Processus de paix à Chypre : entretien avec Demetris Papadakis
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Quelques jours après la visite de Martin Schulz à Chypre, les 29 et 30 mars, Demetris Papadakis, député européen chypriote (Groupe Sociaux-Démocrates, centre-gauche) répond à nos questions.
Depuis 1974 et l'annexion d'une partie de Chypre par l'armée turque, l'Île est coupée en deux. Au Sud, la République de Chypre, hellénophone et au Nord, la République turque de Chypre-Nord, qui n'est reconnue que par Ankara et qui ne fait pas partie de l'Union européenne. Après plus de quarante ans de conflit et de rupture entre les deux parties de l'île, la Communauté internationale semble vouloir accélérer le processus de paix. Les 29 et 30 mars derniers, Martin Schulz, le Président du Parlement européen, s'est rendu à Chypre et a rencontré Nikos Anastasiedes, Président de la partie hellénophone, ainsi que Mustafa Akinci, Président de la partie turcophone. L'occasion de rencontrer un député européen afin d'avoir un éclairage sur cette visite et sur les développements politiques passés et à venir.
Pouvez-vous nous parler de la visite de Martin Schulz à Chypre les 29 et 30 mars derniers ? Qu’en pensez-vous ?
M. Schulz est venu à Chypre pour parler du processus de paix, rencontrer les leaders des communautés et pour trouver une solution raisonnable.
Le problème est que la réalité est très différente de la théorie. Le côté turc ne semble pas vouloir proposer une solution viable. La clef du processus de paix depuis 1974 jusqu’à aujourd’hui a toujours été et est encore dans les mains de la Turquie. Si la Turquie veut résoudre le problème chypriote, celui-ci sera résolu. Malheureusement, c’est une sorte de jeu pour M. Erdogan.
Et les dirigeants européens essaient d’utiliser ce problème chypriote afin d’atteindre d’autres objectifs, comme une forme de chantage. On l’a vu lors des dernières discussions avec la Turquie. Il a notamment été demandé d’ouvrir ce chapitre en vue de trouver une solution pour les réfugiés.
Je suis pessimiste, pas optimiste. Mais nous, les parlementaires européens ainsi que les institutions de l’Union européenne devons envoyer un message, un message pour dire que les solutions au problème chypriote doivent être en phase avec le droit.
Pensez-vous que les choses ont changé avec l’élection de M. Akinci du côté turc l’an dernier ?
Je crois que M. Akinci a la volonté de parvenir à la paix. Mais ce n’est pas suffisant. Il doit demander la permission à la Turquie pour parvenir à un accord. Malheureusement, c’est la réalité. Bien sûr, il est important d’avoir un leader côté turc qui a la volonté de parvenir à un accord, mais ce n’est pas l’élément essentiel. La Turquie a, à Chypre, entre 30 000 et 40 000 soldats déployés. Cela ne dépend donc pas de la volonté de M. Akinci. C’est la réalité de cette situation.
J’étais très optimiste quand il a été élu. Mais après deux-trois mois de négociations, je ne l’étais déjà plus.
L'enjeu central est d’arriver à faire vivre les deux communautés ensemble, et pas d’un côté ou de l’autre. On ne peut pas trouver de solution sans envisager l’après, la justice et les conditions de vie pour les deux communautés. Si on ne peut vivre ensemble, il y aura de nouveau des problèmes et des conflits. On doit éviter cela.
Je suis moi-même un réfugié. J’avais huit ans au moment de l’annexion par la Turquie. Je sais ce que les mots « occupation » et « réfugié » signifient. Je ne veux pas que mes enfants connaissent la même situation. Je veux que la solution soit juste et soit trouvée en accord avec les principes de l’Union européenne. Chaque communauté devra voir ses droits respectés.
Le gouvernement du côté turc a démissionné hier, le 4 avril. Pensez-vous que cela va avoir des effets sur le processus de paix ?
Bien sûr, chaque élection a un impact. Car des problèmes du côté turc ont des conséquences pour tout le processus de paix.
Mais il faut toujours garder à l’esprit que le point-clef est la Turquie. Si la Turquie veut trouver une solution, nous aurons une solution, comme je vous l’ai déjà dit.
Les élections législatives ont lieu à Chypre en mai prochain. Est-ce un enjeu majeur pour la campagne ?
Oui, c’est un sujet de la campagne, bien sûr. Mais ce n’est pas une question majeure. Les principaux sujets sont la lutte contre la corruption ou les changements indispensables dans notre société. Les élections sont dans un mois et demi, mais ce n’est pas l’enjeu central.
Un autre problème important est le discours du Conseiller spécial du Secrétaire général de l'ONU pour Chypre, M. Espen Barth Eide. L’an dernier, il affirmait qu’une solution serait trouvée en novembre 2015, puis en mars 2016. Maintenant, il affirme qu’elle le sera d’ici la fin de l’année. C’est une grosse erreur de prévoir un calendrier. Une solution sera trouvée, mais elle devra être viable, et devra tenir compte du processus d’adhésion de la Turquie dans l’UE et de la zone économique exclusive de Chypre.
Vous ne faites pas confiance au ministre turc des affaires étrangères qui déclarait lundi espérer qu’une solution serait trouvée avant la fin de l’année 2016 ?
Il n’a pas le droit d’espérer. Il a les clefs pour trouver une solution. La Turquie contrôle tout dans la zone occupée, à travers les troupes et les élections qu’elle peut manipuler afin de choisir qui sera élu. L’État turc a l’obligation de faire quelque chose afin de parvenir à une solution.
Et pensez-vous que l’UE essaie d’accélérer le processus en raison de la crise des réfugiés et de la lutte contre le terrorisme [la Turquie étant un partenaire de l'Union européenne sur ces problématiques] ?
J’espère que la République de Chypre ne sera pas utilisée en vue de trouver une solution à ce problème des réfugiés. Malheureusement, l’Union européenne connaît une crise sans précédent, qui est selon moi une crise des principes. Parce qu’on a oublié les valeurs et principes de l’Union européenne.
Les pays n’agissent que dans leurs intérêts et ne se soucient pas des valeurs sur lesquelles l’UE s’est construite. Et nous devons trouver de nouvelles valeurs et de nouveaux principes pour avoir un futur. Sinon, ce sera un désastre pour tous.