Quand La Grèce cultive l’utopie
Published on
Face aux mesures d’austérité, de nombreux Grecs sont contraints de se tourner vers des modes de vie alternatifs, notamment les jeunes. Récit d’un dimanche passé dans l’univers utopique d’une ferme des environs d’Athènes où les amateurs peuvent apprendre gratuitement tout ce qu’ils ont toujours voulu savoir sur l'agriculture biologique, sans jamais oser le demander.
On se croirait au milieu d’une véritable expédition scientifique. Armés de vêtements de protection, de chapeaux ornés de voiles et de gants en cuir imperméable, tout le monde semble impatient d’aller sur le terrain. Entassés en demi-cercle, une vingtaine d’étudiants, débutants en apiculture, écoutent attentivement Panagiotis Skotidakis, un agronome de renom, expliquer comment manipuler une ruche.
Tout le monde semble être captivé par cet univers secret. Une petite anecdote du professeur sur les trois ruches aux couleurs nationales récemment posés sur le toit de l’Assemble Nationale à Paris enchante tout le monde : «Chez nous, c’est encore impensable. Les gens d’ici ont vu trop de films avec des abeilles tueuses !», dit l’un des élèves en rigolant.
La crise a changé les mentalités
Chaque dimanche, Giorgos, un jeune athénien au chômage prend la route vers cette ferme isolée, à 30 km au nord d’Athènes, pour suivre des cours d’apiculture dans une école d’agriculture biologique pas comme les autres. Gratuite et autogérée, cette OIKOSXOLEIO, ouverte depuis l’année dernière, a connu un vif succès, notamment auprès de la jeunesse.
En Grèce, où le taux de chômage des moins de 25 ans s’envole, les jeunes sont surtout contraints de se tourner vers des modes de vie alternatifs. Et tout est bon pour arrondir les fins de mois. « La crise a changé la mentalité de beaucoup d’entre nous, confie Giorgos, si la génération de nos grands-parents immigrait en masse vers les villes à la recherche d'une vie meilleure, nous sommes en train de connaître le phénomène inverse. Certains de mes amis qui n'arrivaient pas à trouver du travail ont quitté Athènes pour s’installer sur les îles. Aujourd’hui, ils cultivent la terre et vivent de leur propre travail. »
Les autres étudiants hochent la tête en signe d’approbation. Ils rêvent tous d’un petit bout de terrain. Si ce n’est pas possible sur les îles ou dans un village dans les environs de la capitale, alors au moins un potager sur les toits de leurs bâtiments. « Ça fait du bien de manger ce qu’on a produit de nos mains. Même si aujourd’hui cela revient moins cher d’acheter un kilo de tomates que de les cultiver ! », dit l’un entre eux, l’air désabusé.
Une idée simple mais efficace
L’homme derrière cette école s’appelle Theodoris Arvantis. Désespéré par le manque d’intérêt de l’Etat envers la production biologique, cet ancien étudiant en sociologie a décidé de prendre les choses en mains. Rien d’étonnant pour la Grèce où les initiatives citoyennes solidaires se multiplient au quotidien, allant du soin gratuit au branchement illégal sur le réseau électrique.
L’idée de Theodoris est simple, mais efficace : au lieu de faire de la charité, il préfère instruire les gens pour leur permettre de produire leur propre nourriture. Il avait déjà les terres où il cultivait des fruits et des légumes et produisait du miel et du fromage, il fallait encore réunir des professeurs d’agriculture qui voudraient enseigner bénévolement, et des étudiants qui voudraient apprendre. « Je suis parti de l’idée que la terre appartenait à tout le monde. Donc, si quelqu’un a envie d’apprendre et d’y travailler je ne pouvais que leur ouvrir mes portes », explique tout simplement Theodoris.
Des champignons sur Internet
Theodoris se vante d’être producteur biologique depuis déjà 20 ans, même à l’époque où le mot BIO n’était pas encore à la mode. Sa ferme est sa fierté. Mais malgré tout, un simple coup d’œil suffit pour comprendre que la crise n’a pas non plus épargné ce bout de terre reculée. Les serres, victimes d’une tempête, se dressent devant nous, complètement abîmées. « Malheureusement nous n’avons pas les moyens de les réparer pour l’instant » explique-il en haussant les épaules. Il préfère changer de sujet.
Il m’amène voir Grigoris. A lui seul, ce quinquagénaire résume la philosophie du projet de Théodoris. « Il n’a plus beaucoup de travail ces derniers temps, mais il ne voulait pas rester les bras croisés. Donc, il est venu ici ». C’est avec la bénédiction de Theodoris que Grigoris a décidé de se lancer dans la production des champignons. Aujourd’hui, il est en train de stériliser le milieu où ils vont pousser. Il court dans tous les sens, donnant l’image d’un homme qui connaît son affaire.
Où a t-il acquit les connaissances nécessaires? Dans un des cours proposé à l’école de la ferme? « Non, j’ai trouvé tout ce qu'il faut sur Internet », dit-il tout simplement.
« Qui sait, cette crise a peut-être aussi un côté positif. Elle a ouvert les yeux des gens et leur a donné l’envie de se tourner vers la terre et les cultures biologiques », dit Theodoris, résumant ainsi la situation actuelle de la Grèce sur un ton philosophique.
D’ailleurs, il ne pense pas s’arrêter là. Il a encore plein de nouveaux projets dans la tête : comme par exemple se lancer bientôt dans l’agrotourisme ou encore développer de nouveaux cours pour apprendre aux gens à faire de la confiture et d’autres provisions pour l’hiver.
Pas mal, pour un pays en récession.