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Quand polarisation politique rime avec polarisation médiatique

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Default profile picture karen bihr

De Malte, une analyse de la position des medias et leur facon d'aborder le referendum sur l'adhésion de l'île à l'UE. Ou quand l'objectivité cède à la passion.

Cet article a été commencé à la veille d’un jour qui doit marquer l’histoire de la démocratie indépendante instaurée à Malte il y a de cela quarante ans. Le 12 avril 2003, est jour d’élection [législative] sur cette île d’un peu plus de 380 000 habitants. Tout juste un mois plus tôt, le 8 mars, le peuple de Malte votait en faveur de l’intégration dans l’Union européenne (UE) – le oui l’emportait avec une courte majorité de 54% des voix. Pourquoi, dans ce contexte, le 12 avril est-il un jour si crucial et pourquoi avoir commencé cet article avec ces mots ?

Parce que le dirigeant du Parti travailliste de Malte, dans l'opposition – qui a mené une importante campagne anti-UE ces cinq dernières années – a décrété qu’il ne signerait pas le traité d’adhésion à Athènes le 16 Avril, s’il était élu. Ensuite, parce que toute analyse des campagnes anti-UE menée par les médias doit être effectuée au travers du prisme très particulier qu’est celui de la politique locale maltaise. Une situation politique marquée par un clivage tellement prononcé, qu’un parti politique, une fois au pouvoir, peut en réalité agir contre la volonté exprimée par la majorité lors d’un référendum.

Une société polarisée

Mais par où commencer ? Comprendre le système médiatique maltais requiert une compréhension profonde du système politique qui régit l’île depuis son accession à l’indépendance aux dépens de la Grande-Bretagne en 1964. La politique maltaise a été affectée par une polarisation politique intense. Des observateurs ont décrit la situation comme proche d’un système tribal, caractérisé par une lutte de pouvoir perpétuelle entre les bleus (appelés, de façon embrouillée, Partit Nazzjonalista ou Parti nationaliste), et les rouges (Partit Laburista ou Parti travailliste de Malte). Cette polarisation est exacerbée par le fait que les élections sont emportées ou perdues sur la base d’une différence de 10 000 votes en faveur de l’un ou de l’autre, et que les deux partis au pouvoir ont une conception radicalement différente de la conduite de la politique extérieure maltaise. Le débat sur l’adhésion à l’Union européenne ne fait pas exception, bien au contraire. Alors que certains avaient espéré que l’UE stimulerait les forces de réconciliation en découvrant un terrain d’entente et en établissant un consensus sur les questions fondamentales, la scène politique s’est transformée en match de football qui a prédominé pendant sept ans.

Contrairement au gouvernement travailliste, qui a occupé le pouvoir entre 1996 et 1998 (période pendant laquelle il a suspendu le processus d’adhésion de Malte), le Parti nationaliste -au pouvoir depuis 1987 si on exclut cette brève interruption de deux ans- s’est toujours prononcé en faveur de cette adhésion. Le Parti travailliste, manifestement victime de la polarisation qu’il a contribué à faire naître, s’est, de façon « logique », ardemment opposé à l’intégration de Malte à l’Union.

Médias sous contrôle

Quel rôle jouent les medias dans ce scénario ? Depuis 1987, date de la libéralisation des ondes sur l’île, les deux principaux partis politiques ne se sont pas seulement contentés de posséder et de régir leurs propres journaux, ils ont également mis la main sur les stations de radio et, plus récemment, sur des chaînes de télévision influentes. Contre toute attente, la polarisation du débat politique s’est accrûe avec la libéralisation des ondes, du fait du contrôle quasi absolu des partis politiques sur les instruments médiatiques. Leur message est tout-puissant et leurs medias omniprésents. La télévision étatique existe, dont l’impartialité est assurée par une Autorité de Diffusion. Cinq journaux de langue anglaise prétendent représenter « la voix indépendante de la politique maltaise ». Mais le système dans son intégralité est enlisé dans la polarisation.

Depuis que la presse écrite de langue anglaise a appuyé l’élan du Parti nationaliste en faveur de l’intégration européenne, le Parti travailliste a lancé une campagne virulente contre ces journaux, les accusant de favoriser le parti au gouvernement et de s’opposer à toutes les propositions travaillistes. Ainsi, le messager est souvent plus attaqué que le message lui-même. Les journalistes, éditeurs et chroniqueurs sont critiqués simplement parce qu’ils dénigrent la politique du gouvernement, sans pour autant que leurs arguments ne soient réfutés de façon convaincante.

La situation peut se résumer ainsi : d’un côté, un discours très européaniste de la part des journaux de langue anglaise « indépendants » et des medias soutenant le Parti nationaliste, et de l’autre côté, une position parfois vicieusement antagoniste de la part de la machine médiatique travailliste. Les Travaillistes ont également mis en place un site Web (voir lien), qui incarne leur seule véritable voix en langue anglaise.

