilité d’adresser une plainte à l’Agence pour les agissements de ses agents, ou d’agissements d’agents d’un État-membre. Mais ceci semble assez négligeable, puisque qu’une plainte ne pourra donner lieu qu’à une sanction disciplinaire à l’encontre de l’agent. La victime ne pourra donc pas, quoiqu’il en soit, voir ses droits fondamentaux reconnus.
Quand on connaît les valeurs qui sont défendues par l’Union européenne et les 28 États qui la constituent, un tel vide juridique laisse dubitatif. D’autant plus qu’après les remarques formulées par la CJUE, la médiatrice européenne et les députés européens, on aurait pu s’attendre à certains changements significatifs par rapport au mécanisme Frontex. Comment garantir une protection des droits de l’Homme sans possibilité de se retourner contre une autorité pour ses agissements ?
Les organisations de défense des droits de l’Homme et des réfugiés, comme Frontexit, se sont d’ailleurs empressées de réagir, avant même le vote en commission LIBE. Dans son communiqué de presse, l’association dénonce un « déni des droits humains ». La version définitive du règlement n’est cependant pas encore adoptée. Le texte doit passer devant l'ensemble des députés européens et le Conseil de l'UE (Conseil des ministres). Mais il paraît improbable que cette disposition change, les États-membres étant sur la même longueur d'onde.