Quand Pasolini pensait l'Europe
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Cécile VergnatPasolini absous de ses pêchés ? Cinquante ans après la sortie de son oeuvre L'Evangile selon Matthieu (1964) qui avait chamboulé l'Italie de l'époque, l'Eglise catholique a finalement décidé de reconnaître la qualité du film. L'occasion pour Cafébabel de s'intéresser à l'exposition consacrée à l'intellectuel frioulan, actuellement installée à Rome.
Après Barcelone et Paris, c'est au tour de Rome d'accueillir l’exposition consacrée au rapport amour-haine entre Pier Paolo Pasolini et la capitale italienne qui a couru sur trois décennies, de 1950 à 1975. Pendant trois mois, du 15 avril au 28 juillet, le Palais des Expositions permettra au public italien de parcourir à nouveau et grâce à une scrupuleuse reconstruction chronologique, l’activité artistique et intellectuelle de Pasolini du jour de son arrivée à Rome, le 28 janvier 1950, jusqu’au moment de sa disparition tragique le 2 novembre 1975.
Organisée par Jordi Ballò, Alain Bergala et Gianni Borgna (décédé en février dernier), l'exposition a rencontré un franc succès en Europe. Comme l'ont souligné les deux organisateurs lors d'un débat intitulé « Pasolini, penseur européen », c'est un succès qui a le mérite de « refléter la dimension européenne non seulement du projet mais également de la pensée pasolinienne qui n’est pas exclusivement circonscrite à l’Italie, mais au contraire davantage adaptable et applicable à la plupart des pays européens d’après-guerre ».
le rapport controversé avec les intellectuels français
Au début des années soixante, Paris devient le centre culturel le plus prolifique d’Europe. Cette effervescence atout particulièrement fasciné Pasolini. La naissance et l’affirmation de la Nouvelle Vague a ainsi permis à l’écrivain frioulan de s’inspirer de la réalité artistique et intellectuelle transalpine. L’admiration que Pasolini portait à l’esthétique du nouveau cinéma français et notamment aux films de Jean-Luc Godard n’a cependant jamais été réciproque. Comme le souligne Alain Bergala, l’ancien directeur des Cahiers du Cinéma, « à l’époque, les sémiologues français considéraient Pasolini comme un simple amateur naïf, ils ne reconnaissaient jamais complètement sa dimension artistique ». En effet, nombre d'intellectuels français de l’époque tels que Roland Barthes faisaient souvent la grimace lorsqu’ils entendaient parler de Pasolini. À l'époque, seuls deux d’entre eux le soutenaient. Le premier, Jean-Paul Sartre a ainsi pris le parti de l'intellectuel italien plus d'une fois dans les années soixante face aux critiques émises par la gauche marxiste française. On lui reprochait alors ses canons esthétiques, qui selon beaucoup, étaient incompatibles avec les critères du nouveau cinéma. Quant au second, Michel Foucault, il a partagé les traits de la pensée anti-pouvoir de Pasolini et fait l’éloge de certaines œuvres cinématographiques dont Enquêtes sur la sexualité (Comizi d’Amore) qu’il a notamment qualifié de « film absolument extraordinaire ».
Toutefois, cinquante ans plus tard, la pensée et le patrimoine artistique de Pasolini ont été réévalués et font aujourd’hui l’objet d’études, de débats, et de discussions dans les universités et dans les espaces culturels français
PASOLINI Et l'Espagne. CONTRe l'homologation linguistique
Si le septième art était à la base du rapport controversé entre Pasolini et la France, c'est la thématique de l’homologation linguistique qui a permis de lier l’intellectuel à la péninsule ibérique. L’Italie tout comme l’Espagne ont en effet été confrontées à des régimes qui, sur la base de principes nationalistes, avaient tenté d’imposer une homogénéité linguistique en interdisant l'emploi des langues qui n'étaient pas officiellement reconnues (en Espagne le catalan, le basque et le galicien ont notamment été interdit, ndlr). Pasolini pour qui l’hétérogénéité culturelle est l’un des fondements de sa pensée lié à « l’acculturation », ne pouvait que prendre part à la lutte des intellectuels espagnols contre cette uniformité que Franco tentait d'établir. Contrairement aux intellectuels français, le rapport entre Pasolini et les penseurs espagnols était davantage basé sur une estime réciproque, ce qui a amené Pasolini à visiter l’Espagne à plusieurs reprises pour défendre les causes des intellectuels ibériques.
Comme le rappelle Jordi Ballò, « à cette époque, le concept pasolinien selon lequel seuls les poètes et les artistes pouvaient se voir confier le devoir de maintenir en vie les différences linguistiques » trouvait écho auprès des intellectuels de l’Espagne franquiste. C’est également pour cela, mais pas seulement, fait remarquer Ballò, qu’on reconnait à Pasolini le mérite d’avoir réussi à « construire une conscience européenne diffuse, qui a eu la force de s’opposer, au moins moralement, aux pouvoirs autoritaires. Sa mort n’éteint pas sa pensée qui perdure en nous, dans nos esprits critiques et d’activistes qui cherchent à démasquer les pouvoirs forts. »
Translated from Pasolini, pensatore europeo