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Prostitution abolie en France : la meilleure nouvelle de l'année ?

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SociétéMind The Gap

[OPINION] On a beaucoup parlé prostitution cette année. Un nouveau réseau démantelé ? Un corps de femme retrouvé ? Non, seulement des clients désormais pénalisés. N'en déplaise à certains beaufs, ils n'ont plus le droit à « leur pute » et c'est tant mieux. Alors l’abolition de la prostitution en France, l’une des meilleures nouvelles de l’année 2016 ? Oui. Explications.

Le 14 avril dernier paraissait au journal officiel la loi n° 2016-444 du 13 avril 2016 « visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les personnes prostituées ». Cette loi vient réaffirmer le choix de la France pour le système abolitionniste en matière de prostitution. Comme la Suède, la Norvège et l’Islande, la France choisit ainsi de pénaliser les clients et non plus les personnes prostituées à qui l’on propose désormais différentes mesures d’accompagnement pour sortir de la prostitution si elles en font la demande. 

Pourquoi l’abolition est l’unique solution ?

Parce qu'après avoir expérimenté le système réglementariste et le système prohibitionniste, il est clairement apparu, en France, que le système abolitionniste esquissé en 1946, officiellement adopté en 1960, et réellement mis en place cette année, était sans aucun doute le plus sensé. Parce qu'il est le seul qui se met du côté des vraies victimes : les prostituées.

Dans le système prohibitionniste, tous les acteurs de la prostitution sont répréhensibles. C’est un modèle qui n’empêche pas la prostitution mais la condamne à la clandestinité. De plus, il criminalise en premier lieu les prostituées. C’est le modèle choisi par la majorité des États américains, et par la Chine notamment.

Les pays qui ont choisi le système règlementariste ou qui ont « légalisé la prostitution », comme l'Allemagne ou les Pays-Bas sont souvent partis d’un constat fataliste du type « la prostitution a toujours existé », et d’une volonté de proposer aux femmes une forme d'« empowerment ». Celles-ci auront en effet un vrai travail et pourront cotiser pour leur sécurité sociale. Ce système repose sur l’idée que les femmes choisissent ce métier comme elles en choisiraient un autre, or, « il faut se fermer les yeux devant la réalité pour feindre d’ignorer qu’aujourd’hui la prostitution est imposée à plus de 90 % à des femmes et des hommes d’origine étrangère victimes d’une des plus immondes pratiques qui puisse exister : la traite des êtres humains », envoie Guy Geoffroy, rapporteur de la mission parlementaire de 2011 sur la prostitution. Les études menées régulièrement par le Mouvement du Nid donnent également l’exemple des femmes nigérianes qui arrivent généralement sur le territoire français avec une dette de 60 à 80 000 € envers leurs passeurs. Comment peut-on encore penser que la prostitution est un choix de carrière comme les autres quand on sait qu'en Allemagne, seules 44 femmes se sont enregistrées en tant que prostituées auprès des services administratifs allemands…

Le système abolitionniste, quant à lui, implique la reconnaissance de la prostitution comme une violence. Il repose également sur l’idée que considérer la prostitution comme un travail ôte toute possibilité d’aider ces femmes à en sortir. Attention toutefois au vocabulaire, abolir n’est pas prohiber, abolir n’est pas non plus éradiquer (l’esclavage, pourtant aboli, existe toujours en France sous une forme dite « moderne », ndlr). Abolir, c’est mettre la société du côté des victimes, leur offrir une porte de sortie.

« S'éloigner de la vision romantico-romanesque de la prostitution »

Cette loi, promulguée en avril 2016, dépénalise les prostituées, et plus que cela, elle assure la « mise en place d’un parcours de sortie de la prostitution » en mettant à disposition une « autorisation provisoire de séjour d'une durée de six mois pour les personnes étrangères engagées dans un parcours de sortie de la prostitution », même si elles ne dénoncent pas le réseau qui les domine. Ces personnes peuvent également demander à recevoir un revenu minimal le temps de la transition.

Lors de son intervention pendant le Summer Camp organisé par l’association Osez le Féminisme (OLF) en août dernier, Marie Allibert, porte-parole de l'association, se réjouit par ailleurs qu’on s’éloigne enfin de cette « vision romantico-romanesque de la prostitution qu’aime nous conter les politiques et les médias ». Car non, la prostitution est un monde de violences, d’extrêmes violences, qui commencent bien avant les premiers rapports tarifés et se continuent longtemps après. L’étude menée par Melissa Farley, chercheuse américaine en psychologie clinique, dans neuf pays dont le Canada, les États-Unis, et l’Allemagne, montre par exemple que 48% des prostituées allemandes interrogées déclarent avoir été battues ou abusées sexuellement pendant l'enfance. Cette étude démontre également que « toutes les personnes prostituées interrogées déclarent avoir été insultées ou menacées. Les vols d’argent ou de biens de la part des clients sont également courants », tout comme les « coups, tentatives d’étranglement, violences avec armes ». Au Canada, elles sont 76% à déclarer avoir été violées, 73% aux États-Unis et 63% en Allemagne où elles sont une sur deux à avoir subi plus de 5 viols.

Dans son essence même, la prostitution est une violence puisqu’elle n’est rien d’autre qu’un acte sexuel non désiré, une répétition d’actes sexuels non désirés. Un homme abuse de son pouvoir économique pour obtenir ce qu’il n’obtiendrait pas sans. Un rapport sexuel avec une femme qui ne désire pas de ce rapport sexuel, puisqu’elle ne l’accepterait pas sans rémunération. L’abolition de la prostitution est le seul moyen d’aller dans le sens du combat pour l’égalité hommes-femmes puisque rappelons-le, 80 à 90% des prostitués sont des femmes, et que, comme l’explique Grégoire Théry - secrétaire général du Mouvement du Nid - « tous les clients des personnes prostituées que nous rencontrons, qu’elles soient femmes, hommes ou trans, sont des hommes ».

Une loi facile à appliquer

« Si on pénalisait les clients des prostituées, cette mesure serait pratiquement inapplicable. » On a pu lire beaucoup d'articles relatant de la difficulté plus que probable d'appliquer cette loi et cette « pénalisation des clients ». Pourtant en Suède, où la prostitution est abolie depuis 15 ans, l’inspecteur chef de la brigade anti-prostitution de Stockholm, Simon Häggström, raconte que  « 8 clients sur 10 admettent le crime immédiatement sur les lieux d’arrestation. Sans même que nous ayons eu à les conduire au poste de police ». Dans son intervention à l’occasion du Summer Camp d'OLF, Grégoire Théry expliquait que « deux mois tout juste après la promulgation de la loi en France, alors qu’aucun décret d’application n’est encore paru, 140 personnes ont déjà été arrêtées pour ce fait ». Pris en flagrant délit ou pris en flagrant délit de sollicitation, la police peut immédiatement intervenir. Le client a la possibilité de reconnaître immédiatement les faits et payer son amende sur place, ou de ne pas les reconnaître mais alors il recevra une lettre qui le convoquera au tribunal pour s’expliquer. Étrangement, peu de clients choisissent la deuxième option. Peut-être l’idée d’expliquer à son employeur pourquoi il a besoin de prendre soudainement une journée le dissuaderait-il...