QUELLE DEMOCRATIE POUR LUNION EUROPEENNE ?
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Pas d'Union sans Démocratie! Pas d'une réplique pompeuse de la Démocratie parlementaire de l'Etat Nation au niveau européen!
Les progrès incessants de lintégration européenne invitent à sinterroger sur les répercussions que celle-ci risque dentraîner pour lavenir de la démocratie. Car construire un véritable régime démocratique sera forcément plus difficile au niveau européen que dans le cadre dun Etat-Nation de type classique. Ne serait-ce que du fait du caractère inédit du projet et de la variété des cultures politiques des Quinze.
Mais la démocratie est, au surplus, menacée dans le cadre national par une crise fonctionnelle qui, en la fragilisant en amont, paraît compromettre, en aval, son extension aux institutions politiques européennes.
L « aggiornamento de notre démocratie »
La vérité est que le débat sur le déficit démocratique de lUnion Européenne restera stérile tant que lon prétendra résoudre de nouveaux problèmes par des solutions désormais vieillies. Lintégration qui est en marche entre les Etats du vieux continent est un processus sui generis. Elle est fille de la paix, de la liberté de mouvement et de louverture économique : des facteurs terriblement nouveaux pour les Etats européens, dus, à la fois, aux changements politiques de laprès-guerre et à la révolution technologique. Comme tel, ce processus sil veut véritablement séteindre au domaine politique ne peut se satisfaire de mécanismes et de pratiques institutionnelles expérimentées au niveau étatique sans mettre en uvre de profondes adaptations.
Cest dire quavant de létendre à lEurope, il faut procéder à un aggiornamento de notre démocratie. Linstitution parlementaire par exemple, qui est le véritable symbole de tous les systèmes démocratiques contemporains, a aujourdhui perdu sa raison dêtre. Née en Angleterre au bas Moyen-âge pour représenter la société de lépoque face au pouvoir et le contrôler, elle est désormais devenue lexpression même du pouvoir - 70 % des actes législatifs du Parlement français sont actuellement adoptés sur la base de propositions de lexécutif. Ainsi, pour satisfaire au principe démocratique qui na rien perdu de son actualité, les institutions prétendument démocratiques doivent-elles être refondées.
Dun tel effort, lEurope peut être à la fois le prétexte et le contexte : le prétexte dun changement de toute façon nécessaire à une affirmation réelle de la démocratie ; et le contexte dun changement autrement impossible, les institutions étatiques étant trop rigidifiées par le temps pour se prêter à une telle reforme. Il faut exploiter lactuelle phase de transition pendant laquelle le système européen est encore suffisamment souple pour le modifier - avant quil ne soit trop tard - dans le sens dune véritable démocratie participative.
Une véritable implication des citoyens
Mais revitaliser la démocratie signifie ouvrir une nouvelle carrière à la participation politique : on ne peut se contenter dexhorter les porte-parole du politique à fournir plus dexplications sur leurs décisions, comme la récemment fait Laurent Zecchini dans Le Monde. Démocratiser ce nest pas seulement expliquer, ni même consulter, mais encourager et rendre possible limplication des citoyens dans les processus de décision.
Aujourdhui, les technologies le permettent et les sociétés y sont prêtes. En effet, les progrès accomplis en matière de transports et dinformatique ont encouragé les individus et les groupes à être toujours davantage engagés et interconnectés - que ce soit pour des raisons économiques ou pour poursuivre un but de caractère associatif. Le succès du Marché Commun et les dernières manifestations de Gênes témoignent de cette évolution.
En face, des classes dirigeantes européennes incapables dune part de donner une forme juridique aux récentes évolutions sociales (on attend toujours un statut communautaire dassociation), dautre part dy apporter une réponse politique. Cest ce qui sest passé avec le communiqué final du G8 de Gênes : rien quun cocktail plein de bonnes intentions et de désaccords diplomatiques. Et cest ce qui se passe toujours avec la politique de lUE : difficile à cibler, fragmentée dans ses instances de pouvoir, et pourtant très lourde de conséquences pour nos vies. Ainsi un géant invisible à la manière de ces rencontres diplomatiques secrètes de naguère, mais avec énormément plus de bureaucratie parvient-il à dépouiller de leur souveraineté les citoyens et à faire avorter la potentielle démocratie européenne.
Pas dEurope sans les Européens !
Pourtant, on a besoin de lEurope. Mais dune Europe différente. Dune Europe où, face aux institutions politiques, vive une société civile - avec des médias, des entreprises et des associations vraiment européennes, et dont lexécutif et le Parlement soient enfin contrôlables, et légitimés par un vote démocratique.
Cest là ce que répètent les fédéralistes. Mais ce nest pas suffisant : lEurope politique ne verra le jour que sil existe une volonté des citoyens dy participer, et si les institutions ne les en empêchent pas. Dès la fin de lépoque moderne, chaque fois que lenvironnement institutionnel a étouffé la société civile, celle-ci a toujours protesté, allant parfois jusquà sinsurger. A présent, les contestations ne font que samplifier ; et ceux quon considérait autrefois comme des individus toujours devant lécran ont défilé dans les rues de Gênes au nombre de 200.000, et venus du monde entier pour crier quils ne voulaient pas être que des consommateurs, mais aussi des citoyens.
Un débouché institutionnel pour ces protestations pourrait être une esquisse de démocratie directe, par le biais dun vote électronique. Ainsi, les sondages cesseraient-ils de gouverner le politique, et lon pourrait bénéficier avec, bien sûr, beaucoup de modération et seulement à lissue des débats nécessaires dune mesure crédible de cette opinion publique dont tout politique revendique la caution. Fournir un ordinateur et une formation à tous ceux qui ne lont pas coûterait moins cher que dorganiser un seul référendum de type classique.
Certes, la naissance de lopinion publique européenne unie à lélection directe du Président de la Commission signifierait la mort de lEtat-Nation en tant que sommet de la hiérarchie institutionnelle. Mais nest-ce pas déjà le cas ? Si la mondialisation des enjeux se poursuit, il faut démocratiser les processus décisionnels plutôt que les laisser aux technocrates et à leurs livres blancs. LEurope doit non seulement montrer la voie, mais se constituer en tant que véritable espace public de démocratie. Autrement, elle ne pourra être quune pompeuse réplique des sociétés nationales et des Etats dont on dispose actuellement. Les nouvelles générations ne veulent pas dune Europe vieillie avant même quelle ne naisse.