Quand le coeur de Bruxelles bat au rythme de l'opéra
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Ces 8, 9 et 10 mai dernier se sont déroulées les Journées Européennes de l'Opéra. Pour l'occasion, Cafébabel a participé à une série d'activités en plein air organisées par La Monnaie dans la capitale bruxelloise.
« Finding Song Home » : l'opéra-cycliste
La compositrice britannique Kaffe Matthews, en collaboration avec l’artiste media Tom Keene, a proposé au public une expérience musicale à la fois décalée et différente de l’opéra tel qu’on le connaît habituellement.
Une vingtaine des vélos, équipés de haut-parleurs et d'un GPS, ont été mis à disposition du public afin de réaliser des parcours musicaux dans la capitale. Une carte interactive est proposée aux participants et c’est le cycliste lui-même qui décide l’ordre dans lequel il veut « composer » sa propre œuvre musicale. Le GPS le dirige vers une sélection de compositions musicales qui ont été choisies par l’artiste et les haut-parleurs permettent alors de partager la sélection avec tout le monde. Toutes les pièces musicales sont en lien avec les différentes communautés bruxelloises rencontrées par l'artiste. L’objectif : faire réfléchir les visiteurs quant à leur identité culturelle et au multiculturalisme bruxellois.
Huit « vélaudios » seront disponibles jusqu’à la fin de la saison à la billetterie de La Monnaie, permettant ainsi d'encore profiter de cette activité de diffusion et de création musicale unique en son genre. De plus, cette idée innovante nous donne une vision différente et décalée de la ville.
« Pique-nique Opéra ! »
Pour la cinquième année consécutive et selon la philosophie « put-in / pick-out », La Monnaie et Parsifools ont organisé un pique-nique musical au Parc Royal, le 10 mai dernier.
Cet événement, devenu une véritable tradition à Bruxelles, repose sur un principe simple : échanger de la nourrtiture pour un pique-nique contre une session gratuite de musique jouée en plein air. Cette journée dominicale a été animée par une musique de chambre jouée par l’Orchestre symphonique de La Monnaie. La soprano belge Tineke Van Ingelgem a ensuite proposé son propre récital, chantant notamment des lieders (poèmes germaniques chantés), des arias (mélodies chantées) ainsi que des chansons classiques. Un rendez-vous magique qui, grâce au beau temps, a fait rayonner davantage cette superbe journée.
Quand Verdi et George Orwell sont réunis sur scène
Pour terminer notre parcours musical, nous avons assisté à « Un ballo in maschera », l'oeuvre la plus censurée de Verdi, qu'on a pourtant vu renaître sous sa forme initiale grâce au montage artistique de La Fura dels Baus. Ce mélodrame, composé lors d'une période historique très agitée (1857-58), avait pour but de raconter une histoire plutôt politique inspirée d'un fait réel, à savoir l’assassinat du roi Gustave III de Suède lors d'un bal masqué en 1792.
Avec la Révolution française et les changements qu'elle a provoqués dans la société, la monarchie absolue a connu des temps difficiles en Europe. Pour cette raison, le pouvoir trouvait trop dangereux d'aborder un sujet pouvant porter des idées révolutionnaires, en particulier lors des dernières années de la monarchie absolutiste de Ferdinand II en Italie.
Verdi s'est battu contre la censure afin de ne pas transférer l’action de son oeuvre vers un lieu méconnaissable, de ne pas changer le titre nobiliaire du roi pour un simple courtisan et de focaliser la trame autre que la politique. Après un an de négociations, la première de l’opéra voit finalement le jour en 1859 à Rome. Mais le compositeur s'est vu obligé de situer l’action dans la ville de Boston, de transformer le roi en gouverneur de la ville et et de dépolitiser son récit, se focalisant sur l’amour et la traîtrise. Ainsi, l’intrigue politique originale est passée au second plan.
« Quel enfer ! », a déclaré Verdi à son librettiste dans une lettre de 1858 suite aux menaces d’amendes reçues au cas où il ne changeait pas l’opéra.
L’adaptation artistique de La Fura dels Baus
Alex Ollé, directeur artistique de La Fura dels Baus a déclaré lors d'une interview : « Si Verdi avait pu écrire cette pièce en toute liberté, je pense qu’il lui aurait donné une tournure politique ». Modifiant quelque peu la version originale de l'opéra, Ollé rapproche la figure du roi absolutiste Gustave III de celles des dictateurs du XXème siècle. Ainsi, il s’inspire du roman de George Orwell '1984' pour créer l’ambiance de "Un ballo in maschera".
La mise en scène mêle deux histoires différentes de manière cohérente et stupéfiante. L’action se déroule dans un énorme bunker de béton, dont le décor fait allusion à l’architecture fasciste. Tous les personnages portent des masques et ont des nombres floqués dans le dos: c’est le symbole de la société aliénée qui a perdu son identité.
Sans toucher à un seul mot du livret de Verdi, on se retrouve au centre d’une histoire d’amour platonique entre le roi et la femme de son meilleur ami. Ce roi est victime d’une conspiration et d’un amour impossible qui le rend aveugle. Néanmoins, il s'agit aussi d'une histoire de méfiance sociale (le directeur artistique s’inspire du mouvement 15 M des « indignés »). L'aventure se termine par la mort du roi de la main de son meilleur ami. Une dystopie orwellienne qui nous fait réfléchir à notre propre identité et à l’idée de liberté au XXIème siècle.
Bref, un chef-d’œuvre musical et technique magistralement réalisé et dont l'adaptation artistique est tout à fait époustouflante.