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Que se passe-t-il en Colombie ?

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Bruxelles

Depuis plusieurs années, l’État colombien est en pourparlers avec les guérilleros, notamment les FARC, afin d’arriver à un accord de paix. Mais si le processus de paix est en bonne voie, certaines incertitudes persistent.

Le 23 juin dernier, la Colombie et les Forces armées révolutionnaires colombiennes (FARC) ont signé à La Havane un accord en vue d’un cessez-le-feu et d’un désarmement définitifs. Celui-ci est sans doute le prélude à un accord de paix historique, qui devrait être signé par les différents protagonistes dans les prochaines semaines, puis approuvé par référendum. Si tel était le cas, cela serait synonyme de la fin d’un conflit vieux de plus de 50 ans et ayant fait plusieurs centaines de milliers de victimes. Afin de nous donner un éclairage sur la situation, CaféBabel a interviewé Luis Guillermo Pérez, défenseur colombien des droits de l’Homme, ainsi que des représentants de l’ONG Oidhaco (Oficina Internacional de los Derechos Humanos - Acción Colombia).

Pouvez-vous nous parler de ce qu’il se passe aujourd’hui en Colombie ?

Luis Guillermo - En Colombie, nous souffrons d’un conflit armé qui dure depuis plus de 50 ans. Avec deux groupes de guérillas : les FARC et l’ELN (Armée de libération nationale). Aujourd’hui, nous sommes à la veille d’un possible accord de paix avec les FARC. Et nous espérons des négociations avec l’ELN.

Ce conflit a fait huit millions de victimes. C’est un profond drame humain qui s’accompagne de violences, de discriminations, de pauvreté. Pour nous, sortir de la guerre est une nécessité. La paix est un droit, c’est écrit dans notre constitution. Et nous sommes sur le point d’y arriver.

Les ennemis de la paix causent des attentats pour bloquer ce processus de paix. On a de grands ennemis : les entrepreneurs de la guerre, ceux qui vivent de la guerre. Il y a un gros business de guerre, entre les vendeurs d’uniformes, d’alimentation, d’armes ou de munitions pour les militaires.

Mais on va sûrement parvenir à un accord et à un plébiscite.

Qu’attendez-vous de cet accord en termes de droits de l’Homme et de démocratie ?

Oidhaco - Nous aimerions que les accords contribuent au respect des premiers et à l’approfondissement de la seconde.

La signature définitive des accords entre le gouvernement colombien et les FARC donnera lieu à une période post-accord, s’il y a contreseing au plébiscite organisé à cet effet.

Beaucoup de violations des droits de l’Hommes qui ont lieu et ont eu lieu en Colombie les dernières décennies sont à mettre sur le compte du conflit armé. Ceci, d’un côté, est l’expression du conflit politique, social et économique colombien qui s’est transformé avec les années. L’idée est que les accords reconnaissent ce conflit sous tous ses aspects et qu’ils mettent en œuvre des solutions pratiques qui mettent fin aux violations des droits civils et politiques, mais aussi économiques, sociaux, culturels et environnementaux. Il est important d’insister sur la vérité, la justice, la réparation et la garantie de l’absence de répliques pour que les accords remplissent leur véritable objectif. Et ce, afin que la population colombienne puisse sentir que le conflit est dépassé et que l’État se focalise sur la garantie des droits de l’Homme de toute la population.

D’un autre côté, les accords devraient servir à ouvrir le spectre politique aux idées des FARC mais aussi à celles des nombreux leaders sociaux et communautaires dont la participation a été silencieuse en raison de leurs liens avec la guérilla. Ceci devrait être rendu possible à travers un développement inclusif et durable améliorant la communication, les infrastructures et la présence de l’État dans des zones qui, jusqu’ici, était réduite à la seule force publique.

Quels sont les points de friction et les différences entre les deux parties aujourd’hui ?

Luis Guillermo -  Les différences portent sur beaucoup de points. Et tout spécialement sur la zone de concentration. Le gouvernement veut avoir un territoire où le cessez-le-feu et où son contrôle sont complets. Mais les FARC ne veulent pas d’un tel accord. Tant qu’il n’y a pas dépôt des armes, ils ne veulent pas prendre ce risque. Les FARC affirment avoir instauré un cessez-le-feu  unilatéral, ce qui s’est traduit par une baisse significative des violences,  du « jamais vu » depuis 50 ans.  Ayant respecté leurs engagements, ils ne veulent pas se voir imposer une zone de concentration où ils risquent de se faire bombarder. Ils attendent des garanties de la part du gouvernement, notamment celles de ne pas bombarder et de ne pas mener d’opérations militaires offensives.  En ce moment, certaines unités de l’armée veulent saboter le processus de paix et s’introduisent sur le territoire tenu par les FARC. Jusqu’à maintenant, ces derniers les ont évitées. Mais si l’armée continue à les provoquer, il se pourrait que des affrontements aient lieu.

Un autre problème de taille est à trouver dans les personnes constituant les autorités. Pour les FARC, la purge de la force publique et militaire n’est pas négociable. Il faut surveiller les nominations des magistrats en charge du dossier, qui peuvent être problématiques. De même, les FARC exigent la démilitarisation de la police, qui ne doit plus, selon eux, dépendre du ministère de la défense.

Bref, les points de désaccords sont réels et nombreux.

Pourquoi les FARC souhaitent-elles un accord ?

Luis Guillermo -  Si les FARC veulent un accord, c’est parce qu’elles n’ont pas gagné la guerre. La guérilla est pragmatique, en ce qu’elle se dit qu’il n’y a pas de sens à poursuivre une lutte armée qui ne mènera à rien. Ses dirigeants ont compris qu’il était préférable de lutter politiquement en démocratie.

Malgré un pouvoir militaire énorme, l’État n’ayant jamais pu les mettre en échec, les FARC sont entrées dans une ère de réalisme politique.

Quelles pourraient être les conséquences de l’élection de Mme Clinton ou de M. Trump sur le processus de paix ?

Oidhaco -  La victoire d’Hillary Clinton signifierait sûrement une continuité politique des États-Unis envers la Colombie. Barack Obama a déjà montré son soutien au processus de négociations entre le gouvernement et les FARC, et une possible victoire de Mme Clinton s’inscrirait très certainement dans cette lignée. Elle mettrait probablement en place le plan « Paz Colombia », de l’actuel Président, qui comporte 450 millions de dollars d’aides pour le post-accord. 

Si Donald Trump venait à gagner, il y aurait plus d’incertitudes. On ne sait pas s’il poursuivrait la politique menée par Barack Obama ou s’il opterait pour une autre stratégie dans le cas de la Colombie. Il faut donc voir s’il soutiendrait les accords issus de ce processus de négociations, ceux établis avec l’ELN ou s’il maintiendrait le plan « Paz Colombia », comme il a été annoncé.