Bruxelles, patrie des technocrates sans visages

L’Union européenne est la première source numéro de discussion et de débat dans les îles maltaises ces cinq dernières années, et elle est désormais le champ de bataille de prédilection des partis politiques. Au fur et à mesure que le débat sur l’adhésion de Malte à l’UE prenait de l’ampleur et que la date d’adhésion se précisait, les positions se sont radicalisées pour culminer sur un débat à peine croyable sur la finalité du résultat du référendum. Alors que les journaux étrangers annonçaient la décision de Malte de rejoindre l’Union, à Malte, nous étions toujours en train de débattre sur la pertinence du référendum.

Tout cela démontre que lorsqu’on parle de médias eurosceptiques à Malte, il s’agit réellement de médias agissant sous la coupe d’un parti politique qui reçoit au moins 47% du soutien électoral. C’est pourquoi Malte est considéré comme le pays le plus eurosceptique des dix candidats à l’UE : un pays divisé politiquement en son milieu sur presque tous les sujets qui existent sur cette terre, et surtout, aujourd’hui, sur la question de sa politique européenne.

Ayant expliqué le paysage politique particulier de Malte, je vais maintenant décrire le « contenu » réel du message délivré par le Parti travailliste tel qu’il est relayé par ses médias. Message qui n’a rien de particulièrement original si on le compare aux autres campagnes eurosceptiques en Europe. Il était composé du ramassis habituel d’arguments évoquant la « perte de souveraineté ». Malheureusement, il était aussi généreusement agrémenté de déclarations fausses ou incomplètes au sujet de l’UE qui devaient constamment être réfutées par le gouvernement, le centre d’information Malte-UE subventionné par l’Etat, ainsi que par les journalistes.

Bruxelles a été présentée comme une terre lointaine de technocrates sans visage et de politiciens inconnus, inconscients des problèmes et des attentes de la population maltaise. Il a été question de vendre notre île pour quelques millions de Liri maltes. Pendant les pires moments de la campagne, ce sont les medias locaux, sous la coupe des Travaillistes, qui ont donné au Commissaire pour l’élargissement Verheugen un aperçu de la situation.

Les Britanniques défenseurs de la souveraineté de Malte !

Cependant, on s’est plus focalisé sur les émotions que sur la raison. Le message était essentiellement que « Bruxelles propose des textes de loi qui ne s’appliquent pas à notre cas particulier », et que « nous devons rester maîtres de notre destin ». Cette dernière phrase, qui se traduit en Maltais par Rajna F’idejna, est même devenue un slogan médiatique incontournable. Comble de l’ironie, un groupe de pression appelé No2EU a fait venir quelques parlementaires britanniques conservateurs et eurosceptiques, pour parler aux Maltais à propos des dommages qu’une perte de souveraineté infligerait à Malte – une ancienne colonie britannique ! Ces événements étaient alors retransmis par une chaîne privée. Ce même groupe, dont le président s’est par la suite présenté aux élections avec le MLP [parti travailliste maltais], a aussi publié une revue unique anti-UE à la veille du referendum. Il a également son propre site web.

Les medias ainsi que les politiciens à Malte ont littéralement créé un chaudron bouillonnant d’informations, de faits, de semi vérités et d’opinions. On peut affirmer que l’Union européenne a été le seul vrai sujet de débat ces dernières années. C’était parfois fatiguant, parfois frustrant. Ce qui en a émergé, de manière positive, c’est un public relativement bien informé, ou, du moins, intéressé. Alors que 91% des personnes habilitées à voter l’ont fait pendant le référendum, en Hongrie, où le même référendum s’est déroulé le 12 avril, le taux de participation électorale avoisinait seulement les 46%.

J’ai commencé cet article la veille d’une élection générale, je le conclue le lendemain des résultats officiels. Je suis ravi du résultat : le message pro-UE l’a emporté aujourd’hui et Malte s’est transformée en une mer de drapeaux maltais et européens. Ces dernières semaines, les médias ont joué un rôle crucial, diffusant auprès de la moitié de la population un message tantôt pro-européen, tantôt anti-européen. Le résultat de ce référendum est à l’image des divisions politiques de l’île : près de 52% de la population a voté en faveur du parti au pouvoir pro-UE tandis que l’opposition totalisait 47% des votes.

Aujourd’hui, beaucoup de Maltais espèrent que l’adhésion du pays à l’Union européenne signera la fin de la polarisation politique et médiatique malsaine qui domine l’île depuis une trentaine d’années.

Translated from The antiEU media campaign in Malta: a product of political polarisation