Qu’Allah bénisse la France : un film humaniste sur les banlieues
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Pour son premier film sorti le 10 décembre dernier en France, le rappeur et écrivain Abd Al Malik adapte son autobiographie. Il raconte son parcours d’enfant d'immigrés, noir, surdoué, élevé par une mère catholique dans une cité de Strasbourg. Entre délinquance, rap et islam, il va découvrir l'amour et trouver sa voie.
Abd Al Malik, né Régis Fayette-Mikano, a étudié la philosophie et les lettres classiques tout en créant le groupe de rap N.A.P (New African Poets) avec des amis. Il publie son premier ouvrage Qu’Allah bénisse la France ! en 2004 et obtient plusieurs Victoires de la musique pour ses albums solo Gibraltar, Dante et Château Rouge. Son deuxième ouvrage, La guerre des banlieues n’aura pas lieu, a reçu le Prix Edgar-Faure de littérature politique.
En portant son autobiographie à l’écran, l'auteur-réalisateur fait de son histoire une success story à la française. Il sublime le parcours initiatique de Régis devenu Abd Al Malik, magistralement interprété par Marc Zinga. Il retrace aussi les étapes de sa conversion à l’islam, de sa réussite musicale et de son engagement avec sa femme.
Rencontre avec l’acteur principal du film, Marc Zinga
A l’issue de la projection du film dans le cadre du Festival de cinéma méditerranéen, Marc Zinga a répondu aux questions des spectateurs.
Il explique tout d’abord comment les acteurs ont été choisis : « J’ai reçu le scénario, puis j’ai passé plusieurs castings. Mais pour Sabrina Ouazani [nda: sa partenaire à l’écran], c’est la femme d’Abd Al Malik qui l’a choisie. Alors qu’il n’en était qu’à l’écriture du roman, elle lui a dit que si le livre devait un jour être adapté au cinéma, Sabrina était la seule qui pourrait jouer son rôle. » Révélée par Abdellatif Kechiche dans L’Esquive, Sabrina Ouazani incarne la confidente et la future femme de Régis/Abd Al Malik.
Mais la révélation du film, c’est Marc Zinga qui vient d'être nommé pour les Césars 2015 dans la catégorie « Meilleur espoir masculin ». En l’entendant répondre aux spectateurs après la projection, on mesure le travail effectué sur sa façon de parler. Résidant à Bruxelles, il a dû gommer ses intonations belges au profit d’un accent strasbourgeois et du phrasé de la cité HLM du Neuhof : « J’ai beaucoup pris à Abd Al Malik. C’est assez facile quand on vit au quotidien à côté du personnage qu’on incarne ».
Une capacité d’appropriation confirmée par le réalisateur lorsqu’il revient sur la première rencontre entre Marc Zinga et les acteurs amateurs qu’il a choisi dans sa cité natale pour jouer ses amis de l’époque : « ils ont commencé à répéter une scène, et dès la deuxième reprise, Marc avait intégré toutes leurs expressions ».
Les répétitions ont surtout eu lieu avant le tournage, pour aller vite une fois sur le plateau. À propos de l'improvisation, Marc Zinga confie : « on était très libres dans les dialogues. Les répliques fusent, alors ce qui comptait surtout c’était de respecter les intentions des personnages et les dynamiques de groupe. Parfois, Abd Al Malik insistait pour qu’on utilise des mots en particulier, mais en général ce n’était pas grave si on ne respectait pas le texte à la ligne ».
De Scarface à La Haine
Pourquoi le choix du noir et blanc ? Il y a d'abord chez Abd Al Malik le désir de réaliser un « anti-Scarface » : « J’ai vu de mes yeux des amis mourir parce qu’ils avaient vu ce film et qu’ils se prenaient pour Tony Montana. Si le cinéma peut être mortifère, alors il peut aussi porter la vie ».
La Haine est une autre référence incontournable. Le premier film français sur les cités, réalisé par Matthieu Kassovitz en 1995, est aussi en noir et blanc. Bien que non daté dans le temps, Qu’Allah bénisse la France semble commencer là où La Haine se termine. Abd Al Malik aborde de front la question de la religion et de ses dérives extrêmes, alors que le sujet n’était pas encore d’actualité pour Matthieu Kassovitz.
