Prix Nobel de littérature à Orhan Pamuk
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Le romancier turc qui avait défié Ankara à propos du génocide arménien a remporté le 99ème prix littéraire.
La décision était controversée mais prévisible : les sages de l’Académie suédoise ont remis jeudi 12 octobre, le Prix Nobel de littérature 2006 à l'écrivain turc Ohran Pamuk, 54 ans, pour sa contribution à la littérature mondiale avec des œuvres telles ‘Mon nom est rouge’ ou ‘Neige’.
« Dans la quête de l'âme mélancolique de sa ville natale, (Pamuk) a découvert de nouveaux symboles de l'affrontement et du mélange des cultures », pouvait-on lire sur le site internet de la fondation Nobel. Pamuk devrait dorénavant recevoir 1,1 million d’euros le 10 décembre à Stockholm en Suède.
Orhan Pamuk est né en 1952 à Istanbul, dans une famille bourgeoise et francophile du quartier d’Haliç. Après des études d'architecture et de journalisme, il passe trois ans aux Etats-Unis avant de se consacrer à l'écriture. Lui qui voit le monde de sa fenêtre et de ses livres se voit souvent reproché son manque d’expérience de la vie. Pour Pamuk, le roman est la plus grande invention de la culture occidentale. Inspiré par la double culture des Turcs, à mi-chemin entre Orient mystérieux et Occident conquérant, il incarne la jeune garde littéraire de la Turquie. Très populaire grâce à des ouvrages comme ‘Le Livre Noir’ (1990) ou ‘La Vie Nouvelle’ (1995), Pamuk a été le premier intellectuel musulman à prendre la défense de Salman Rushdie, refusant par la suite le titre d’ « artiste d’Etat ». En 2005, il est inculpé pour « insulte délibérée à l’identité turque » : il avait affirmé que les Turcs avait tués 30 000 Kurdes et 1 million d’Arméniens. Les poursuites judiciaires ont été depuis abandonnées.
Outre Pamuk et après l’Autrichienne Elfriede Jelinek et l’Anglais Harold Pinter, la littérature européenne recèlait un véritable vivier de nobélisables.
Milan Kundera : « Le roman doit détruire les certitudes »
‘L'Insoutenable légèreté de l'être’ l'a mondialement consacré en 1984 et ses oeuvres connaissent un grand succès auprès du public. Pourtant, au palmarès de Milan Kundera ne figurent que peu de prix : un Médicis pour ‘La vie est ailleurs’ (1973) et un Prix de l'Académie française pour son essai sur ‘L'art du roman’ (1987). Né en 1929, Milan Kundera est issu d'un milieu où l'art est une affaire de famille. A l’instar de son père, pianiste, il débute dans la musique, avant d'entamer des études de littérature et de cinéma à Prague. Ses premiers poèmes sont publiés en 1957. Dans la Tchécoslovaquie placée sous le joug soviétique, Milan Kundera est un militant communiste sincère et apprécié jusqu’en 1967. Opposé à la ligne de conduite des dirigeants du Parti, Kundera publie La Plaisanterie’, une critique amère du système stalinien. L’invasion de l’Armée Rouge pour réprimer les réformes démocratiques consacre la fin de son engagement. Il est exclu du PC et ses livres sont interdits de publication. En 1975, il quitte Prague et se réfugie en France. D'abord professeur à Rennes, il enseigne par la suite à l'Ecole des Hautes Etudes des Sciences Sociales. Naturalisé français en 1981, Milan Kundera enchaîne les succès désormais écrits dans la langue de Molière comme ‘l’Identité’ (2000) ou ‘L'Ignorance’ (2003).Gravité et austérité de la rhétorique sont les marques du style Kundera.
Antònio Lobo Antunes : « Je suis le plus grand spéléologue de la dépression »
Figure majeure de la littérature, le Portugais Antònio Lobo Antunes est né à Lisbonne en 1942. Dans la lignée de son père neurologue réputé, il devient psychiatre tout en cultivant le goût des belles lettres et des classiques de la littérature française, notamment. Si son premier recueil de poèmes est publié en 1955, il ne décide de se consacrer entièrement à la littérature qu’au début des années 1980, après le succès de son deuxième roman ‘Le Cul de Judas’ (1985). Dans le cadre de son service militaire, il est envoyé comme médecin en Angola au début des années 70, en pleine guerre coloniale. Hanté par cette expérience, Antonio Lobo Antunes signe en 1981 : ‘Connaissance de l’enfer’, les aventures d’un jeune médecin, travaillant dans un service psychiatrique. Ses œuvres font régulièrement le procès de la société portugaise, de ses institutions, du pouvoir et de ses mensonges. Un Portugal « de fiction », selon son auteur même si l’on ne peut oublier qu'il a grandi à l'époque de la dictature Salazar.
Péter Esterhàzy : « La grande Histoire est très proche de la vie des gens »
Souvent comparé à Boulgakov, parfois à Kafka, Péter Esterhàzy, né en 1950, s’est affirmé sur la scène littéraire internationale, au début des années 2000. Dans ‘Harmonia Caelestis’ (2000), l’auteur relatait l’histoire de sa famille, l’une des plus grandes lignées de l’aristocratie magyare, dépossédée de ses biens par les communistes. Deux ans plus tard, il publiait ‘Edition corrigée’ après avoir découvert en fouillant dans les archives nationales, que son père avait été un informateur de la police politique communiste pendant plus de 20 ans. Une trahison digne d’une tragédie grecque. Style percutant dans le premier, émotion vibrante dans le second : les deux ouvrages cherchent à comprendre comment l’Histoire peut broyer les existences. A quelques jours de la commémoration du soulèvement hongrois de 1956, le romancier rappelle que l’heure de l’apaisement est loin d’avoir sonné en Europe de l’Est.
Crédit photo : Milan Kundera (Gallimard) ; Pamuk et Esterhazy (J. Sassier/ Gallimard); Antònio Lobo Antunes (Mathieu Bourgois)