Quel président pour quelle Europe ?
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Nous sommes à 3 semaines d'un scrutin capital pour l'Europe, pourtant l'intérêt et l'implication des citoyens européens n'est toujours pas au rendez vous. Or une question découle de ce constat, qui est responsable ? Le manque de crédibilité reflète-il un désintérêt envers l'ensemble de la classe politique ou est-il concentré sur l'UE ?
Pour la première fois, les Européens vont pouvoir élire la personne qui va prendre la tête de l’exécutif de l'UE durant les cinq prochaines années. Il suffit de remonter aux dernières élections européennes de 2009, pour se rendre compte que la situation a changé. La « réélection » de José Manuel Barroso à la tête de la Commission européenne en 2009 n'a pas été réellement fondée sur un processus purement démocratique. Le traité de Maastricht de 1992 prévoyait en effet que le président de la Commission devait être désigné d'un commun accord entre les différents chefs d'État - qui forment aujourd'hui le Conseil européen - pour qu'ensuite le Parlement européen approuve ce choix. Cependant en 2009 José Manuel Barroso avait été désigné président avant l'accord du Parlement. Le traité de Lisbonne entré en vigueur en décembre 2009 pourrait cependant apporter quelques changements. Même si l'ambiguité démocratique est toujours présente car une fois de plus c'est le Conseil qui va désigner le nouveau président en « tenant compte des élections au parlement européen » - TFUE -. Si l'on est optimiste nous pourrions avoir un chef de l'exécutif qui serait donc désigné en fonction du vote populaire. Reste à savoir comment sera interprétée cette « prise en compte des élections ».
En 2014, chose nouvelle, nous avons donc des candidats officiels à la présidence. Au nombre de 6 et représentant les principaux partis européens ils s'affrontent en ce moment même pour prendre la tête de cette Commission si convoitée. Il devient donc intéressant de faire un rapide portrait de ces candidats. Si l'on écoute les commérages bruxellois les deux principaux candidats (ayant le plus de chance d'être désigné) sont Martin Schulz, actuellement président du Parlement Européen et membre du parti socialiste (PSE), et Jean-Claude Juncker qui est donc tête de liste de l'actuel premier parti européen le Parti Populaire (PPE). Ce dernier a été le premier président de l'Eurogroupe et a récemment battu le Français Michel Barnier dans la lutte pour mener la liste du parti. Cependant a côté de ces deux personnages, quatre autres candidats cherchent aussi à se faire entendre. Guy Verhofstadt mène la liste de l'Alliance des démocrates et des libéraux pour l'Europe (ALDE). Cet ancien premier ministre belge est ce que l'on peut considérer comme le « troisième homme », a encore toutes ses chances de gagner, seul véritable fédéraliste il plaide pour une Europe encore plus intégrée. Viennent ensuite deux candidats du Parti Vert Européen, le Français José Bové figure altermondialiste et ancien vice-président de la commission Agriculture et Développement du Parlement européen et l'ancienne eurodéputé Allemande Ska Keller qui a été choisie pour représenter les Verts au côté de José Bové. Enfin le Grec Alexis Tsipras va quant à lui représenter le Parti de la Gauche Européenne (PGE), il a un historique politique très fourni étant donné qu'il avait été chargé de former un gouvernement grec de coalition en 2012 mais n'y était pas arrivé.
Ces 6 protagonistes s'affrontent donc dans une campagne qui a du mal à être visible pour le citoyen européen. Le débat qui devrait avoir lieu dans la sphère public n'a pas lieu, manque d'intérêt ? De timides tentatives ont cependant été mises en place. Par exemple le 9 avril 2014, Jean-Claude Juncker et Martin Schulz ont « bataillé » dans un débat en français puis en anglais retransmis sur France 24 et Radio France internationale. Mais au contraire de lancer réellement la campagne et le débat, cet événement n'a fait que montrer à quel point la délimitation entre les programmes des deux principaux partis est mince. En Europe c'est le consensus et le compromis qui sont de mise, cependant l'absence de profondes différences entre le parti de gauche et celui de droite et l'incapacité qu'ont eu les deux candidats à trancher sur une question n'encouragent pas l'intérêt que pourrait susciter cette élection.
Le lundi 28 avril 2014 un débat de plus grande envergure à été organisé à Maastricht par Euronews entre 4 des 6 candidats. José Bové et Alexis Tsipras n'ont en effet pas pu être présents. Cela aurait pu être pu considéré comme une très bonne initiative, cependant les principales chaines de télévision n'ont pas retransmis le débat. France Télévision a part exemple fait l'impasse complète, tandis que les principaux journaux nationaux (LeMonde, ElPais, Reppublica, TheGuardian, BBC...) n'ont même pas pris la peine de mentionner son existence. Beaucoup de choses ont été dites pendant une heure et demi de débat même si on a pu remarquer que le débat manquait de fond et d'un véritable affrontement politique. Leurs positions politiques sont restées quasiment identiques et c'est encore une fois le compromis qui a remporté la mise. Le débat a tourné autours des sujets phares tels que l'emploi, la politique économique, politique d'immigration et la politique extérieure avec notamment la question de l'indépendance énergétique.
Ska Keller, la candidate vert, s'est par exemple défendue d'un programme basé sur un « Green new deal » en expliquant « qu'aujourd'hui nous avons besoin d'investissements, notre économie doit être plus verte. L'objectif de 20% d'énergies renouvelables est ridicule, il faut être beaucoup plus ambitieux ». Elle a conclu le débat en soulignant que « nous avons besoin d'une Europe qui s'occupe des gens et non des grosses entreprises ». Jean-Claude Juncker s'est lui concentré sur l'aspect économique en disant que « Je suis pour la création d'un salaire minimum européen », mais qu'il ne voulait pas qu'on « dépense l'argent que nous n'avons pas, c'est pour cela que je suis pour des finances saines ». Martin Schulz quand à lui s'est montré en opposition avec la politique des 5 dernières années, en expliquant qu'il voulait être le président des citoyens européens et non des Etats européens. Enfin Guy Verhofstadt a axé son analyse sur sa volonté de mettre en place un véritable fédéralisme européen.
On a quand même pu assister à quelques démonstrations de désaccords et de tentatives d' « agression ». Par exemple lorsque Martin Schulz a expliqué qu'en diplomatie il faut trouver des intérêts communs et qu'il faut appliquer cela avec la Russie, Guy Verhofstadt a directement répliqué en disant que « C'était très naïf ». Jean-Claude Juncker a lui été attaqué par les trois autres candidats sur la composition de son parti le PPE, Ska Keller a notamment souligné qu'il y avait des députés du parti PPE qui votaient contre les mesures en faveur du droit des femmes tandis que Martin Schulz a repris l'intervention de Berlusconi sur l'Allemagne en dénonçant l'immobilité du parti.
En conclusion, nous pouvons nous interroger sur la future légitimité du président de la Commission et sur sa marge de manœuvre face à un Conseil de plus en plus puissant. Guy Verhofstadt a pourtant confiance en l'avenir de l'Europe et de la Commission, il a expliqué à Cafébabel que « Le changement c'est que le Parlement peut dorénavant se rassembler derrière une majorité et un candidat à la présidence de la Commission. C'est un pouvoir que le parlement doit utiliser [pour que la Commission reprenne le pouvoir sur le conseil] ». Il croit donc au « This time is different », slogan du Parlement Européen pour les élections de Mai. Nous espérons qu'il a raison. Il reste moins d'un mois avant les élections et tout reste encore à prouver.