La réalisateur a aussi voulu rendre hommage au néoréalisme italien. Il cite par exemple le film Rocco et ses frères, « qui est avant tout un portrait d’humains ». Enfin, le noir et blanc est un clin d’œil aux films de Carné et Prévert. On pense aux Enfants du Paradis et à la prose poétique de Prévert, qui fait écho à celle d’Abd Al Malik. Dans le film, les dialogues et les chansons sont complétés par une voix off, qui reprend des passages de l’autobiographie.
En plus de ses titres « Gibraltar » ou « Soldat de Plomb » repris dans le film, le rappeur-réalisateur s’est entouré de son frère Bilal, de sa femme Wallen et de Laurent Garnier pour créer une bande originale mixant rap, RnB et électro. La musique porte l’itinéraire de Régis, de la recherche du bon mot et du rythme juste pour un vers de rap, à la traversée façon Beatles d’un passage piéton avec les membres de son groupe.
Une démarche humaniste
Qu’Allah bénisse la France est avant tout le portrait d’un jeune homme qui devient adulte. Le film retrace les tiraillements du personnage, entre les études, la délinquance, le rap, l’islam et l’amour. Le scénario est subtil et authentique. On se laisse emporter par ce parcours à mille à l’heure, ponctué de quelques pauses poétiques hors du temps, avec sa future femme dans un Strasbourg bucolique, ou lors de sa quête spirituelle au Maroc.
C’est aussi le portrait d’une cité et de ses habitants, des humains comme les autres en somme. Certains plans du film relèvent d’ailleurs plus du documentaire que de la fiction lorsque le réalisateur capture au naturel les habitants de sa cité, qu’il s’agisse d’un jeune couple avec leur enfant en poussette ou de deux amis qui profitent du soleil au bord d’un cours d’eau. Des moments calmes, qui rendent à ces hommes et ces femmes leur humanité en les saisissant dans un quotidien qui ressemble à celui de tout le monde. Avec ce film, Abd Al Malik voulait en effet « montrer que l’humanité et la citoyenneté ne s’arrêtent pas aux frontières des cités, qu’il y a aussi des êtres humains [qui y vivent] ».
Mais comme son titre l’indique, Qu’Allah bénisse la France n’est pas qu’un film sur la banlieue, c’est « un film sur la France, sur une certaine histoire de France ». Un pays métissé, où tout ne va pas aussi mal que certains voudraient nous le faire croire.
Si Abd Al Malik espère avec ce film « parler des trains qui arrivent à l’heure », il ne nie pas pour autant le poids du déterminisme social : « J’ai eu la chance qu’on me dise que j’étais intelligent, et j’ai agis en conséquence. On est déterminé par le regard que les gens nous portent. Il y a beaucoup de jeunes à qui on dit : "tu es bête, tu es un délinquant, et tu n’es pas Français", et cela peut aussi les déterminer. (…) Les émeutes de 2005, c’était une forme de suicide, une façon de dire an monde qu’on existe et qu’on souffre. »
Mais il souhaite surtout « faire la lumière sur la majorité silencieuse plutôt que sur des minorités extrémistes » et « parler des cités et de l’islam de l’intérieur pour répondre aux fantasmes sur la banlieue, l’islam et le rap ». Il ajoute : « L’islam, comme le judaïsme et le christianisme, dont elle est la religion sœur, est une religion de paix et d’amour (…) A l’heure où on dit que les musulmans n’aiment pas la France, pour moi, en tant que musulman, c’était important de dire que j’aime la France, que j’aime mon pays, et donc par extension de dire que nous aimons la France et que nous aimons notre pays ».
Avec Qu’Allah bénisse la France, Abd Al Malik nous offre un témoignage rare sur l’islam et les banlieues. On en ressort plus informé-e sur son propre pays et sur cette religion et ces territoires trop souvent sources de peurs et de préjugés. Si quelques critiques reprochent au film d’être moralisateur, on ne peut lui enlever sa lucidité et son optimisme, des qualités suffisamment rares pour qu'on vous recommande vivement d’aller le voir.