Pouvoir et liberté à l’honneur du CinémaMed 2017
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Oppressés par un régime injuste et corrompu, ou encore par la tradition, la religion ou sa propre famille, les protagonistes des films présentés lors du Festival du Film Méditerranéen luttent tous pour leur liberté. Une sélection de films qui nous a interrogé sur ces différentes formes de pouvoir, leurs manifestations, et les moyens de leur faire face.
Autour de situations qui paraissent insurmontables, les films sélectionnés présentent différents moyens d’agir et autant d’issues : dès fois plutôt positives, d’autres fois plus funestes.
L’état en déliquescence
En 2011, l’Egypte s’embrase. La population se soulève contre un État autoritaire, corrompu. A la veille de cette révolution contre le régime d’Hosni Moubarak, le réalisateur d’origine égyptienne, Tarik Saleh choisi de nous plonger dans le quotidien d’un commissaire de police au Caire : Nourredine. L’occasion de révéler les contradictions du régime et leurs conséquences sur une société fragile et déséquilibrée. Alors que Nourredine enquête sur l’assassinat d’une jeune et belle chanteuse, il devra faire le choix entre la justice et les directives de l’Etat, qu’il est censé incarner. Un conflit tragique et impossible à résoudre, qui reflète la condition d’un état en déliquescence : l’Egypte sous Moubarak, où seule une révolution semble pouvoir remettre les choses à leur place.
Six ans plus tard, alors que la révolution porteuse d’espoir a bien eu lieu, le pouvoir se trouve à nouveau entre les mains d’un État qui, effrayé par la possibilité d’une autre révolte, opprime les citoyens. Le documentaire Rester Vivants analyse les promesses manquées de la révolution égyptienne à travers les yeux de la jeunesse. Cafébabel a rencontré Soleyfa et Ammar, deux des protagonistes qui ont pris part à la révolte. Soleyfa nous raconte comment, à l’époque de la révolte, les citoyens prennent enfin conscience de leur pouvoir grâce à la force de la rue et découvrent par ce moyen la manière de s’adresser au régime. Une forme de dialogue et un pouvoir qui ne sont pas sans limite, nuance Ammar. Il précise en effet que l’armée était omniprésente dans les rues. Pour lui, malgré leurs efforts, les manifestants ont échoué dans tous leurs projets. Les deux hommes, pessimistes tant pour leur propre futur que pour celui de leur pays, estiment que la situation n’a qu’empiré après la révolte.
Pour Pauline Beugnies, la réalisatrice, ce pessimisme n’est pas la seule séquelle de la révolution. « La prise de pouvoir par la rue a signifié aussi la prise de responsabilités : ils [les révolutionnaires, ndlr.] se sentent coupables pour ceux qui se trouvent encore en prison et pour leurs échecs ». Pourtant, la révolte avait soulevé un fort enthousiasme au sein du peuple. Pour P. Beugnies: « le pouvoir représenté par Hosni Moubarak était un pouvoir symbolique, symbole d’un pouvoir qui était présent à tous les niveaux de la société, de l’autorité religieuse à la famille ». Les jeunes de la place Tahrir ont réussi à renverser cette autorité pendant dix-huit jours, sans parvenir à changer les structures du pouvoir. Etouffé par le régime du Général El-Sisi, l’esprit de la révolte semble aujourd’hui mort. C’est à se demander si l’on peut aujourd’hui parler d’une révolution manquée.
Le désespoir et le rôle de la culture
Le réalisateur Israélien Amos Gitai choisi lui de nous présenter le sentiment d’impuissance de la population entre Israël et la Palestine. « Tu dois croire dans les idées qui changent le monde », nous confie-t-il, à propos de West of the Jordan River, l’un de ses deux documentaires présentés au festival. Le réalisateur, dont la carrière a commencé dans les années 70, est un habitué des documentaires polémiques. Certains de ses films, comme « Home », furent même censurés dans son propre pays, car trop critique envers la politique israélienne. Le réalisateur est sans concession : « si tu aimes le lieu où tu as grandi, tu dois être critique », affirme-t-il. Dans West of the Jordan River, Amos Gitai nous présente des citoyens à la recherche de solutions de réconciliation entre les deux peuples, là où les Etats semblent avoir abandonné. Malgré des moyens techniques limités, le film démontre une nouvelle fois que les citoyens peuvent prendre leur destin en main et, à leur échelle, défier le pouvoir en place.
Toujours en Palestine, c’est cette fois la résilience et une libération à la fois symbolique et psychologique qui sont présentées dans le documentaire réalisé par les allemands Mickey Yamine et Philip Gnadt : Gaza Surf Club. Un groupe de surfers parvient à s’échapper mentalement de la dure réalité de cette bande de terre, prison à ciel ouvert, grâce aux vagues et à leurs planches.
La tradition en fardeau
Brooklyn Yiddish, du réalisateur Joshua Weinstein, tourné dans une communauté juive ultra-orthodoxe de New York, raconte, en Yiddish, l’histoire d’un père qui doit prouver à sa communauté qu’il est digne d’élever son fils, malgré les règles religieuses. Un film qui nous rappelle le poids de la tradition et d’une force symbolique, parfois supérieures à toutes autres considérations.
On retrouve le pouvoir de la famille et des traditions dans le film du réalisateur italo-américain Jonas Carpignano, A Ciambra, co-produit par Martin Scorsese. Dans ce film, sélectionné pour représenter l’Italie aux Oscar 2018, les valeurs familiales semblent dépasser toutes les autres. Pio, le jeune protagoniste, n’arrive pas à sortir d’un chemin déjà tracé pour lui. Habitué à voler et à truander depuis sa jeunesse, il n’hésitera pas à trahir ses amis dès l’instant où cela ira dans l’intérêt de sa famille.
C’est finalement dans la section « Coup du cœur » du concours que l’on retrouve l’emprise du pouvoir sous toutes ses formes. Un chauffeur qui n’arrive pas à dépasser les héritages du communisme (Feu Rouge, Toma Waszarow), un père qui doit trouver un deuxième travail pour pouvoir payer un sac de marque à son fils (Kapitalistis, Pablo Muñoz Gomes), l’emprise du sentiment amoureux, qui nous pousse à commettre des actes irrationnels, comme dans Como yo te amo de Fernardo García-Ruiz Rubio.
"La liberté c'est de pouvoir choisir celui dont on sera l'esclave" disait Jeanne Moreau, citée par Amos Gitai.